Cette
fois, c'est un texte syndical bourré de bonnes intentions que nous
allons interpréter. Soyons clair, il ne s'agit pas de confondre des
organisations qui représentent – même maladroitement – des producteurs,
des productrices et des officines de propagande actionnariale. Si les
auteurs ou les amis – j'en suis – lisent ce texte, qu'ils sachent qu'il
ne s'agit pas de faire mal, d'agresser mais d'interpeller, comme on
donne une bourrade à un ami qui prend des choix qui semblent malheureux.
C'est
en tout cas le texte d'un sociologue que j'aime beaucoup dont je vais
faire l'exégèse aujourd'hui – ceci dit pour dissiper tout malentendu
quant à mon parti pris, j'essaierai d'être honnête envers quelqu'un qui
m'est proche. Je vais commenter l'introduction de Matéo Alaluf à :
Collectif, Histoire inédite de l'économie en Belgique, de 1945 à nos jours, Couleur livres.
Le sociologue dénonce l'intégrisme de marché
qui a conquis le champ politique.Cette dénonciation sous-entend qu'on
peut avoir un marché non intégriste, que le marché non intégriste est
acceptable, sinon souhaitable.
Pour lui, le système 'intégriste de marché' est un échec du fait que
- la distribution est en panne
- le chômage est élevé.
Par
contre, il valorise un contre modèle qui serait la planche de salut. Le
keynésianisme et les pays scandinaves. Il s'en explique dans l'article:
le keynésianisme se caractérise par les salaires élevés et le contrôle des marchés ; les pays scandinaves se distinguent par leur taux d'imposition particulièrement élevé.
Le
paradis, le salut vient donc de la régulation, de l'impôt et du
salaire. Le paradis – et c'est là que le bat blesse le plus – c'est le plein emploi. Qu'importe si les salaires sociaux sont payés par les taxes dans les pays scandinaves (c'est-à-dire par la classe moyenne de facto,
puisque le capital des plus riches élude facilement l'impôt) et
qu'importe si, pendant les trente glorieuses une bonne partie des
producteurs étaient tout simplement absents du marché de l'emploi : les
femmes travaillaient, produisaient de la valeur économique mais
n'étaient guère rémunérées, guère encadrées par des contrats d'emploi.
D'un regard très paternaliste, on considérait que ce qu'elles faisaient,
c'était par dévouement, par vocation, que c'était fort utile, enfin,
mais que ce n'était pas 'vraiment' du travail.
En tous cas, en dénonçant un système pour ses échecs en matière de plein emploi, on légitime implicitement l'idéologie de l'emploi, idéologie nocive au plus haut degré pour les producteurs.
Du
point de vue d'un sociologue travaillant pour des organisations de
défense des producteurs, l'adhésion implicite à l'idéologie du paradis
de l'emploi pose problème. Avoir une activité reconnue,utile, agréable, qui n'y souscrirait pas ? Avoir un salaire
confortable, qui ne se battrait pour cet objectif compréhensible ? Ces
deux éléments sont légitimement défendus par des syndicats de
travailleurs. Mais ces éléments très importants n'ont rien à voir avec
l'emploi.
L'emploi est un rapport de subordination à
la logique de marché (pas nécessairement intégriste, pour suivre le
sociologue),une nécessité de subordonner son activité professionnelle
aux intérêts financiers des actionnaires.
Cette
logique-là est l'ennemie de l'intérêt des producteurs. Par contre, dans
la distribution de la valeur ajoutée, la valeur créée par l'activité des
producteurs au sein de l'entreprise, la part du salaire
correspond à l'intérêt de classe des producteurs contre les
propriétaires. Le salaire constituerait donc un 'paradis' plus
compatible avec les intérêts des travailleurs. En outre, le salaire détaché des relations de subordination
est lui parfaitement en phase avec les intérêts des travailleurs. C'est
peut-être à ce niveau-là que les syndicats devraient placer le
problème. Tant qu'ils se battront pour l'emploi, ils se battront pour
que les producteurs se soumettent aux intérêts (peut-être pas
intégristes!) du marché. La logique,alors, c'est de tout sacrifier au
marché (pas intégriste), le temps, la beauté, l'art, le salaire, le
bien-être puis … les salariés et leurs syndicats.
Accessoirement, le salaire détaché de l'emploi existe déjà. Regardez les gens partir en vacances...