Enclosure, colonisation et ... sorcière

Naïké Desquesnes nous emmène sur les traces des sorcières dans Le Monde Diplomatique (ici, en français).

Au moment de l'apparition d'une forme primitive du capitalisme, on assiste à un triple mouvement: enclosure des terres communes, colonisation des Amériques et ... chasse aux sorcières.

Voici le résumé que fait Desquesnes de
1. Anne L. Barstow, Witchcraze : A New History of the European Witch Hunts. Our Legacy of Violence Against Women, Pandora, San Francisco, 1994.
2. Silvia Federici, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Entremonde-Senonevero, Genève-Marseille, 2014, 430 pages, 24 euros.

[Fédérici] commence par revisiter un concept fondamental de la pensée marxiste pour situer la sortie du système féodal : l’« accumulation primitive », soit l’expropriation terrienne de la paysannerie et la création du travailleur « libre » et indépendant. Seulement voilà : du sort de la travailleuse, Karl Marx ne dit mot. Un constat déjà posé par des féministes depuis les années 1970, qui trouve ici une profondeur historique indispensable pour saisir les liens entre capitalisme et instauration du patriarcat salarié : la femme est petit à petit forcée à faire du travail de reproduction et des tâches domestiques son activité « naturelle », non rémunérée.
Selon Federici, trois éléments fondent le nouvel ordre économique : la privatisation des terres villageoises autrefois collectives, la colonisation du Nouveau Monde et... la chasse aux sorcières. Les clôtures éliminent l’accès universel à des biens de base : le bois, le pâturage, les herbes thérapeutiques. Davantage dépendantes de ces biens communs pour leur subsistance, leur autonomie et leur sociabilité, les femmes sont les premières à pâtir de leur disparition. Si les hommes pauvres partent travailler à la ville, elles restent seules. Elles rejoignent les rangs des vagabonds, empruntent ou chapardent. Accusées de pacte avec le diable, de vols nocturnes ou encore de meurtres d’enfants, deux cent mille d’entre elles sont victimes de procès en sorcellerie sur une durée de trois siècles, selon l’historienne Anne L. Barstow.
En étudiant la répression et la discipline des corps féminins dans l’Europe du Moyen Age, Federici éclaire la condition de toutes les femmes à ce moment de basculement. Car la sorcière, c’est la femme en marge ; et, en attaquant les marges, l’Etat et l’Eglise construisent la norme. Sous l’étiquette de « sorcière », on pourchasse toutes celles qui ne rentrent pas dans le moule : célibataires, libertines, vagabondes, connaisseuses des remèdes traditionnels voués à disparaître au moment où la médecine moderne se met en place et devient l’apanage des hommes de science.

Lettre aux électeurs PTB (NPA, LO, LCR, Vega ...)

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Chers concitoyens électeurs du PTB (de la LO, de la LCR, de la NPA, de Vega),


Vous rêvez d'un monde meilleur. Un monde où tout le monde aurait sa place, où les services publics seraient de très bonne qualité, où les plus pauvres jouiraient de tous leurs droits, où l'État redistribuerait les ressources, un monde où l'écologie ne serait plus un vœu pieux ou un argument publicitaire ...
Nous partageons votre aspiration à la justice, à un monde où tout le monde serait bienvenu, où l'humain serait au centre des préoccupations.

Cette aspiration à la justice, à l'égalité voire à la fraternité fait de vous une des forces les plus précieuses, les plus prometteuses de notre société. Vous faites partie de l'énergie qui emmène le corps social vers des jours meilleurs, loin de la barbarie.

Comme nous, vous avez parfois lu des économistes critiques, certains d'entre vous ont même lu Marx ou Luxemburg.

Vous participez à des luttes, à des actions politiques, à des rencontres qui vous remplissent de bonheur. Elles se terminent toujours trop tôt et ... vous retournez à une vie dont la grisaille peut vous peser à l'occasion.

Ce que nous avons à vous dire - et nous le faisons avec tout le respect que votre engagement force, avec toute la proximité entre vos idéaux et les nôtres - c'est qu'il est possible que le quotidien soit aussi vibrant que les fêtes ou les actions politiques qui ponctuent votre parcours, qu'il est possible que la liberté et l'égalité aillent de pair.
Marx pensait que le travail sous le capitalisme - ce que aujourd'hui on nomme l'emploi - était une aliénation, une abjection. Il avait démontré - et avec quel talent, avec quelle fougue - que le travail capitaliste ne servait que les intérêts des propriétaires, qu'il minait les enfants, qu'il détruisait la santé de peuples entiers et qu'il dégradait les conditions de vie.
L'innovation amène périodiquement une augmentation de la productivité. Cette augmentation qui pourrait être libératoire pour les producteurs les rend - nous rend - au contraire encore plus pauvres parce qu'ils s'opposent les uns contre les autres par le truchement de la concurrence.

La technique n'a jamais émancipé le prolétariat, l'ensemble de celles et ceux qui doivent vendre leur force de travail pour subsister.

Par contre, une autre pratique de la valeur peut libérer du joug capitaliste. Il est possible - et la chose existe - de travailler librement, de prendre ensemble les décisions de producteurs et de libérer le temps du travail de l'emprise de la plus-value, de la productivité. Comment? Tant que le salaire demeure dans les mains du propriétaire lucratif, tant que la qualification est liée à un poste, c'est le propriétaire, le bourgeois, qui décide qui produit de la valeur, combien il attribue aux producteurs, ce qui sera produit, comment, par quel mode d'organisation et avec quel encadrement simplement parce qu'il est propriétaire lucratif, parce que son titre de propriété lui donne le droit de s'accaparer le fruit de notre travail, le fruit concret - ce que nous faisons - mais aussi les richesses abstraites, économiques que nos salaires produisent.

Mais vous savez - nous savons - que cette propriété, sa richesse, les propriétaires la tiennent de notre travail à nous, producteurs. N'opposons pas une propriété lucrative privée à une propriété lucrative d'État, nous n'aurions que changé les uniformes de ceux qui nous maintiennent étrangers à notre vie, opposons plutôt la propriété d'usage à la propriété lucrative, la qualification des personnes à la qualification des postes. Libérons le travail, libérons-nous des investisseurs dont nous n'avons nul besoin.

Vous voulez taxer les investisseurs?
Je vous propose de récupérer ce qui est à nous, producteurs, je vous propose un salaire sans lien avec l'emploi - comme celui que touchent les chômeurs, les vacanciers ou les retraités.
Vous voulez taxer les profits?
Je vous propose de socialiser les moyens de production non en remplaçant les patrons privés par des patrons publics mais en remplaçant la propriété lucrative des actionnaires par la propriété d'usage des travailleurs.

Cessons de réclamer les chaînes de l'emploi, cessons surtout de réclamer des chaînes de l'emploi un peu plus longues, un peu moins serrées. Reprenons nos usines, nos bureaux, nos trains, nos écoles, nos entreprises. Nous savons que l'argent ne crée rien et que ce sont les travailleurs qui créent. Nous, travailleurs, nous créons la valeur économique par nos salaires - en étant parasités par la rente du capital - nous, travailleurs, nous créons la richesse par notre travail concret.

En définissant le travailleur de la sorte, nous retrouvons le prolétariat cher à Marx, un prolétariat qui intègre de plein droit les chômeurs, les précaires, les fonctionnaires, les retraités, les vacanciers, les marginaux ... Ce prolétariat redéfini de la sorte ouvre des perspectives politiques susceptibles d'incarner aussi bien vos idéaux, votre envie d'intégration sociale, de faire société que la justice la plus élémentaire ou l'envie de révolution, de changement radical.
Ne demandez jamais d'emploi au nom de Marx: l'exploitation de l'homme par l'homme lui répugnait profondément. Prenez plutôt les clés de l'usine.

Ne regardez jamais les chômeurs ou les retraités comme des coûts au nom de Marx: voyez plutôt ces producteurs créer de la valeur économique sans employeur, voyez-les comme une promesse de société possible, de société de la propriété d'usage, de la dignité du travail concret, de la liberté.

Ne demandez jamais la charité ou la solidarité au nom de Marx: reprenons ce qui nous appartient à nous, les prolétaires, les producteurs de valeur économique, en emploi ou hors emploi. N'implorons pas la pitié, établissons la justice.

Les nombreux exclus qui partagent vos idéaux, vos convictions ou votre culture marxiste, les nombreuses personnes fatiguées des compromissions syndicales, les nombreux épris de justice et de liberté vous en sauront gré.

Unissons-nous contre l'emploi, pour le salaire et la socialisation des moyens de production. Cessons de nous battre pour enrichir un patron: nos vies valent infiniment mieux que cela - mais, ça, vous le saviez déjà.

Travail du dimanche ou shadokkisme


On nous envoie un article qui s'interroge sur le travail du dimanche.
Voici l'argument ultime des partisans du travail dominical en emploi:

La plupart de ceux qui travaillent le dimanche le font sur base volontaire et je vous assure qu’il y a beaucoup de candidats ! La question de savoir si la société doit respirer un jour par semaine est dépassée, elle ne le fait déjà plus…

Pour aller plus loin dans cette logique, sacrifions l'enfance, la vieillesse, la nuit, les fêtes religieuses ou nationales. Quand ce sera fait, on pourra dire que, comme ça se fait déjà, on n'a qu'à continuer. Puis, comme tout le monde le fera, ceux qui ne veulent pas le faire seront bien obligés de le faire. Puis, sinon, ceux qui ne veulent pas travailler la nuit, le dimanche, ceux qui ne veulent pas faire travailler leurs enfants crèveront de faim, comme à la grande époque.
Quand les enfants et les vieillards seront de retour à la mine, on nous expliquera sans doute que, comme on le fait déjà, on n'a qu'à continuer. Le jour où les employés seront déchus de leurs droits les plus fondamentaux dans l'entreprise, on n'aura qu'à continuer ce qu'on fait déjà ... ah, c'est déjà le cas?

Le cobaye tourne dans sa roue, de plus en vite et, dans un mouvement shadokkien, il doit continuer par peur de ce qui se passerait s'il arrêtait.

http://www.lalibre.be/debats/ripostes/le-repos-dominical-est-il-une-notion-depassee-542158bc357030e61041b2c2

Goblet prélève les cotisations

Article disponible en PDF ici

Un internaute a bien voulu transcrire les propos du secrétaire général de la FGTB (voir Anne Demelenne ici). Il s'agit d'une interview du journal Le Soir (ici, en français). Nous n'avons pas accès à l'édition abonnés donc, si l'internaute avait commis quelque imprécision dans sa citation, merci de nous le signaler. Le texte cité est décalé et en caractères distincts, nos commentaires sont dans la même police que le paragraphe que vous lisez.

A l’origine, le chômage est une assurance, qui comble un accident de la vie. Aujourd’hui, on se dirige vraiment vers un système d’assistance. Et c’est contraire à la philosophie de la Sécurité sociale. A l’origine, on a prélevé une partie du salaire (les charges sociales) pour les reverser en cas de coup du r de la vie, c’est un salaire différé. En faisant de l’assistance, on casse cette philosophie et on s’en prend à la cohésion sociale.

À l'origine, la sécurité sociale a été un compromis entre les travailleurs en emploi qui ne voulaient plus du capitalisme et des patrons qui ne voulaient pas de révolution. Les travailleurs à la Libération étaient armés contrairement aux autorités civile. La sécurité sociale n'est donc nullement "à l'origine" une assurance mais c'est une conquête des travailleurs avec un rapport de force à leur avantage. Le système d'assurance est le modèle qui prévalait avant la seconde guerre mondiale; c'est ce modèle que la sécurité sociale a rendu heureusement obsolète. Les allocations de chômage ne devaient pas être une "assurance contre les accidents de la vie" mais bien un élément décisif dans le rapport de force entre les travailleurs et les patrons.

Le fait qu'un représentant d'un syndicat pourtant largement impliqué dans les luttes et les conquêtes de la Libération fasse l'impasse sur ces faits historiques atteste son malaise par rapport à la lutte de classe, à la conflictualité ou au rapport de force. Le secrétaire général craint le rapport de force ou - pour le dire plus clairement - la victoire sociale et politique sous quelque forme que ce soit. Il aurait besoin de régner sur une armée de vaincus qu'il ne dirait pas autre chose.

A l’origine, on a prélevé une partie du salaire (les charges sociales [sic!]) pour les reverser en cas de coup dur de la vie, c’est un salaire différé. En faisant de l’assistance, on casse cette philosophie et on s’en prend à la cohésion sociale.

Cette fable reproduit les chansons patronales mot pour mot. Après avoir conjuré la conflictualité, le secrétaire général reprend la version de l'histoire patronale à son compte. Les cotisations de la sécurité sociale n'ont jamais été prélevées sur les salaires, elles ont été ajoutées aux salaires. Le fait de reprendre la version patronale fait croire que les salariés sociaux, les chômeurs, les retraités, les invalides, coûtent aux autres travailleurs, ce qui est une aberration comme nous l'avons prouvé ici. Il nomme d'ailleurs la partie de la valeur ajoutée que créent les salariés sociaux, des "charges" comme le font les patrons. En réalité, ces cotisations se sont ajoutées aux salaires au terme de luttes sociales. En faisant passer une partie des producteurs, les salariés sociaux, pour des coûts pour les autres producteurs, ceux qui sont en emploi, le syndicaliste divise sa base sociale. En divisant sa base sociale, il la rend impuissante mais peut lui vendre facilement une colère sans objet, une frustration, une rancœur aux origines obscures.

D'autre part, en qualifiant les salaires socialisés de salaires différés, le secrétaire général légitime le recours à la personnalisation assurantielle patronale. Il justifie ce qu'il prétend dénoncer - ce qui lui permet, effectivement, de continuer à dénoncer toute sa vie sans que rien ne change.

Le paradoxe, c'est que Goblet accuse le patronat de faire ce que lui fait. Il casse la "cohésion sociale" en prétendant que les salariés sociaux sont des coûts. Il y a mieux. La définition de la valeur économique est l'enjeu d'une lutte de classe. En reprenant telle quelle la définition des patrons, le secrétaire général fait l'impasse sur les enjeux politiques de cette définition. Pour lui comme pour les patrons, ce qui crée de la valeur, c'est l'emploi, c'est le travail soumis à des propriétaires lucratifs qui veulent générer du profit. Pour eux, le reste est certainement utile, mais n'est assurément pas du travail. On voit bien la violence de ce genre de vision du monde qui soumet la reconnaissance de l'utilité sociale a bon vouloir tout puissant des actionnaires.

Une fois de plus, le secrétaire insiste sur la nécessité de la "cohésion sociale", c'est-à-dire de l'absence de conflictualité.

On parle d’une baisse de la norme de norme de croissance des soins de santé, qui module les hausses budgétaires de la Sécurité sociale. Certains font passer ces réformes pour anodines, mais on touche aux fondements ! Il suffit de se rendre sur le terrain. Et que voit-on ? Que de plus en plus de gens vont à l’hôpital pour un diagnostic, puis reportent les soins parce que cela leur coûte trop cher. C’est ça la réalité. Et c’est inquiétant : ce n’est pas digne d’un pays qui se déclare à la pointe dans ce domaine-là.
Je tenterai d'être court pour gloser ce dernier extrait. Essentiellement, implicitement, le droit moral qui évoqué pour dénoncer les mesures du gouvernement (que nous dénonçons avec lui, bien sûr) est fondé sur des considérations qui réduisent les travailleurs à des êtres de besoin. Inutile de dire que cette façon très "dame patronnesse" de se représenter la société nie toute conflictualité, de nouveau et, surtout, tue dans l’œuf toute aspiration à la dignité, à la justice et à la liberté. C'est que, ces notions transposées dans le monde de l'emploi interrogent le pouvoir des propriétaires lucratifs, cela interroge le fait qu'il faille s'ennuyer toute une vie active durant pour obéir à des patrons qui veulent gagner de l'argent. Les êtres de besoin ne se posent pas la question de la légitimité de l'emploi, du cadre de travail, du mode de salaire, de qui décide qui fait quoi, quand et pour quoi. Il est vrai qu'une carrière entière vouée à sacrifier l'ouvrage, l'art, la créativité, l'humour, l'amour au seul impératif de soumission aux puissances de l'argent pousse les employés à se précipiter vers les syndicats.

Questions pour un champion

Il paraît que Question pour un Champion est l'émission la plus rentable du PAF.
Pour occuper un dimanche pluvieux, nous vous avons concocté notre propre version.

4 points

Nous volons chaque jour dans la plus parfaite légalité des gens qui n'ont aucun recours contre nous, contre nos pratiques.
Nous sommes considérés comme des pragmatiques, des hommes et des femmes de bon sens. Les journalistes expliquent notre pensée et ridiculisent nos détracteurs.
On nous appelle Monsieur, on nous respecte - depuis des générations.

3 points

Les ministres nous mangent dans la main. Nous écrivons les lois qu'ils font voter. Ce n'est pas que nous dirigeons les instances dirigeantes européennes, c'est que nous en sommes les seuls administrateurs.
Nous n'avons jamais été élus - nous en serions incapables - mais nous décidons de tout.
Nous passons au JT sans contradicteur. Mieux, les élus qui vont appliquer notre programme à notre place s'y collent en tenant des discours de justice, d'égalité ou de liberté.

2 points

En particulier, nous décidons comment les usines ou les bureaux tournent, nous avons aussi notre mot à dire sur la gestion des deniers publics. Une partie de ces deniers publics nous est reversée pour nous aider, pour nous soutenir. Nous sommes des victimes malheureuses et avons besoin d'être soutenus.
Nous encadrons le temps des salariés, ils doivent s'expliquer à tout moment de ce qu'ils font. Nous décidons ce qu'ils produisent, comment ils produisent. Nous les obligeons à produire des bénéfices, le plus de bénéfices possibles.

1 point

Pour ce faire, nous pillons la terre, nous empoisonnons les rivières (et le débat public), nous enfumons l'atmosphère, nous envoyons les victimes du nouveau management dans des hôpitaux publics que nous avons décidé de sous-financer, nous sommes attachés à dégrader la sécurité au travail. Nous nous battons contre le salaire sous toutes ses formes. Nous prélevons une partie de vos impôts en intérêts d'un capital que nous avons prélevé sur votre travail en vous empoisonnant la vie. Pourtant, nous sommes bons, nous finançons des œuvres généreuses.

Nous sommes ... Nous sommes ?

Les pesticides menacent la santé des agriculteurs

La Nouvelle Revue du Travail (ici) partage un article de Coline Salaris. Il s'agit d'une étude disponible en version intégrale sur la constitution d'un sujet social chez les agriculteurs en lien aux problèmes sanitaires que posent les pesticides. Entre déni, lutte et maladie, les agriculteurs s'interrogent sur leurs pratiques. Cette interrogation reconfigure l'identité paysanne.

Résumé (fourni par l'auteure)

L’organisation récente d’un certain nombre d’agriculteurs en association de victimes des pesticides témoigne de l’engagement nouveau de ces professionnels, classiquement absents du champ des mobilisations dans le domaine de la santé au travail. Alors même qu’elle peut apparaître contradictoire avec leurs pratiques antérieures, la mobilisation de ces agriculteurs permet pourtant de mettre en avant des enjeux de domination spécifiques à ce secteur. Ces enjeux de domination sont à l’origine de résistances à la publicisation réelle du problème « pesticides ». Ils éludent par ailleurs la problématisation de cette question comme véritable enjeu de santé au travail. Mais grâce à un travail de collectivisation de la peine et des expériences, ce regroupement victimaire semble être parvenu à mettre en place une réelle stratégie collective de dénonciation de ce problème. Les agriculteurs phytovictimes semblent ainsi s’imposer comme des acteurs majeurs du processus de prise de conscience autour de la question des pesticides et comme des acteurs inédits de ce nouvel enjeu de santé au travail.

La pratique du salaire - B. Friot fait des vidéos

Nous vous partageons une série de vidéos publiées par Affranchi Presse, pour les palais les plus exigeants ou pour les amateurs gourmets. Garanti 100% sans employisme par nos soins.


La première vidéo, La sécurité sociale, c'est révolutionnaire.


La deuxième vidéo explique les concepts et les distinctions à faire pour dynamiser les combats des producteurs contre le capitalisme.


La troisième vidéo, La pleine qualification face au plein emploi ! Pour un salaire universel.


Et la quatrième vidéo qui donne des pistes déjà-là pour sortir du capitalisme.

L'agence tout fric

Pour faire des profits, on standardise la production et on évite les pertes, le pourrissement des marchandises. Pour ce faire, pour préserver le profit donc, les entreprises capitalistes ajoutent diverses substances aux aliments. Il faut qu'ils se conservent, qu'ils soient et salés et sucrés, qu'ils titillent le goût, ou qu'ils offrent une saveur, un aspect et une consistance attirantes pour les clients.

Ces stratégies commerciales s'opposent à l'intérêt collectif puisque ces additifs sont des poisons. Les coûts de cette production capitaliste sont externalisés sur la sécurité sociale et sur les consommateurs.

Mais rassurez-vous, l'agro-alimentaire offre des perspectives alléchantes pour les investisseurs (et de nombreuses maladies pour les travailleurs).

Le Soir en publie une liste relayée par Additifs Alimentaires (ici). Bon appétit.




Les enfants de la Belle Époque

Le site de laciudadelosmineros partage des photos d'enfants de la mine du début du XXe siècle avec des commentaires en espagnol (ici).

Voici certaines de ces magnifiques photos avec des commentaires traduits.

En mémoire de ces enfances volées, en mémoire de nos soeurs et de nos frères qui, aujourd'hui encore, subissent cette violence, en mémoire de nos camarades martyrisés par l'emploi, par la faim, par la peur, par la souffrance physique. En mémoire de ces corps broyés, de ces yeux éteints. Nous ne pardonnons pas, nous n'oublions pas.




Adolescentes mineurs aux États-Unis en 1906-08. Ces enfants présentent des signes précoces d'âge.


En 1912, ces enfants nettoient les mollusques pêchés en mer en Caroline du Sud (États-Unis).



Un petit ramoneur anglais (le travail des enfants de moins de 9 ans en usine a été interdit en ... 1933 en Angleterre).







Des souffleurs de verre en Angleterre, toujours, au tournant du siècle.






Au milieu d'adultes en Virginie (USA), 1909




Sans pain ni toit, New-York, 1890


Des enfants mineurs dans le Chili du tournant du siècle.

Foucault chez les managers - notes de lecture

Cet article est disponible en PDF ici

Note de lecture (d'une note de lecture de Cecilia Beatriz Soria, ici, en espagnol) de

Zangaro, Subjectividad y trabajo. Una lectura foulcaultiana del management, Herramientas, Buenos Aires, 2011.

Les discours managériaux sont considérés dans cette étude comme des dispositifs de pratiques de subjectivation, de construction de sujet. 

Dans le premier chapitre ("Subjectivité et travail"), Zangaro donne des repères foucaldiens, des exemples historiques de dispositifs d'objectivation et de subjectivation. Ces dispositifs font intérioriser par le sujet les réponses attendues par la société. Ils automatisent les obligations auto-imposées. 

De la même façon, les obligations entreprenariales sont intériorisées par une série de techniques. Les formes de gestion entreprenariale s'érigent en dispositifs qui articulent des pratiques de subjectivation et la constitution d'un sujet éthique. L'auteure analyse les textes managériaux comme des documents dans leur dimension de prescriptions de pratiques et de régulation de conduites.

Le management est défini comme dispositif de gouvernement, comme technologies du moi pour opérer sur les corps et les âmes des individus, pour conformer leurs comportements.

Le deuxième chapitre s'inspire des propositions de la Nouvelle sociologie du capitalisme et des Analyses critiques du discours, notamment du Nouvel esprit du capitalisme de Boltanski et Chiapello. Le management amène à justifier sa logique, à construire sa légitimité de telle sorte que les sujets adhèrent à la rationalité du capital

Depuis les années soixante-dix, l'idéologie qui sous-tend le système est celle du nouveau management. C'est cette idéologie qui produit un discours, "des associations d'idées [significados ideacionales], des relations d'identité qui induisent des pratiques sociales" (p.92).

Le troisième chapitre analyse un ensemble de textes sélectionnés. Il décrit comment les arêtes de ces discours, les images utilisées mettent en évidence la façon d'opérer de ces dispositifs. De cette façon, elle examine les associations d'idées du monde du travail et du sujet éthique. Ces associations se comprennent en les analysant selon quatre axes:

- la substance éthique, partie de l'individu qui est le matériaux principal de la conduite morale

- le travail éthique proposé, les actions que doit mener le sujet sur sa substance éthique

- les modes de sujétion, les façons de se lier aux règles et aux obligations qui s'appliquent à la conduite

- la téléologie, l'ensemble des finalités articulées à atteindre.

Un point remarquable qui apparaît dans cette analyse, c'est le recours dans les discours à l'émotionalité et à la conception qui lui est liée d'individu intégral. Les nouvelles formes de gestion prennent l'émotionalité de l'individu comme matière première de la conduite. Cet émotionalité est définie comme l'ensemble des états affectifs du sujet, conçus comme états d'humeur.

En apparence, ces modèles dépassent la dualité corps-esprit du modèle fordiste au profit d'une compréhension de l'individu comme un tout. Cependant, cette dualité devient un trio: corps-esprit-émotionalité. Cette division pallie les défauts du capitalisme puisque l'émotionalité ne se gère pas comme le corporel. Le plus important est de domestiquer, de contrôler les émotions. Il est clair que le but ultime des actions de l'individu est l'augmentation de la productivité. À partir de l'augmentation de la productivité individuelle, on atteint le but suprême, l'augmentation de la productivité de l'entreprise.
 Note: Ici, vous savez que les gains de productivité concrète ne font pas gagner de productivité abstraite, économique, puisque les gains financiers sont absorbés par le jeu de la concurrence: toutes les entreprises obtiennent les mêmes gains par les mêmes pratiques managériales et doivent baisser leur prix, doivent faire disparaître les gains financiers sous la pression des concurrents.

Le quatrième chapitre montre les limites de l'organisation fordiste-tayloriste du travail et les modifications qui y ont été apportées. C'est cet appareil et ses limites qui expliquent l'apparition du modèle de gestion par compétence.

Les caractéristiques de la production post-fordiste ont modifié les demandes et les formes de gestion capitalistes du travail. La totalité des travailleurs, leurs capacités créatives et relationnelles sont mises au service de la valorisation du capital comme jamais auparavant. 

Pour comprendre ce processus, l'auteure analyse trois concepts centraux:

- la motivation

- l'implication

- l'auto-contrôle.

Puisque, en définitive, ce que l'on tente d'atteindre à travers les discours managériaux, c'est une subjectivité impliquée. C'est de cette façon que sont capturés des modes d'extorsion amplifiés du travail, lesquels visent à confondre totalement la vie et le travail [comprendre l'emploi, NDT], "pour que la vie ait du sens, il faut de la stimulation dans le travail" (p. 144). L'auteure explique comment, à partir de la littérature managériale, on efface, on cache la relation instrumentale au travail. Parce que [implicitement] le travail n'est plus un moyen mais un but, c'est la vie.

Bref, les discours entrepreneuriaux reconfigurent les pratiques et les logiques qui placent l'humain au centre de la valorisation du capital. Les textes marquent le renouvellement des dénominations, l'adaptation à une terminologie destinée à soutenir le facteur humain: la motivation, la participation, l'implication, la collaboration, la coopération, le travail en équipe.

De cette façon, le livre rend visible la façon avec laquelle ces domaines de savoir - liés à la nécessité de découvrir des manières inédites d'extraire de la plus-value - peuvent être légitimés par les travailleurs-sujets eux-mêmes. Les dispositifs créés par le management (motivation, disponibilité permanente, la figure du leader, l'image de l'entreprise comme une grande famille, etc.) constituent des stratégies qui affirment que les travailleurs ont mis l'habit, c'est-à-dire qu'ils se s'identifient aux valeurs de l'entreprise, qu'ils s'y sentent reconnus et qu'ils sont disposés à donner leur vie pour elle

Cependant, l'implication n'est pas totale. Il y a des brèches dans cette logique omniprésente. Des formes de résistances se développent comme le désinvestissement, la distanciation et la dépersonnalisation. C'est là qu'apparaissent les fissures dans le mur du nouveau management.

Deux jours, une nuit

En sortant du dernier film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit, il m'est venu quelques réflexions dont je vous fais part ici.

Nous ne nous aventurerons pas à donner une opinion de cinéphile autorisé - nous ne sommes pas qualifiés pour le faire - mais nous nous bornerons à commenter l'idée centrale du film telle qu'elle peut apparaître dans le synopsis.

Un employeur soumet ses employés à un choix: soit ils gardent une prime de 1.000€ et entérinent le licenciement de l'une d'entre eux; soit ils perdent cette prime et conservent leur collègue. On apprend au fil du film (dont je vous laisse éventuellement découvrir la trame) que l'employée susceptible d'être licenciée a été malade et, pendant sa maladie, ses seize collègues ont fait le travail de dix-sept en prestant trois heures supplémentaires par semaine

Que s'est-il passé? 

1. Au niveau économique. 

Le travail concret presté par chaque employé a augmenté, laissant le total inchangé. Le travail abstrait total, les salaires totaux ont diminué. L'employée malade était effectivement salariée par la sécurité sociale sans que son employeur n'intervienne plus (le film ne l'explique pas mais, en Belgique, au bout d'un mois, c'est comme ça que ça se passe).

Comme le travail concret demeure inchangé, comme l'usine produit toujours autant de panneaux photovoltaïques qui ont la même valeur économique sur le marché et comme le travail abstrait a diminué d'un dix-septième, de la part de la salariée en maladie
- le taux d'exploitation a augmenté et, avec lui, le surtravail: pl/v (le rapport entre la plus-value et les salaires augmente dans la mesure où les salaires baissent sans que le chiffre d'affaire ne change)
- la composition organique du capital a augmenté: C/V (le rapport entre le capital constant, les machines, et les salaires augmente si les salaires baissent)
 C'est un jeu à somme nulle si tous les concurrents y ont recours et on voit mal ce qui empêcherait les concurrents de licencier et d'avoir recours aux heures supplémentaires eux aussi. La concurrence fait alors disparaître les gains de productivité.



2. Au niveau humain

Les travailleurs ne travaillent plus 38h par semaine mais 41h avec trois heures supplémentaires. Avec la concurrence qui fait disparaître l'avantage de la pratique isolée, les gains de production de valeur économique obtenus du fait du licenciement de la travailleuse malade disparaissent en tant que valeur économique, en tant que salaire: comme les entreprises concurrentes vont se mettre à faire travailler leurs employés 41h aussi, les prix diminueront en proportion de ce qui aura été économisé en salaire. La valeur ajoutée correspondant au salaire de l'employée malade cessera d'exister.

Entre temps, les employés travaillent davantage et doivent aligner leurs salaires sur la concurrence qui recoure aux mêmes pratiques.

C'est un mercredi après-midi, c'est une demie heure par jour qui vont du temps libre au temps vendu pour chaque employé. La pression de la concurrence maintient les salaires insuffisants et les employés sont prêts à tout (pour une partie d'entre eux) pour sauver leur niveau de vie.

La violence sociale du rapport d'emploi est bien résumée:

- le temps doit être mis à disposition de l'employeur
- le salaire ne suffit pas pour vivre, ce qui contraint le travailleur à travailler davantage
- le fait d'augmenter le temps de travail fait baisser la valeur du travail, les salaires
- comme tous les concurrents ont recours aux mêmes pratiques, elles deviennent obligatoires pour survivre, elles s'imposent
- les travailleurs retournent la violence sociale de l'employeur contre eux-mêmes; ils se battent pour se disputer les miettes que leur concède l'employeur sans jamais le remettre en question, ni dans son rôle, ni dans sa légitimité

Les employés voient leur vie personnelle se réduire comme peau de chagrin. Ils sont confrontés à une vie pauvre, à une vie prévisible, corsetée alors qu'il s'agit, au départ, d'un métier qualifié et utile.
Ce n'est pas le choix que font les employés qui est violent, c'est le fait de les mettre dans ce choix impossible. Soit nous nous retrouvons dans la gène, nous manquons d'argent pour nos légitimes projets, soit nous augmentons notre temps de travail, le taux d'exploitation et cultivons le chômage ... Le chômage fait alors pression à la baisse sur nos salaires.

Car, quand le seizième employé tombera malade, les autres passeront à 44h par semaine. Quand le quinzième sera terrassé par le surmenage, les autres devront passer à 48h par semaine, etc. Cela est sans fin. Il y a toujours moyen de faire "plus avec moins", d'aller plus vite, de travailler plus longtemps, de nourrir le chômage, de baisser les salaires.

À moins que, oui, on ne se batte plus pour l'emploi mais pour les salaires, à moins qu'on se batte pour que la définition de la valeur économique ne soit plus le monopole de l'employeur, de l'actionnaire, du propriétaire lucratif.

Mais, ça, c'est une autre histoire.

Réflexion sur la violence

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  • Introduction

Prenons la scène du syndicaliste interviewé par le présentateur du 20h. La violence avec laquelle ce journaliste somme le syndicaliste licencié après des années de concessions et des mois de lutte d'expliquer sa violence envers les pots de fleurs dans l'entrée de son usine à l'occasion d'un mouvement de grève oblige le syndicaliste à modifier le cadre du débat pour évoquer la violence sociale dont il est l'objet (voir ici, ou, encore plus fort, ici).

Nous avons là trois formes de violence.

Violence I: Le mépris du hors cadre


Le journaliste incarne la violence du mépris d'une caste dirigeante envers les dominés. Au nom d'une prétendue neutralité sociale, il enjoint au dominé de s'expliquer sans devoir, lui, expliquer sa position de quelque manière que ce soit. 
Les dominants maîtrisent les médias, leur langage et le cadre dans lequel les syndicalistes ont l'occasion de s'exprimer. Cette domination mielleuse, cet horizon d'évidence est peut-être la forme la plus perverse, la plus efficace de violence car la victime de violence est exclue du cadre de pensée, en tant que point de vue et en tant que subjectivité. Le dominé est marginalisé, animalisé, réifié dans un entre-soi de moqueurs bourgeois assis sur des certitudes violente. C'est de cette violence dont il est question dans Le dictionnaire des idées reçues, de Flaubert ou dans Mythologies, de Barthes. Les deux auteurs français démontent les a priori bourgeois sur lesquelles s'appuie la violence de la domination.

Violence II: La violence sociale


La violence sociale à laquelle fait allusion le syndicaliste est celle du travailleur qui est dépris de son destin professionnel. 


Il doit accepter la fermeture de l'usine comme il a dû accepter de se taire, lui qui y travaille toute sa vie, quand cette usine a ouvert, quand il s'est agit de déterminer ce qui y serait produit et comment. La violence sociale, c'est le fait d'être traité en mineur économique dans le collectif de production dont on fait partie, c'est le fait d'être prolétarisé, d'avoir un livret ouvrier ou un CV, c'est le monopole de la propriété lucrative qui nous prive de liberté. Car la violence sociale repose toujours sur la privation du droit de propriété d'usage des ressources communes (l'enclosure) et sur la propriété lucrative des outils de production.

Violence III: La violence sur les corps


La violence physique, enfin, dont furent victimes les malheureuses plantes fait écho aux deux premières violences: faute de pouvoir décider de son destin, faute de pouvoir même exprimer la violence de cet exil intérieur, le corps se débat et pose des actes de rages, d'impuissance. 
Cette violence traverse également les innombrables conflits que génère immanquablement l'accumulation capitaliste. Les industriels réalisent alors leurs profits, la valeur accumulée se détruit et les États, dans le chaos apocalyptique de la guerre, tente de réaliser leur production, de sécuriser et d'étendre leurs marchés. Mais les soldats sont tous des prolétaires, rongés par la peur, sans raison de classe de se battre contre des bougres avec qui ils partagent ce point de vue de classe.

Les trois violences ne sont pas du même ordre mais elles sont liées. La violence du mépris de classe naturalise, légitime la violence sociale. La violence physique, quand elle est le fait du prince, appuie les deux premières formes de violence et, quand elle est le fait du dominé, elle tente de les renverser dans une réaction légitime à la menace sur la dignité.

Pour autant, la violence n'est pas toujours payante en terme politique. Par contre, les changements politiques radicaux se font rarement sans la pression populaire, sans une forme ou une autre de contre-violence.

  • Friot et la violence de la valeur économique

Pour Bernard Friot, la valeur peut être comprise sous deux aspects. La valeur d'usage correspond à un travail concret, à la réalisation concrète d'un bien ou d'un service incarné alors que le travail abstrait crée une valeur abstraite qui atteste un rapport de force, une violence sociale. L'attribution de valeur économique à un bien ou un service n'est pas naturelle, elle est l'objet de rapports de force, de pouvoir entre les êtres humains. 

La modalité même d'attribution de valeur économique a tout à voir avec la violence sociale. L'économiste dégage deux types de création de valeur économique, deux façons d'organiser la violence sociale des valeurs économiques. 

La convention capitaliste du travail correspond à la violence sociale de la propriété lucrative, du temps et de l'accumulation. Les prolétaires sont dépossédés de leur propriété d'usage, de leur temps et des richesses qu'ils produisent. 

Par contre, la convention salariale du travail concentre la violence sociale dans les degrés de qualification des travailleurs. Ces degrés reconnaissent une participation à la création de valeur économique par la société et sont susceptibles d'être le siège de lutte, de tensions. La qualification personnelle est ensuite sanctionnée par un salaire attaché à la personne.


  • Lordon et la violence du désir

Entre les désirs de l'employé et de la logique de profit, il y a toujours un décalage. Ce décalage que l'économiste résume par l'angle alpha atteste l'écart irréductible entre la puissance désirant du sujet-producteur et de la logique productive induite par la violence sociale. Le management s'attache à nier cette violence (le désir de l'employé doit être réductible au désir de l'entreprise), à la transformer en attachement (l'employé doit être fidèle à l'entreprise, il doit lui être attaché alors que cette entreprise ne ressent rien puisqu'elle est conduite par un corps d'actionnaires vénaux). L'écart entre les désirs personnels et les désirs attendu par l'encadrement et par l'entreprise incarne d'autant mieux cette violence que l'employeur détient le monopole de la reconnaissance sociale de la légitimité économique.

  • Engels et la violence institutionnelle


Pour Engels, ce sont les infrastructures économiques qui déterminent les superstructures sociales, religieuses ou politiques. Pour faire simple, c'est le moulin à vent qui donne le Moyen-Âge et non la religion, l'organisation sociale ou les enjeux politiques qui donnent le moulin à vent.

Résumé de l'extrait:

La société ante-capitaliste s'organise en gens (mot latin signifiant la famille, prononcé avec le "g" de garage et le "en" comme "haine" et le "s"), en groupes de familles élargies, en tribus. Au moment où l'évolution technique de la production agricole permet la sédentarisation, les champs, les cultures et l'échange, de ce fait, entre gentes.

La sédentarisation a rendu la main d’œuvre nécessaire, ce qui a ouvert la voie de l'esclavage. La maîtrise du fer a amené la division du travail entre artisan et paysans et, avec elle le commerce. Le commerce a fait apparaître les riches et les pauvres et, avec cette stratification sociale, l'apparition de la famille comme unité économique de la société. La division du travail fait aussi apparaître les commerçants, intermédiaires parasites entre les producteurs. Cette organisation du travail rend les anciennes institutions tribales caduques. Elle lui substitue l'État - et ses élections bourgeoises - en intermédiaire soi-disant neutre.

Le développement de la production dans toutes les branches - élevage, culture, artisanat, domestique - permit à la force de travail humaine de créer plus de produits que n'en exigeait son entretien. En même temps, il augmentait la somme de travail journalier qui incombait à chaque membre de la gens, de la communauté familiale ou de la communauté isolée.

L'acquisition de nouvelles forces de travail devint utile. La guerre les fournit [Engels lie les formes deux et trois de la violence dès l'origine]: les prisonniers de guerre furent réduits en esclavage. La première grande division sociale du travail accru la productivité du travail, donc de la richesse. Elle étendit le champ de la production [la création de richesse sociales est liée à la violence sociale et physique](...). De la première grande division sociale du travail, jaillit la première division de la société en deux classes: maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités.

(...)

La même cause qui assurait autrefois la prédominance de la femme dans la maison, c'est-à-dire son emploi exclusif au travail ménager, cette même cause assurait désormais l'autorité de l'homme: celui-ci était tout, l'autre, un complément insignifiant.

(...)


Le fer permit [ensuite] de cultiver de plus grandes étendues de terre et de défricher d'immenses espaces boisés. Il donna au travail manuel un instrument d'une dureté et d'un tranchant dont pas une pierre, pas un autre métal ne pouvait fournir l'équivalent. 

(...)

La richesse se développait rapidement, mais comme propriété individuelle. Le tissage, la métallurgie et les autres travaux manufacturiers, qui se distinguaient de plus en plus les uns des autres, créèrent une différenciation croissante des branches de la production. (...) Une activité si variée ne pouvait plus être exercée par les mêmes individus: la deuxième grande division du travail s'opéra, le travail artisanal se sépara de l'agriculture.

(...)

Avec la division de la production en deux grandes branches: l'agriculture et l'artisanat, naît la production destinée expressément à l'échange, la production de marchandise, ainsi que le commerce, non seulement à l'intérieur de la tribu, ou avec ses voisins, mais déjà par mer.

(...)

À côté de la distinction entre hommes libres et esclaves apparaît la distinction entre riches et pauvres. C'est une nouvelle division de la société en classes que provoque la nouvelle division du travail. L'inégalité entre chefs de famille selon les richesses dont chacun est propriétaire privé fait disparaître l'antique communauté villageoise. (...) La terre labourable fut assignée aux familles privées d'abord temporairement, plus tard de façon définitive. Sa transformation intégrale en propriété privée s'opéra graduellement et parallèlement avec la transformation du mariage syndiasmique en monogamie. La cellule familiale commençait à devenir l'unité économique de base de la société.

(...)

La guerre qui autrefois n'était déclarée que pour se venger des offenses ou pour étendre le territoire devenu trop étroit, fonctionne maintenant comme moyen de pillage. Elle devient une industrie permanente. 

(...)
 [L]es organes de l'organisation gentilice se détachent progressivement de leur racine - le peuple, la gens, la phratrie, la tribu - toute l'organisation gentilice se transforme en son contraire: d'une organisation de tribus établie en vue de régler librement leurs propres affaires, elle devient une organisation destinée au pillage et à l'oppression des voisins. Parallèlement à cette transformation, les organes de la volonté populaire deviennent des institutions indépendantes dont la raison d'être est la domination exercée sur le peuple et son oppression. 

(...)


[La civilisation] s'ouvre par un nouveau progrès de la division du travail. Dans une période barbare inférieure, les hommes ne produisaient qu'en vue de leurs propres besoins. L'échange n'intervenait que rarement et portait sur des produits qui se trouvaient par hasard en surabondance. 

(...)

La civilisation consacre et développe toutes les formes antérieures de division du travail. Elle accentue notamment l'opposition entre la ville et la campagne (d'où dérive la possibilité pour la ville de dominer économiquement la campagne, comme dans l'antiquité, ou pour la campagne d'exercer la même prédominance sur la ville, comme au Moyen-Âge). Et elle ajoute une troisième division du travail qui lui est propre, et qui a une importance décisive: elle enfante une classe qui ne s'occupe plus de la production, mais de l'échange des produits, exclusivement: les marchands.

(...)

Voici que, pour la première fois, apparaît une classe qui, sans prendre part d'une façon quelconque à la production, en acquière la direction complète et asservit économiquement les producteurs, qui se fait l'intermédiaire indispensable entre deux producteurs et les exploite tous les deux. (...) Tant que dure la civilisation, elle est appelée à recevoir de nouveaux honneurs et à exercer une domination croissante sur la production - jusqu'au jour où elle produit enfin elle-même quelque chose: les crises commerciales périodiques.

(...)

Les institutions gentilices étaient nées d'une société qui ne connaissait point d'antagonisme internes et elles n'étaient adaptées qu'à une pareille société. Elles ne disposaient d'aucun moyen de contrainte en dehors de l'opinion publique. Maintenant, au contraire, nous sommes en présence d'une société qui, en vertu des conditions générales de la vie économique, dut se diviser en hommes libres et en esclaves, en riches exploiteurs et en pauvres exploités, d'une société qui non seulement est impuissante à résoudre ses antagonismes, mais doit les accentuer de plus en plus. Semblable société avait seulement le choix entre deux solutions: ou bien vivre en état de lutte ouverte, permanente, opposant ses classes entre elles, ou bien se placer sous l'autorité d'une troisième puissance qui, planant en apparence au-dessus des classes en guerre, paralyserait les actes de violence et ne permettrait à la lutte des classes rien de plus que des affrontements soi-disant légaux sur le terrain économique. Les institutions gentilices avaient vécu. Elles avaient succombé sous la pression de la division du travail et de son produit, la division de la société en classes. Elles furent remplacées par l'État.

Engels, Théorie de la violence, 10/18, 1972, pp. 228-233.

Politique et souffrance au travail

Raphaël Thaller et Erwan Jaffrès nous proposent une lecture politique des conflits sociaux dans Contretemps (ici).


 Extrait de l'article disponible en intégralité en ligne.
La souffrance au travail conduit à des pathologies de l’isolement. Mais, paradoxalement,  elle est souvent partagée par plusieurs personnes dans le même lieu de travail au même moment pour des causes similaires.
La souffrance s’exprime par des intolérances psychologiques parfois violentes. Comme si les salariés victimes avaient intégré à tel point les contraintes qui s’imposent à eux que, dans une logique de culpabilité, ils avaient retourné l’adversité et la violence contre eux-mêmes. Cela conduit à une injustice inacceptable : les travailleurs, en souffrance, payent les effets des organisations du travail malades d’un « pur capitalisme ».
Les événements d’ordre psychosocial doivent alors interpeller les collectifs de travail : pour sortir du statut de victimes individuelles et isolées, il s’agit de réhabiliter la conflictualité et le rapport de force collectif pour la défense des conditions de travail et du contenu du travail. Cela appelle un débat sur le modèle de travail que l’on entend défendre qui interpelle le politique et l’économique.
En appelant ainsi à la conflictualité, nous sommes donc très loin des préconisations de la plupart des organismes institutionnels de santé au travail qui appellent au contraire à la « pacification » des relations de travail, à des approches « plurifactorielles » compliquées, à l’élaboration d’un « diagnostic partagé » (qui aboutit souvent à la domination d’un diagnostic particulier), gommant ainsi les antagonismes d’intérêts.
Nous faisons dans cet article l’hypothèse que la souffrance au travail est le résultat d’un processus par lequel le salarié « retourne » le conflit contre lui, en « intériorisant » les difficultés qu’il rencontre sous forme de culpabilisation et de désespoir. L’isolement empêche l’identification de l’origine de ces difficultés à l’extérieur de soi, dans le monde social et réduit les capacités d’élaboration de solutions adaptées. Les actions collectives sont seules vraiment en mesure de redonner du sens aux souffrances endurées et d’améliorer réellement les situations de travail.
L’approche patronale des risques psychosociaux repose en effet essentiellement sur la psychologisation et l’individualisation du problème:
  • Psychologisation : ce n’est pas la société ni les rapports sociaux qui sont mis en cause, mais le « profil psychologique » de la personne, avec son « stress », sa fragilité propre, son incapacité à mettre en valeur son « capital humain ». Les solutions préconisées mettront alors en avant les cellules psychologiques, les stages de sophrologie, la mise en place de « baromètres » …
  • Individualisation : la personne est considérée isolément, hors du collectif. Ce dernier ne sera convoqué, au mieux, que pour assurer l’accompagnement des individus : évaluation et sélection des personnes, mise à l’écart en cas de problème, « écoute » des individus …
Psychologisation et individualisation s’opposent ainsi à l’approche sociale et collective.
En ce sens, il ne suffit pas de mettre en cause le « management » des entreprises. S’en tenir à cela reviendrait à rester prisonnier du versant « psychologisation/individualisation », sans vraiment toucher aux racines sociales et collectives des risques psycho-sociaux.
Et pour commencer, il faut remettre le travail au cœur des rapports de force, et reconnaître que quotidiennement les travailleurs y investissent leur intelligence. C’est alors rappeler l’enjeu de la dignité au travail et des valeurs que chacun est appelé à y défendre. Cela implique de la conflictualité.
Plus que jamais il faut soutenir l’idée que les travailleurs disposent d’une force considérable : celle de produire de la valeur sans laquelle le capitalisme ne peut vivre. Il n’y a d’ailleurs pas à douter que la contestation du modèle actuel de travail peut conduire à la contestation du système économique, et réciproquement.
 Dans le même ordre d'idée, Basta interroge Danièle Linhart sur l'évolution du rapport au travail, sur le lien entre le social, l'économique et la souffrance du travail (ici). Extrait.

Basta ! : Dans de nombreuses entreprises et secteurs, de France Télécom à Renault, du secteur bancaire à l’Éducation nationale, le travail souffre. Pourquoi ?
Danièle Linhart [1] : Le travail a perdu de sa dimension socialisatrice et citoyenne. Depuis une vingtaine d’années, nous assistons à une individualisation systématique de la relation de chacun à son travail, de la gestion des salariés et de l’organisation du travail. C’est une remise au pas idéologique des salariés autour de dimensions qui sont de l’ordre du narcissisme, de la focalisation sur soi : relever des défis, se mettre en concurrence avec les autres, montrer qu’on est le meilleur, viser l’excellence, se réaliser dans le travail. Les finalités du travail ne sont plus prises en compte. Or, le travail sert essentiellement à faire fonctionner la société, fondée sur le principe de l’interdépendance entre les gens. Chacun est utile, à travers son travail, à satisfaire les besoins d’autrui. Quand on est médecin, on soigne, quand on est professeur, on enseigne, quand on est dans l’industrie automobile, on fabrique des voitures qui doivent être fiables. Le travail est le cordon ombilical qui relie chacun à la société. La modernisation managériale et l’individualisation qui est mise en œuvre ont rompu ce cordon. Le travail, qui était une expérience socialisatrice et collective en résonance avec les enjeux politiques, économiques, sociaux ou culturels de la société, se transforme en une épreuve solitaire. Chacun est dans un corps à corps angoissant avec son propre travail, et la volonté d’en retirer une reconnaissance, un prestige. Quand ça ne marche pas, les salariés s’effondrent. Avec les conséquences que l’on sait à travers le phénomène incroyable du suicide.
En quoi consiste cette modernisation du management, cette « néo-taylorisation » de la production ?
Il s’agit d’une forme de rationalisation de l’organisation du travail. Elle est de plus en plus présente à tous les niveaux des tâches, dans l’industrie ou le tertiaire. Elle vise les cadres comme les employés. Elle consiste à fixer des impératifs et des objectifs avec des contrôles extrêmement détaillés et rapprochés. Aux cadres, on demande un « reporting ». Chaque demi-journée et parfois même quatre fois par jour, ils sont censés dire à quoi ils ont utilisé leur temps. La traçabilité informatique permet de contrôler l’activité des individus sur leur lieu de travail. Savoir comment ils travaillent, où ils en sont. Ce néo-taylorisme se voit bien dans les centres d’appel. Les salariés y sont soumis à des scripts extrêmement détaillés. Ils n’ont pas le droit d’utiliser leurs propres mots lorsqu’ils sont au téléphone. Le temps des conversations est chronométré. C’est une forme de rationalisation du travail qui exerce un contrôle extrêmement rapproché des salariés. Ce nouveau management s’inspire de modèles venant du Japon et du monde anglo-saxon, mais il comporte aussi une spécificité française. En France, plus qu’ailleurs, il existe une défiance envers les salariés. La France était encore récemment un pays où l’idéologie de la lutte des classes était très présente. Cela a beaucoup marqué le patronat.