Cet article est disponible en PDF ici
Chers compatriotes électeurs de droite,
Vous faites partie des futurs 27% d'électeurs wallons (ou des tant de pour cent français, flamands) qui seront représentés dans le gouvernement qui se dessine. C'est un honneur et une responsabilité pour vous, nous vous en félicitons. Mais, cet honneur, vous l'avez payé suffisamment cher pour prendre vos responsabilités en main.
Vous êtes petits indépendants, entrepreneurs plus ou moins couronnés de succès et, ces dernières années, vous avez eu le sentiment que vos conditions d'activité se dégradaient. Elles se sont dégradées.
Vous pensez certainement que les charges vous accablent. Si elles accablaient vos concurrents aussi, elles ne vous poseraient pas de problème puisque tout le monde alignerait ses prix. Mettons que les impôts et les cotisations atteignent 80% de la valeur ajoutée, vous intégrez cette somme dans vos prix et, comme vos concurrents sont soumis à la même gymnastique, tout le monde augmente ses prix et les taxes ou les cotisations sont un jeu à somme nulle pour les comptes de l'entrepreneur.
On peut imaginer un bien à 100€ dont 20€ de valeur ajoutée. L'entrepreneur, au lieu de facturer 100€ son bien et son service face à une concurrence qui le facture 100€, va le facturer 116€ face à une concurrence elle aussi contrainte de le facturer 116€ ... et c'est tout. Cette différence paie les fonctionnaires, les routes, les infrastructures publiques, les écoles, les soins de santé ou les retraites de vos employés (ou de vous-mêmes). C'est pratique, des routes utilisables, des ports, des aéroports, des trains, c'est pratique quand les employés peuvent s'investir dans leur travail sans crainte pour leur santé ou pour leurs vieux jours. Il est dans votre intérêt de défendre les impôts et les cotisations, sources de votre prospérité.
Mais vos concurrents plus gros ne paient pas leurs impôts de la même façon que vous. Vous savez (ou ne savez peut-être pas) que les principales multinationales du pays éludent l'impôt et les cotisations sociales. Elles les éludent le plus légalement du monde par des mécanismes de contournement de l'impôt ou de la cotisation accessibles aux seules grosses entreprises.
Les 16 milliards d'euro que coûtent les intérêts notionnels, c'est vous, les indépendants et les petits entrepreneurs, qui les payez: vos concurrents plus gros qui en bénéficient peuvent diminuer leurs prix puisqu'ils ne sont pas soumis à l'impôt à cause de ce mécanisme et, pour vous aligner sur leurs tarifs, vous êtes obligés de réduire vos revenus. Cette mesure - qui représente plus du double de l'ensemble du budget du chômage - a pourtant été prise par un de vos représentants, peu soucieux de vos intérêts, Didier Reynders.
Par ailleurs, la guerre au salaire rend votre activité compliquée. Certes, vous prenez des responsabilités, vous avez des soucis, mais, à moins d'être propriétaires d'entreprises en situation de monopole, vous voyez votre carnet de commande se tarir. Vous travaillez aussi bien que possible, vous chassez le gaspillage et soignez la finition de vos prestations, rien n'y fait. Faute de carnet de commande votre ouvrage - et le cœur que vous y mettez - pourrit dans vos entrepôts. Vos clients sont rincés à cause de la guerre au salaire. Cette guerre aux salaires, ce sont les mesures de saut d'index, les sous-contrats au rabais des jeunes ou la diminution des pensions ou des prestations du chômage.
De nouveau, si tous les entrepreneurs en concurrence augmentent les salaires en même temps, l'opération est indolore par rapport à la concurrence. Par contre, l'augmentation des salaires permet à vos carnets de commande de se remplir. Les gens cessent de consommer non parce qu'ils n'en ont pas envie mais parce qu'ils n'en ont plus les moyens.
Cette guerre aux salaires, c'est l'augmentation de la durée de travail, c'est la dégradation des conditions d'emploi ou la diminution des prestations de santé, de chômage ou de retraite. Oui, ces salaires - quelle qu'en soit la forme - sont dépensés et remplissent joyeusement votre carnet de commande et vous permettent de faire de juteuses affaires.
Pour ceux d'entre vous qui sont propriétaires d'immeubles, la misère de la diminution des salaires entraîne ... la diminution des loyers. La guerre aux salaires vous coûte extrêmement cher. Pensez à la tête de votre comptable le jour où vous n'aurez plus de concurrence qui ne paie pas d'impôt, où vous pourrez ajuster vos prix à vos coûts, où les clients se bousculeront pour acquérir la production dans laquelle vous mettez tant de cœur et de talent.
Des pistes existent pour aller plus loin dans la mise en place d'une société libre et démocratique à laquelle vous êtes attachés autant que nous. On peut imaginer un monde dans lequel l'entrepreneur soit déchargé des tâches pénibles, répétitives de l'employeur sans que l'efficacité de sa production en soit affectée. Il suffit de verser les salaires à une caisse commune qui les reverse aux travailleurs. Vous cotisez en fonction de votre chiffre d'affaire et vous pouvez vous entourer d'autant de collaborateurs que vous souhaitez - vous et eux. Vous pourrez alors vous concentrer sur ce que vous aimez: produire, réaliser, entreprendre et ne plus tenir ce rôle de garde-chiourme, de contremaître avide peu en phase avec votre amour de la liberté.
Sans aller jusqu'à explorer ces pistes dans le détail, nous vous appelons à faire valoir vos intérêts auprès de vos représentants. Défendez les salaires comme sources de votre prospérité. Avec des clients, avec des concurrents qui paieront le prix juste, vous pourrez vous y retrouver, vous pourrez développer votre activité et votre prospérité en toute liberté. Si vous ne défendez pas les salaires, à force de griller les prestations salariales et publiques, ce n'est pas en Suède que vous vous retrouverez, c'est en Érythrée, dans un pays où la misère endémique pousse les gens à s'enfuir au risque de leur vie.
Vous méritez mieux que cela et nous méritons mieux que cela. La liberté peut entrer dans l'entreprise, la concurrence peut redevenir juste à condition que vos représentants s'attaquent aux niches fiscales et sociales qui vous coûtent à vous si cher. Vous méritez le salaire socialisé, la protection inconditionnelle contre la vieillesse, la maladie ou du chômage. Vous méritez - et vous pouvez le rappeler à vos représentants - d'inventer de nouveaux modes de création de valeur économique quand vous prenez des vacances, quand vous passez du temps avec votre famille, avec vos proches.
Si cette lettre vous parle, interpellez vos représentants sur ces quelques points, vous pouvez infléchir leur politique qui vous est hostile. Vous pouvez faire ce que vous aimez, vous pouvez, ici aussi, maintenant, incarner la liberté qui vous est chère en retroussant vos manches.
Les 73% d'électeurs absents du gouvernement vous en sauront gré.