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Merci not' bon maître

Le Travail à tout prix nous fait suivre un article de Contretemps (ici, en français)

Pour répondre aux injonctions de mise au travail (traduisez à l'emploi, traduisez en esclavage) venant du patronat, le texte de Contretemps apporte un curieux éclairage. Dans le Sud des États-Unis, les revenus sociaux étaient interrompus en été pour que les saisonniers bossent comme il faut. On pourrait donc voir ces revenus sociaux comme des subventions aux propriétaires terriens, comme une façon de leur offrir une main d’œuvre prête à l'emploi. En y réfléchissant, le revenu de base souffre de la même tare. Avec ce minimum vital, le prolétariat demeure prêt à servir les patrons pour les emplois "sérieux", pour "vraiment gagner de l'argent", etc. Un peu comme le Speenhamland Act (1795-1834) en Angleterre en son temps, cette allocation qui a été coupée au moment où les industriels ont eu besoin de bras (voir Polanyi, La Grande transformation)

Quelle est la fonction de ces politiques?

Premièrement, l’existence de la pauvreté garantit que le « sale travail » soit accompli. Chaque économie en dispose : travail physiquement salissant ou dangereux, temporaire, sans avenir et sous-payé, indigne, subalternes. Ces emplois peuvent être attribués en les rémunérant par de plus hauts salaires que ceux du travail « propre », ou en imposant à des gens qui n’ont aucun autre choix d’effectuer le sale travail pour de faibles revenus. En Amérique, la pauvreté sert à fournir un réservoir de main d’œuvre acceptant – ou, plutôt, incapable de refuser – le sale travail à bas coût. En effet, cette fonction est tellement importante que dans certains États du Sud, les aides sociales ont été coupées durant les mois d’été, lorsque les pauvres sont nécessaires pour travailler dans les champs.
De plus, le débat autour des prestations s’est focalisé sur l’impact qu’ont les revenus de transfert sur les incitations à travailler, les opposants argumentant souvent que de tels revenus réduiraient les incitations – plutôt, la pression – pour les pauvres à mener le sale travail nécessaire, si les salaires ne dépassent pas les revenus de transfert. En outre, de nombreuses activités économiques impliquant du sale travail dépendent lourdement des pauvres ; restaurants, hôpitaux, branches de l’industrie vestimentaire et alimentaire, entre autres, ne se maintiendraient pas dans leur forme actuelle sans leur dépendance envers les salaires de misère qu’ils versent à leurs employés.
"The Positive Functions of Poverty”, American Journal of Sociology, sep.1972

Enclosure, colonisation et ... sorcière

Naïké Desquesnes nous emmène sur les traces des sorcières dans Le Monde Diplomatique (ici, en français).

Au moment de l'apparition d'une forme primitive du capitalisme, on assiste à un triple mouvement: enclosure des terres communes, colonisation des Amériques et ... chasse aux sorcières.

Voici le résumé que fait Desquesnes de
1. Anne L. Barstow, Witchcraze : A New History of the European Witch Hunts. Our Legacy of Violence Against Women, Pandora, San Francisco, 1994.
2. Silvia Federici, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Entremonde-Senonevero, Genève-Marseille, 2014, 430 pages, 24 euros.

[Fédérici] commence par revisiter un concept fondamental de la pensée marxiste pour situer la sortie du système féodal : l’« accumulation primitive », soit l’expropriation terrienne de la paysannerie et la création du travailleur « libre » et indépendant. Seulement voilà : du sort de la travailleuse, Karl Marx ne dit mot. Un constat déjà posé par des féministes depuis les années 1970, qui trouve ici une profondeur historique indispensable pour saisir les liens entre capitalisme et instauration du patriarcat salarié : la femme est petit à petit forcée à faire du travail de reproduction et des tâches domestiques son activité « naturelle », non rémunérée.
Selon Federici, trois éléments fondent le nouvel ordre économique : la privatisation des terres villageoises autrefois collectives, la colonisation du Nouveau Monde et... la chasse aux sorcières. Les clôtures éliminent l’accès universel à des biens de base : le bois, le pâturage, les herbes thérapeutiques. Davantage dépendantes de ces biens communs pour leur subsistance, leur autonomie et leur sociabilité, les femmes sont les premières à pâtir de leur disparition. Si les hommes pauvres partent travailler à la ville, elles restent seules. Elles rejoignent les rangs des vagabonds, empruntent ou chapardent. Accusées de pacte avec le diable, de vols nocturnes ou encore de meurtres d’enfants, deux cent mille d’entre elles sont victimes de procès en sorcellerie sur une durée de trois siècles, selon l’historienne Anne L. Barstow.
En étudiant la répression et la discipline des corps féminins dans l’Europe du Moyen Age, Federici éclaire la condition de toutes les femmes à ce moment de basculement. Car la sorcière, c’est la femme en marge ; et, en attaquant les marges, l’Etat et l’Eglise construisent la norme. Sous l’étiquette de « sorcière », on pourchasse toutes celles qui ne rentrent pas dans le moule : célibataires, libertines, vagabondes, connaisseuses des remèdes traditionnels voués à disparaître au moment où la médecine moderne se met en place et devient l’apanage des hommes de science.

La Fabrique de l'employabilité - Lien vers des notes de lecture

Sur le blogue Entre les lignes, Entre les mots (ici), nous avons relevé d'intéressantes notes de lecture sur

- Barnier, Canu, Vergne, La Fabrique de l'employabilité, Syllepse.

Nous n'avons pas lu le livre mais nous nous permettons de vous partager ces notes de lecture très complètes - nous vous en recommandons la lecture. La question du glissement pédagogique de la production d'une société à la production de producteurs rentables est un enjeu fondamental.

Il s'agit notamment

- de renvoyer celui qui est formé à sa responsabilité, il doit devenir l'entrepreneur de sa productivité

- d'organiser la formation selon les besoins du marché.

Extrait de la note

Les auteurs soulignent, entre autres, le basculement des années 2000, la place prise par la notion de compétitivité des entreprises, la dénégation des dimensions conflictuelles des rapports sociaux, le nouveau paradigme de « la formation tout au long de la vie », le caractère profondément individualiste de l’employabilité, les présentations enchantées du paritarisme social, l’invention du « gagnant/gagnant » ou du « compromis acceptable »… « Il n’y a pas partenariat ni cause commune mais affrontement à partir d"intérêts fondamentalement divergents, quand bien même ce que gagnera l’un ne sera pas nécessairement totalement défavorable à l’autre (la lutte des classes n’est jamais binaire mais toujours portée par des contradictions) ».
Louis-Marie Barnier, Jean-Marie Canu, Francis Vergne traitent ensuite de la subordination néolibérale de la formation, de la reconfiguration « de la force de travail », du rôle des institutions européennes, de la « Stratégie de Lisbonne »… Ici pas de politique du laisser faire, mais bien une stratégie identifiable, pilotée par des institutions, un « processus de surveillance, de normalisation, de repérage des progrès accomplis ». La formation doit être subordonnée à l’économie des entreprises.
Les auteurs analysent les dimensions comportementales (« apprendre à se bien comporter »), l’auto-évaluation des salarié-e-s, la responsabilité à entretenir leur employabilité… (...) [Les auteurs] n’omettent pas de souligner les contradictions et les résistances à ces nouvelles modalités de formation. Ils indiquent que « le potentiel de la formation professionnelle peut excéder dans son contenu et sa finalité l’horizon des rapports sociaux existants ». Un travail largement socialisé nécessite des collaborations et des solidarités, bref un part importante d’initiative collective.

Pauvres Actionnaires (F. Ruffin) - notes de lecture

Nous avons le plaisir de vous présenter nos notes de lecture de

F. Ruffin, Pauvres actionnaires! Quarante ans de discours économique du FN passé au crible, Fakir Éditions, 2014.

Nous nous contenterons de relever les considérations du journaliste relatives à la position du parti quadragénaire relatives à l'emploi - ces notes de lecture n'ont nullement la prétention d'épuiser tous les sujets qu'aborde ce petit livre, très dense, dont nous recommandons vivement la lecture (6€, même en Belgique).

Le FN prône l'augmentation des bas salaires en les subsidiant par la TVA à l'importation - 200€ de subsides pour les salaires jusqu'à 1500€.

Cette mesure vise à

- diminuer les salaires réels.
Quand les salaires sont subventionnés, la partie non-subventionnée du salaire a tendance à baisser ... du même montant que celui de la subvention: les producteurs sont en concurrence et doivent admettre des baisses de salaire faute d'être envoyés au chômage. L'argent de la subvention va donc permettre aux patrons de diminuer les salaires d'autant (à niveau de vie inchangé pour les travailleurs). La différence va d'abord aller dans les dividendes de l'actionnaire avant de disparaître purement et simplement du PIB.

- fiscaliser les salaires de l'entreprise
Ce n'est plus l'entreprise qui paie ses salaires (ou les cotisations sociales de ses employés) mais l'État, c'est-à-dire les contribuables, c'est-à-dire, essentiellement, les travailleurs eux-mêmes, les classes moyennes.

- mettre la question salariale au niveau de la redistribution et non de la distribution
La redistribution entérine le fait qu'il faut d'abord admettre la distribution primaire entre travailleurs et propriétaires, entre travail et capital pour venir (éventuellement) après arranger les choses. En l'occurrence, la redistribution se fait exclusivement au niveau du monde du travail sans que le capital soit le moins du monde inquiété. Cette manière de poser le problème évacue la question de la distribution entre le capital et le travail, elle évacue la problématique de la lutte de classe dans un irénisme béat (ou cynique).

Le FN veut promouvoir l'emploi en s'appuyant sur les PME et PMI. Il n'y pas une seule ligne concernant les actionnaires.
 Il s'inscrit à l'instar de la quasi totalité du corps politique dans la perspective d'un esclavagisme, d'une minorité économique pour la majorité, pour les travailleurs, dans l'emploi et hors emploi, au bénéfice des possédants. Le parti Le Pen ne remet en cause en aucune façon la légitimité de la propriété lucrative: les patrons restent des patrons et les actionnaires restent des actionnaires (pas même taxés).


Pour le FN, le patron embauche les travailleurs compétents et licencie quand il n'a plus besoin d'eux ou que leurs compétences ne conviennent plus.  Dans le programme (Notre Projet) de 106 pages, on ne trouve nulle mention de l'intérim.
Ce pouvoir sur la qualification et sur la production économique demeure évident, indiscuté, pour le père comme pour la fille.


Le FN entend utiliser le protectionnisme pour préserver l'emploi français en France (pour les Français, etc.).

Il s'agit d'un parti qui prétend lutter pour l'emploi. Son protectionnisme revendiqué s'oppose aux libre-échangisme du père dans les années 80, quand Jean-Marie Le Pen se réclamait de Reagan. Ce protectionnisme coûteux pour les consommateurs et délicat pour les relations internationales serait unilatéral. Au nom de l'emploi, le FN n'hésiterait pas à mettre en péril les relations diplomatiques et le budget des ménages.

Le parti Le Pen ne dit strictement rien sur


- les conditions de travail

- l'importance des salaires dans l'économie

- la précarité

- l'insupportable aliénation qu'est l'exclusion du pouvoir économique de celles et ceux qui la crée

- les stages bidons, les employeurs mauvais payeurs

- les grèves, le droit de grève, la liberté syndicale, la liberté d'association

- la propriété lucrative

- la nécessaire propriété d'usage de l'outil de travail par les travailleurs.

Ce parti s'est opposé aux mouvements pour la défense des retraites, contre les (sous) emplois jeunes, etc. Du point de vue de l'émancipation des travailleurs, de la libération du travail et de l'abolition de la propriété lucrative, ce parti ne présente aucun intérêt.

Chantier interdit au public

Notes de lecture de Nicolas Jounin, Chantier interdit au public, La Découverte, 2009.

Un sociologue s'est fait embaucher, il y a une demi douzaine d'années, comme manœuvre dans la construction pour enquêter sur les conditions de travail dans le secteur.

  • Voici quelques éléments de son enquête.

- Les grandes sociétés de la construction recourent systématiquement à la sous-traitance ce qui permet de sécuriser leurs marges et de se dédouaner de leurs responsabilités quant aux pratiques des employeurs. Parfois, les sous-traitants s'accumulent à tel point que, sur un chantier, le statut de chaque travailleur, leurs salaires et leur encadrement seront différents.

- La gestion du personnel est raciste. À chaque origine correspondent des aptitudes, des qualifications supposées. Les "Maliens" (avec une notion assez élastique du Mali) sont affectés (et compétents) pour le marteau-piqueur par exemple mais l'enquêteur, d'origine française ne peut, a priori, être désigné pour ce poste. Les différents postes seront attribués à différentes ethnies.

- L'humiliation est permanente. Les plaisanteries, les commentaires racistes, les humiliations fusent sans discontinuer. Un Malien sera, par exemple, appelé Mamadou, sans égard pour son prénom.

- La précarité est extrême. Les intérimaires sont embauchés à l'heure, à la journée, à la semaine. On en amène beaucoup sur le chantier pour être sûr d'en avoir assez, on renvoie les autres. L'intérimaire peut travailler des semaines, des mois pour une entreprise sans être sûr d'y travailler le lendemain. Une entreprise aura recours à de la main-d’œuvre intérimaire parfois de manière majoritaire. Les intérimaires accumulent les intérims et deviennent parfois extrêmement qualifiés sans jamais avoir droit à la stabilité professionnelle. 

- Cette précarité permet de faire pression sur les conditions de travail. Les heures supplémentaires gratuites sont nombreuses, les règles de sécurité sont impossibles à respecter du fait de la pression à la rapidité. Les travailleurs travaillent mal, rapidement; ils se font crier dessus, insulter par des contremaîtres stressés.

- Les agences d'intérim gèrent cette main-d’œuvre intérimaire en faisant leur les critères racistes de leurs clients. Elles rabotent les primes, acceptent les faux-papiers grossiers, se constituent des 'portefeuille' d'intérimaires à disposition en cas de coup dur.

- Les salaires sont dérisoires et le demeurent. Sauf quand, au bout d'une ascension sociale improbable, le travailleur accède à une stabilité professionnelle et à des avancements. La probabilité d'avancement est fortement liée à l'origine ethnique des travailleurs: il vaut mieux être européen et, pour les Européens, il vaut mieux être français.

- Les ouvriers sans papier utilisent des faux, parfois grossiers. Ils sont d'autant plus précaires, d'autant plus soumis à l'agence d'intérim, aux contremaîtres ou aux cadences infernales qu'ils ne peuvent, juridiquement parlant, que mal se défendre, qu'ils ne connaissent pas bien la langue. Les entreprises de la construction recourent massivement aux sans-papier via les agences d'intérim.

- Les immigrés sont souvent pris au piège. Ils attendent une improbable stabilisation professionnelle, ils attendent du salaire pour pouvoir faire leur vie au pays alors que la construction fonctionne comme un piège humain où le travail (et son salaire) du lendemain n'est jamais garanti, où les revenus sont insuffisants et trop aléatoires pour pouvoir même ... s'en aller.

- Le secteur appelle de plus en plus des ouvriers détachés par des sociétés bidon de l'est du continent. Les travailleurs détachés ne sont tolérés sur le territoire que dans la mesure où ils sont employés, ce qui les rend corvéables à merci. En outre, ils ne cotisent pas à la sécurité sociale et n'ouvrent aucun droit, ce qui les rend, là aussi, d'autant plus fragiles.

- L'espérance de vie en bonne santé est très réduite dans l'intérim. Faute de trouver rapidement une stabilisation, un statut CDI et une reconnaissance de leur qualification, les ouvriers voient leur santé décliner rapidement du fait de la pression à la productivité, des intempéries, de la violation des règles de sécurité.

  • Note supplémentaire

Au rayon pratiques esclavagistes, il faut aussi mentionner le recours à des faux indépendants. Ils ne dépendant que d'un seul employeur, transformé en 'client'. Ce type de contrat soi-disant commercial fait l'impasse sur les responsabilités de l'employeur et pousse jusqu'au bout la logique de dépendance, le rapport de force défavorable pour l'emploi et contre le salaire, contre le travail.

Ce genre d'"employé" est évidemment corvéable à merci, sous-payé, il peut être licencié dans l'heure et ne fera jamais grève. Il devra également s'indemniser lui-même en cas de maladie ou le jour où ses tempes grisonneront.

Comme toutes les entreprises auront recours aux mêmes pratiques managériales-esclavagistes, les gains de productivité en seront absorbés finalement par le jeu de la concurrence (sauf si un oligopole s'entend sur les prix, ce qui n'est pas exclu dans le secteur, auquel cas, ce sont les profits qui demeurent élevés).

Abolir le chômage, en finir avec l'emploi - note de lecture

Je vous partage mes petites notes de lecture du délicieux ouvrage de Dominique Lachosme, aussi percutant que pertinent (pour la ridicule somme de 4€).

Il (ou elle) rappelle d'abord que
le travail est une convention sociale (...). L'activité qui sera reconnue comme 'travail' dépendra des institutions humaines à un moment donné de notre histoire.
La définition du travail est donc un enjeu social. Pour les marchands, le travail est une dépense d'énergie, de temps humain qui fait gagner de l'argent, qui est
mise en œuvre en vue de la rentabilité de l'institution qui (...) emploie, l'entreprise privée.
 Mais cette définition exclut 34 millions de 50 millions d'actifs français. Elle est tout simplement impossible: il y a d'autres formes de travail.

Dominique propose alors une autre version, émancipatrice du travail: c'est l'activité reconnue par le salaire. Les chômeurs ou les retraités peuvent travailler sans actionnaire et sans employeur. L'émancipation aujourd'hui passe par l'extension de cette sphère salariale de travail hors de l'emploi.

C'est l'obligation d'avoir un emploi pour avoir un salaire qui crée le chômage: imaginons un salaire à vie, pour tous.

De toute façon, le plein emploi n'existera plus - si tant est qu'il ait jamais existé, si tant est qu'il aurait fallu qu'il existât.

Puis, l'auteur démonte les objections contre le salaire à vie.

- le coût est faible par rapport au coût du renflouement des banques et il permet de transformer le naufrage de la monnaie marchande en quelque chose d'utile

- la paresse est un argument captieux qui réapparaît en phase de contraction économique. Attacher le salaire à la personne et plus à l'emploi permet de s'extraire de la spirale de misère humaine et sociale dans laquelle nous nous trouvons

- le travail pénible devrait être soit supprimé (faut-il à tout prix produire des automobiles, la nuit?), soit repensé pour être supportable

- le salaire personnel permettrait le désinvestissement de la production et des pratiques toxiques, anti-écologiques

- la sécurité sociale est à l'opposé de la bureaucratisation centralisatrice de l'État.

Pour y aller, on peut transformer les minimas sociaux (RSA en France ou CPAS en Belgique) en salaire, on peut les augmenter progressivement jusqu'au SMIC, les sommes à récupérer (les exonérations et exemptions diverses) dépassent, et de loin, les montants nécessaires à ces deux premières mesures.

La grande question que le livre laisse en suspend, c'est la socialisation de l'intégralité de la valeur ajoutée qu'un Bernard Friot, par exemple, appelle de ses voeux, c'est la question de la libération du travail du joug des actionnaires.

Bernard Lachosme, Abolir le chômage, en finir avec l'emploi, Atelier de création libertaire, 2013.

Premières mesures révolutionnaires

Notes de lecture de Eric Hazan, Premières mesures révolutionnaires, dans toutes les librairies (ou presque).

Nous en faisons une petite note parce qu'il y est clairement question d'un après emploi, qu'il y est fait mention d'un monde sans emploi. À ce titre, ce point de vue constitue une perspective possible pour quitter l'emploi.

Eric Hazan rappelle que la légitimité du système actuel, le capitalisme démocratique, est sapée à la base. La prospérité que ce système promettait n'y est plus, la paix qu'il incarnait a sombré dans les bombardements chirurgicaux et la démocratie même s'est vidée de son sens.

La désuétude du capitalisme démocratique peut être contrebalancée par le fait que les individus entreprennent leurs vies ou que la concurrence de tous contre tous nommée mondialisation les tienne en haleine. La révélation de la fin de l'ordre capitaliste se fera par contagion. Le pouvoir va s'évaporer.


En attendant, il faut créer l'irréversible. Créer des formes de vie, des modes d'organisation qui rendent le retour au pouvoir moribond impossible: il faut saper à la base les institutions (plus ou moins centralisées) et leur mode de fonctionnement formaliste qui implique une hiérarchie bureaucratique, un pouvoir institutionnel. Il s'agit d'occuper, de récupérer à un autre usage les outils du pouvoir, les salles de réunion, les téléphones, etc.

Parmi les institutions, le travail [ce que l'auteur nomme le travail, nous aurions tendance à l'appeler l'emploi, mais, derrière les mots différents, il y a une communauté d'analyse]:

Cessons de parler, de penser en termes de chômage, d'emploi (perdus, gagnés), de marché du travail. Ces mots abjects amènent à ne plus voir dans les humains que leur employabilité, à les diviser en deux classes, ceux qui ont un boulot et sont des vivants à part entière, et les autres qui sont des êtres objectivement et subjectivement diminués. (...)

Le travail au sens classique du terme - industriel ou "tertiaire" - ne reviendra pas, c'est une affaire entendue. Il ne serait d'ailleurs pas davantage revenu si l'insurrection n'avait pas eu lieu : personne ne peut croire aux incantations actuelles sur la réindustrialisation, la compétitivité, etc. Mais il y a une chose qu'on ne regrettera pas, c'est bien le travail, ce mythe fondateur qui pourrit la vie (...).

Le travail ne disparaîtra pas pour la seule raison que les structures qui l'encadrent se seront effondrées, mais par le désir d'appréhender autrement l'activité collective.

(...) il s'agit que chacun voie son existence assurée, non plus par un emploi rémunéré qui est toujours menace de le perdre et réduction à un sort individuel, mais par l'organisation même de la vie collective.

Pour abolir la propriété, il faut libérer l'accès au chose, pour produire (ou non, ou faire l'impasse sur les productions inutiles), il faut abolir l'économie et son rapport comptable aux choses et au temps.

Face à la question de la crise de civilisation, la question fasciste demeure un écueil possible même si l'antifascisme sombre dans la stérilité. Les jeux sont ouverts.


Les voleurs de temps

Sur le temps vendu, la compétitivité ...


"Et pour finir, la grande ville elle-même avait progressivement changé d'aspect. On avait rasé les vieux quartiers et bâti de nouveaux immeubles dépourvus de tout superflu. On s'épargnait la peine de construire des habitations conformes aux goûts de leurs occupants. Autrement, il aurait fallu les faire très différentes les unes des autres. Il était beaucoup moins cher et surtout beaucoup plus rapide de les construire toutes sur le même modèle. Au nord de la grande ville s'étendait déjà de nouveaux quartiers gigantesques. Là s'élevaient d'interminables rangées de casernes qui se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Toutes les maisons étant identiques, les rues aussi avaient l'air semblables. Ces rues uniformes ne cessaient de se développer et s'étiraient déjà en ligne droite jusqu'à l'horizon - un désert d'ordre! Car tout, chaque centimètre, chaque instant, était scrupuleusement calculé et planifié.

Nul ne semblait remarquer qu'en économisant le temps, c'était autre chose qu'on économisait en réalité. On ne voulait pas voir que la vie s'appauvrissait, se faisait plus monotone et plus froide. Pourtant, les enfants, eux, le sentaient, car personne n'avait plus une seconde à leur consacrer.

Or le temps, c'est la vie. Et la vie habite dans le cœur des hommes.

Et plus les gens l'économisaient, moins ils en avaient."


Michael Ende, Momo

Evangelii gaudium

Nous vous faisons passer quelques citations édifiantes de l'exhortation du pape François, La Joie de l'évangile qui ont des accents critiques envers l'emploi et le système économique et les conséquences sociales dont il participe.

Il ne s'agit bien sûr pas de convertir qui que ce soit à la foi catholique - ce blog n'est pas une œuvre catholique - mais bien plutôt d'interpeller des catholiques, des chrétiens ou des croyants sur des aspects de la foi qui rendent la logique de l'emploi incompatible avec leur foi. Nous faisons cette démarche dans le plus profond respect de la foi catholique, de toute autre forme de foi ou de l'athéisme, de l'agnosticisme ou du scepticisme. Nous partageons une réflexion.

52. L'humanité vit en ce moment un tournant historique que nous pouvons voir dans les progrès qui se produisent dans différents domaines. On doit louer les succès qui contribuent au bien-être des personnes, par exemple dans le domaine de la santé, de l'éducation ou de la communication. Nous ne pouvons cependant pas oublier que la plus grande partie des hommes et des femmes de notre temps vivent une précarité quotidienne aux conséquences funestes. Certaines pathologies augmentent. La crainte et la désespérance s'emparent du cœur de nombreuses personnes, jusque dans les pays dits riches. Fréquemment, la joie de vivre s'éteint, le manque de respect et la violence augmentent, la disparité sociale devient toujours plus évidente. Il faut lutter pour vivre et, souvent, pour vivre avec peu de dignité. (...)
Le confort ou le progrès n'empêchent pas la prolifération du désespoir et de la crainte, les inégalités explosent.

53. De même que le commandement de "ne pas tuer" pose une limite claire pour assumer la valeur d'une vie humaine, aujourd'hui, nous devons dire "non à une économie de l'exclusion et de la disparité sociale". Une telle économie tue. (...) On ne peut plus tolérer le fait que la nourriture soit jetée quand des personnes souffrent de la faim. (...) Aujourd'hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort où le plus puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées: sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. On considère l'être humain comme un bien de consommation qu'on peut utiliser et ensuite jeter. (...) Les exclus ne sont pas des exploités, mais des "déchets", des restes.
L'économique a asservi l'humain au lieu de rester à son service. Elle produit des marginaux étrangement considérés comme des déchets.
54. Dans ce contexte, certains défendent encore les théories de la "rechute favorable", qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n'a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. En même temps, les exclus continuent à attendre. Pour pouvoir soutenir un style de vie qui exclut les autres ou pour pouvoir s'enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation de l'indifférence. Presque sans nous en apercevoir, nous devenons incapables d'éprouver de la compassion devant le cri de douleur des autres, nous ne pleurons plus devant le drame des autres (...) La culture du bien-être nous anesthésie et nus perdons notre calme si le marché offre quelque chose que nous n'avons pas encore acheté, tandis que toutes ces vies brisées par manque de possibilités nous semblent un simple spectacle qui ne nous trouble en aucune façon.
L'économie devient une religion hallucinée. Il cultive l'indifférence et une énergie libidinale régressive tournée vers la consommation compulsive.

55. L'adoration de l'antique veau d'or a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l'argent et dans la dictature de l'économie sans visage et sans but véritablement humain. La crise mondiale qui investit la finance et l'économie manifeste ses propres déséquilibres et, par dessus tout, l'absence grave d'une orientation anthropologique qui réduit l'être humain à un seul de ses besoins: la consommation.
Ce passage est particulièrement remarquable: il pourrait être signé par la plateforme sans difficulté. L'économie doit être au service de l'humain et non l'inverse.

56. Alors que les gains d'un petit nombre s'accroissent exponentiellement, ceux de la majorité se situent d'une façon toujours plus éloignées du bien-être de cette heureuse minorité. Ce déséquilibre procède d'idéologies qui défendent l'autonomie absolue des marchés et la spéculation financière. (...) L'appétit du pouvoir et de l'avoir ne connaît pas de limites. Dans ce système, qui tend à tout phagocyter dans le but d'accroître les bénéfices, tout ce qui est fragile, comme l'environnement, reste dans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue.
Le libéralisme est une nouvelle religion, celle des bénéfices, des profits. L'emploi en est le culte, c'est une religion chronophage, une religion qui mange ses enfants.

Plus loin, François met en garde contre l'agitation sans but, sans esprit de l'acédie. Mise en garde que nous relayons également ici.

Notes de lecture sur les conditions de travail en Afrique du Sud

Un article du Cairn décrit les conditions de travail en Afrique du Sud en 2006, nous vous en faisons un bref résumé ici en souvenir du regretté Nelson Mandela.

  • Histoire

L’histoire a profondément marqué les rapports sociaux et les structures productives de l’Afrique du Sud contemporaine. Le rapport salarial a été remodelé continuellement par les conflits sociaux qu’a connus le pays depuis la fin du xixe siècle. Ainsi, comme le note Makgetla, en entretenant une situation de sous-emploi et de chômage structurels, le régime d’apartheid (et avant lui, le régime colonial britannique puis sud-africain) a volontairement affaibli la position des Noirs aussi bien comme capitalistes que comme travailleurs. Ceci a permis de protéger la position socio-économique de l’ensemble des Blancs (notamment les plus pauvres et les moins éduqués) tout en offrant aux entreprises une main-d’œuvre noire bon marché et docile, issue d’une « armée de réserve » appauvrie et prête à accepter n’importe quel emploi.
La division des producteurs en race permet de les mettre en concurrence, ce qui met au chômage le groupe majoritaire faute de qualification et met sous pression le groupe minoritaire.

Cette division se manifestait notamment par le fait que
la panoplie de droits dont bénéficiaient les ouvriers blancs (droit syndical, sécurité sociale et assurance-maladie, fonds d’assurance chômage, accès aux tribunaux de travail, etc.) contrastait avec les efforts de l’État pour affaiblir les ouvriers africains, tant par la subversion de leurs organisations que par des attaques directes.
L'Industrial Conciliation Act signé sous la pression des violentes grèves de 1973 et l'élection de l'African National Congress (ANC) en 1994 allaient permettre les espoirs les plus optimistes.

Deux ans plus tard, en 1997, le Basic Conditions of Employment Act (BCEA) définit précisément l’employé(e) en incluant tous les travailleurs (excepté les indépendants) et encadre le temps de travail (45 heures par semaine, 21 jours de congés par an, congés maladies, etc.). Si certaines mesures concernent tous les secteurs d’activités (cotisations chômage et indemnités de licenciement par exemple), d’autres formes de protection sociale (fonds de pension et assurances diverses) relèvent toujours d’accords négociés au sein de l’entreprise ou de la branche. C’est pour cette raison que le BCEA prévoit un mécanisme permettant au ministre du Travail d’intervenir pour fixer les conditions de rémunération dans un secteur donné si les ouvriers sont insuffisamment syndiqués pour négocier avec les employeurs.
  •   Situation

En dépit de cette législation très progressiste, très favorable aux producteurs, elle n'a pu améliorer le sort des plus pauvres et a été contrecarrée par plusieurs éléments.

- Le secteur minier a été libéralisé, ce qui a permis le recours à une main d’œuvre 'externalisée', informelle, exclue du droit du travail

- Le secteur forestier mis sous pression par les papeteries clientes a eu recours à de la sous-traitances en cascade jusqu'à l'informel, hors du droit du travail. Il a eu recours à des étrangers, des Zimbabwéens ou des Swazilandais pour travailler en dehors de la loi

- Le secteur agricole, contexte
Après la migration des Boers (le « Grand Trek ») au xixe siècle et l’appropriation de la plus grande partie des terres par les colons, nombreux étaient les ménages non blancs résidant en fermage ou en métayage sur les terres des agriculteurs blancs. Selon Van Onselen, certains de ces métayers étaient parvenus à développer une activité agricole productive et rentable
Ces agriculteurs noirs ont été expulsés de leurs terres par l'apartheid. Par millions, ils ont été poussés vers les industries et n'ont pu se syndiquer quand ils sont devenus des ouvriers agricoles.

 Les expulsions se poursuivent et les lois ne sont pas respectées.

Mais les lois destinées à protéger les ouvriers agricoles ne sont que rarement appliquées. Les expulsions continuent, voire s’accélèrent. La Nkuzi Development Association estime qu’environ 930 000 salariés agricoles ont été expulsés depuis 1994, soit 13 % de plus que pendant les dix années précédant les élections démocratiques. Selon O’Keeffe, citant une étude de Social Surveys Africa réalisée en 2005, il y a eu 199 611 ménages expulsés de leurs terres pour 164 185 ménages ayant bénéficié des programmes de réforme foncière durant les dix premières années post-apartheid.
 La démocratie post-apartheid a ouvert de grands espoirs mais la violence des relations sociales du travail a perduré et le virage de 1996 de libéralisation de l'économie aura été fatal aux espoirs d'émancipation.

Emploi et travail

Qui n'a pas entendu que travail étymologiquement, c'est la torture, le tri pallium? Pourtant, ici, sur la plateforme, nous entendons valoriser cette notion malgré une étymologie peu appétissante.



Quand elle étudie l'activité humaine, Hannah Arendt distingue

- L'animal laborans, celui qui refait les mêmes tâches, organiques, répétitives et vitales inlassablement - nous respirons tous à peu près vingt-cinq fois par minute tout le long d'une existence. Ce type de travail est consubstantiel à la vie, il lui est lié du fait de la nature humaine (je parlais de la respiration), mammifère, animale ou vivante de l'être humain. Nous ne pouvons guère faire l'impasse sur ce type d'activité. Par contre, nous pouvons les délocaliser, en faire supporter la charge par autrui. C'est le ménage assumé par des femmes dont l'existence demeure dans l'ombre, c'est le travail domestique des esclaves puis des employés, ce sont les poubelles ramassées par un personnel sous-payé, méprisé voire ce sont les prostituées qui assument les tâches les plus ingrates, les plus pénibles et les plus fondamentales qui soient.

- L'homo faber, est l'artisan qui réalise, qui invente, qui crée, et ce, quel que soit son domaine de travail, qu'il soit concret ou abstrait, matériel ou immatériel, humain ou mécanique. Pour lui, la notion de 'travail' n'est pas une torture, n'en déplaise à l'étymologie. Le travail lui permet de se réaliser, il est constructeur d'une fierté, d'une identité voire d'une justification sociale. On pourrait nommer la chose ouvrage (mais l'ouvrage implique l'oeuvre, ce qui n'est pas nécessairement le cas du travail de l'homo faber) ou labeur (mais il s'agit alors d'un travail paysan sans rapport avec la richesse potentielle des tâches et de leurs implications affectives et sociales). Paradoxalement, seule cette forme de travail était prisée par les Grecs, c'était la seule à laquelle pouvaient s'adonner sans s'abaisser la noblesse.

Par rapport à ces activités - aussi nécessaires et utiles l'une que l'autre - nous pouvons les organiser de plusieurs façons de sorte que la tâche en soit affectée dans sa nature même.

- L'esclavage réduit l'humain à l'état de propriété lucrative. L'esclave est réduit à un objet dont le propriétaire jouit de l'usus, abusus et fructus. L'usus: il peut en user comme il veut, il peut l'employer à l'envi. Abusus: il peut le détruire, le laisser mourir, le maltraiter et fructus: le propriétaire d'esclave est propriétaire de tout ce que produit l'esclave.

- Le servage a constitué une immense avancée: le suzerain ne conservait qu'une partie de l'usus et du fructus mais perdait tout droit d'abusus. Seules la dîme, la gabelle étaient dues. Seule une partie du fruit de travail du serf était due au suzerain. Le suzerain n'avait pas droit de vie et de mort sur le serf (même si, de facto, c'était souvent presque le cas) . Le serf était chrétien et baptisé et, en tant que tel, était fils, fille de Dieu et méritait quelques égards. Mais le droit de cuissage demeurait, le droit pour le suzerain de choisir les couples, les conjoints à marier dans le cadre du servage. Il pouvait décider qu'un serf ne marierait pas une serve d'un autre suzerain, etc.

- L'emploi (que nous serons tentés de nommer employage par analogie avec les deux autres formes d'exploitation humaine) sous convention capitaliste du travail - et c'est ce qui nous intéresse ici - organise l'activité de manière très particulière.

1. le propriétaire lucratif de l'outil de production n'a ni usus, ni abusus envers l'employé: il ne peut pas le tuer ou l'utiliser comme il le souhaite. Le contrat dans le cadre de la convention capitaliste de l'emploi régit un droit, limite les actes licites, les exigences légitimes de l'employeur envers l'employé. Par contre, contrairement au servage qui avait été une avancée à ce niveau-là, le fructus est pleinement dans les mains de l'employeur.

2. La tâche dans le cadre de l'emploi n'est pas menée pour elle-même, il s'agit, du point de vue de l'employeur, de générer de la plus-value. L'activité est forcément lucrative. Du point de vue de l'employeur, toute activité ressortit à l'ordre de l'animal laborans, à l'ordre de la servitude organique de la survie. Du point de vue de l'employé, il peut y avoir réalisation dans l'emploi, dans l'activité menée dans le cadre de l'emploi, mais cette réalisation peut ne pas se produire. À ce moment-là, l'emploi est l'oeuvre d'un animal laborans oeuvrant pour payer ses factures, parce que 'il faut bien vivre'.

3. Le contrat de travail lie deux parties inégales. L'employé offre l'emploi, il propose une marchandise nommée 'emploi' à un client-patron censé l'acheter, à un patron-demandeur de la marchandise emploi (ou non). Le déséquilibre, c'est que l'employé a un besoin vital de vendre sa force de travail pour pouvoir accomplir les tâches de l'animal laborans alors que le propriétaire lucratif peut se permettre de se passer des services de l'employé. Ce déséquilibre explique pourquoi l'employé, en plus de payer les bénéfices des propriétaires, leur paie aussi l'outil de production finalement via la partie 'investissement' de la valeur ajoutée qu'il produit.

4. Comme le contrat d'emploi a pour but, du point de vue de l'employeur, la création d'une valeur ajoutée, cette logique va affecter tous les aspects des actes liés à l'activité, à la tâche. À l'extrême, on ne demande pas à l'employé de produire quoi que ce soit si ce n'est de la valeur ajoutée susceptible de nourrir les profits de celui qui achète sa force de travail. Travailler mal, beaucoup, dans de mauvaises conditions importe peu dans la mesure où les marges bénéficiaires sont sauvegardées du point de vue de l'emploi.

5. Le rapport au temps est complètement redéfini dans l'emploi. Il ne s'agit pas d'être utile, de bien faire le travail ou d'être soigneux mais il faut être rapide. Plus rapide que la concurrence.

De ce fait, même si la nature de la prestation demandée à l'employé sera de l'ordre de l'homo faber, si les tâches effectuées dans le cadre de l'emploi lui seront agréables, valorisantes ou intéressantes, il demeurera toujours un côté animal laborans, un côté utilitariste à la tâche.


C'est là que nous intervenons, que notre combat pour libérer le travail intervient. Nous voulons libérer la tâche, ce que nous appelons le travail en dépit d'une étymologie à charge, nous voulons laisser libre cours à l'homo faber, organiser de manière humaine, ergonomique, l'animal laborans. Nous sommes même convaincus que, à l'instar de certaines sociétés, on peut organiser toute l'activité selon la modalité de l'homo faber.

Vous constaterez que, pas une fois au cours de ce long article, nous n'avons abordé le problème de la technique, de la technologie. C'est qu'il recoupe exactement ce que nous avons dit: si nous avons une technologie respectueuse des rythmes, des besoins, de la reconnaissance sociale et humaine des producteurs, ils sont de l'ordre de l'homo faber. Ceci peut aussi bien être un simple stylo-plume qu'un ordinateur maîtrisé, objets tous deux d'investissement affectifs du producteur, de créativité. Par contre, une technologie qui congédie la connaissance humaine du processus de production, qui la rend étrangère à la construction de la chose, qui envoie l'activité la plus pointue dans le domaine de l'animal laborans nuit à l'épanouissement du producteur (un simple protocole d'examen d'ergo-thérapie peut suffire à congédier le producteur du processus créatif de l'acte de production). Il s'agit alors d'une technologie qui participe à la prolétarisation de la production, à la dépossession des savoirs utiles à produire, au désinvestissement affectif de cette production - aussi bien par le producteur que par le propriétaires. Ils se retrouvent alors exilés dans leur propre monde, étrangers à leur propre matérialité.



Le totalitarisme acéphale de l'emploi

Hannah Arendt décrit le totalitarisme dans le troisième volume de sa trilogie sur l'impérialisme. Nous avons voulu voir dans quelle mesure cette notion pouvait s'appliquer à l'horizon obligatoire et indépassable de l'emploi.

Arendt analyse deux régimes totalitaires: le stalinisme et le nazisme. Faute de documents suffisants relatifs au premier, elle concentre son travail sur le second.



En première lecture, il apparaît que l'emploi n'est pas incarné par un leader charismatique, une figure toute puissante à laquelle l'obéissance, la soumission est acquise. Sauf à s'armer d'une mauvaise foi à l'épreuve des balles, difficile de faire passer pour de telles monstruosités des nains politiques genre Obama, Barroso ou Hollande; difficile de voir les parangons de la logique employiste la plus stricte, les Lagarde, les DSK voire les leaders d'extrême droite, comme des aspirants chefs absolus. Nous considérerons donc l'employisme comme un totalitarisme acéphale, sans tête.

C'est que la soumission à la figure du chef est centrale dans le totalitarisme décrit par la philosophe qui se défendait de l'être.

Par contre, de nombreux traits typiques du totalitarisme se retrouvent dans l'employisme (à des degrés divers). Comme le totalitarisme, l'employisme naît dans une société où les liens sociaux se sont distendus, dans une société d'individus-atomes paumés.

1. L'employiste se déclare victime de 'parasites' qui ont promis sa perte, qui vivent en suçant son sang, compromettent la reprise, la prospérité générale. Ces 'parasites' sont identifiés comme des coûts par l'employiste. Il s'agit des chômeurs, des personnes âgées, des pauvres, des malades ou des fous. Peu importe, ces 'parasites' sont accusés de provoquer la perte du système.

2. Après avoir identifié des groupes sources de tous les maux, l'employiste va s'occuper d'eux. D'abord, on les harcèle, on en fait des citoyens de deuxième classe puis, peu à peu, on les isole, on les met dans des camps. De toutes façons, quoi qu'il arrive, il importe au totalitaire de conserver ce schéma: accuser l'ennemi (toujours à trouver, à inventer) des maux, des malversations dont l'employiste est lui-même coupable. Les actionnaires vont accuser les chômeurs de gagner de l'argent sans travailler; les propriétaires vont associer la rémunération au mérite, les boursicoteurs vont réclamer la fin des salaires (sociaux) inconditionnels, etc.

3. Les théories totalitaires s'articulent autour de l'organisation et de la propagande aux portes du succès. Concrètement, les organes de presse mainstream sont tous inféodés à cette logique, les organisations politiques ou syndicales elles-mêmes réclament ... de l'emploi. La police du défunt État-Nation devra servir à l'application de cette théorie, elle sera doublée de diverses polices sociales chargées de contrôler - ou de sanctionner - le comportement des populations stigmatisées. Ces contrôles s'appliqueront finalement aux populations non directement stigmatisées: les employés seront à leur tour suspectés de frauder, de tirer au flan, de voler leur employeur. Des structures de contrôles seront développées au sein des entreprises parallèlement au contrôle des populations hors du cadre permis.

4. Le totalitarisme fond l'individu dans un être sans qualité, entièrement soumis à la logique totalitaire, cet individu devient masse sans tête, il n'est plus ce qu'il est. C'est précisément ce type d'engagement qui arrive dans le monde de l'emploi, engagement qui génère tant de coûts humains, qui détruit tant d'existences, de potentiels, accessoirement, c'est ce type d'engagement qui rend littéralement les employés malades et qui grève les budgets de la sécurité sociale.

Le totalitarisme est une séduction de la populace, de l'élite aussi bien que du peuple. Cette séduction est attestée par les propos de comptoir aussi bien que par les forums pouèt-pouèt économiques dans les stations helvètes de sport d'hiver huppées.

4(bis). L'acte n'a pas de sens dans l'univers totalitaire, on ne fait rien par intérêt pour la chose ou par intérêt pour la fabrication de la chose, on ne fait rien par curiosité. C'est bien sûr l'ambiance qui règne sur les lieux d'emploi et dans les institutions qui harcèlent les salariés hors emploi. Il faut admettre à tout prix la soumission à l'activité vénale et, dans le cadre de l'activité vénale, rien n'est fait parce que le travailleur veut le faire, tout est fait par soumission à une logique voire à des agents qui incarnent cette logique.

5. À un moment donné, les prétextes de productivité, d'intérêt matériel disparaissent. Les exigences totalitaires deviennent contre-productives. La rentabilité, la soumission à la logique de l'emploi, aux protocoles divers, la prolétarisation de la tâche, de l'encadrement ou de la gestion obèrent la productivité au nom de laquelle elles prétendent agir. Les faibles gains escomptés par le harcèlement des chômeurs ou des employés sont largement dépassés par les frais qu'occasionnent les politiques de contrôle.

6. Les ressources sont gérées sans soin, comme de simples choses à piller (comme, par exemple, le pétrole). Là, il suffit de faire le bilan écologique et humain des quarante dernières années d'employisme au niveau mondial et on est pris d'un vertige. En tous cas, ceci signifie, en particulier, que la vie humaine est considérée comme un moyen par rapport aux fins que se donne le totalitarisme. C'est un dommage collatéral, une perte sans importance. Pour les tenants du totalitarisme, leur vie-même, celle de leurs parents, de leurs proches, n'a aucune importance par rapport aux objectifs, à la soumission totalitaire.

7. Une fois le totalitarisme au pouvoir, il va multiplier les structures décisionnelles concurrentes de sorte que l'arbitraire puisse toujours surgir d'un endroit inattendu. Il n'a y donc pas de responsable, d'autorité qui puisse être interpellée. Seul importe in fine le chef dans le cas des totalitarismes céphales et, dans le cas employiste qui nous occupe, seul importe le triomphe de la logique employiste. Qu'importe si les recettes de compression de la dépense publique ne donnent rien, qu'importe si la déflation salariale ne donne rien, on continue ce qui ne marche pas, on continue malgré la longue liste des pays saignés par ce genre de politique, par la misère de masse qu'elles engendrent.

Dans le cas qui nous intéresse, les médias employiques, les organisations patronales, la superposition des niveaux de pouvoir (État, Régions, Europe, etc.) défausse de toute responsabilité les preneurs de décision. Ils n'ont de toutes façons de comptes à rendre à personne - ce qui explique pourquoi une infime minorité idéologique a seule voix au chapitre, pourquoi les décisions tombent comme les plaies d'Égypte sans personne n'ait pu les prévoir, les prévenir. Le prochain traité plane alors que le dernier n'est pas digéré sans que personne, personne ne l'ait réclamé dans la rue, n'ait voté pour lui à quelque niveau que ce soit. Karel de Gucht nous rassure, ce traité, cette fois promis-juré, va favoriser ... mais oui, l'emploi!

8. Le totalitarisme s'organise par cercles concentriques. Les cadres dirigeants du parti ne fréquentent que les Waffen-SS qui ne fréquentent que les SS. Lesquels se gardent bien de fréquenter autre chose que les SA dont le cercle social se limite strictement aux adhérents du parti. Adhérents qui ne fraient qu'avec des sympathisants. C'est ainsi que, de cercle en cercle, l'horizon social des acteurs impliqués se limite à des acteurs (un peu moins) impliqués. Cette composition de l'univers social cadre la vision du monde des intéressés, ce qui était le but.

Là aussi, nous retrouvons ce type d'organisation concentrique dans les instances de socialisation de l'employisme, dans leur diffusion. Reste à charge du dernier cercle de rendre les idées totalitaires présentables pour le vulgum pecus. Les syndicats, les hommes politiques ou les publicitaires ne ressortent assurément qu'à ce dernier cercle, celui de la (re)présentation de l'idéologie totalitaire.

En premier lieu, des instances de pouvoir plus ou moins obscure - Bilderberg, Gmachin ou Davos. Puis, les dirigeants politiques non élus des instances multinationales (souvent en concurrence, d'ailleurs). Autour, les journalistes et les hommes politiques d'envergure. Ensuite viennent les petites mains de l'ordre totalitaire acéphales, seules en contact avec l'extérieur, les journalistes, les syndicalistes et les bases des divers partis politiques.

Ce type d'organisation se retrouve dans toutes les compagnies privées de quelque importance. Les services se chevauchent dans une hiérarchie concentrique avec, au centre, un système acéphale de profit.

Bien sûr, l'idéologie totalitaire est vécue par chacun dans sa chaire. Ce sont les corps et les âmes des individus qui sont cassés, soumis dans l'emploi, mais on leur habille une idéologie présentable: pour être plus productifs, pour demeurer compétitifs, parce que l'argent, ça se mérite, etc. Ces propagandes de masse ont une efficacité qu'il ne nous faut pas sous-estimer. Il importe avant toute chose de conserver sa liberté de penser et d'agir.

9. Le totalitarisme organise une vision du monde dans laquelle des 'nuisibles' doivent être retirés au nom de lois naturelles - il est d'ailleurs curieux qu'il faille, au nom de la nature, améliorer ce que la nature a fait mais passons. De même, la rémunération qui exclut des 'nuisibles' doit-elle être appliquées au nom de 'lois naturelles'. C'est que le libéralisme, convention capitaliste de l'emploi se donne pour naturelle, pour inéluctable, elle donne pour indiscutable des choix politiques 'naturels'. Mais, magie, n'oubliez pas que d'autres pays, d'autres civilisations ont fait, font et feront d'autres choix que ceux présentés comme 'inéluctables' parce qu'ils sont 'aussi naturels que la gravitation'. Contentons-nous d'évoquer ce qui constitue l'essentiel de la pensée politique employiste: There is no alternative, connu sous son acronyme TINA.

Croire que l'exclusion, la condamnation dans une société prospère à des tâches stupides, répétitives, à la soumission à la rapidité est une malédiction 'naturelle' aussi insurmontable que l'effet Doppler, c'est se condamner à accepter ses propres chaînes, à les voir comme quelque chose d'insurmontable.

Nous rappelons que l'économie résulte de choix humains, que d'autres choix génèrent une autre économie. De la même façon, le type de production, la façon d'organiser la production humaine, les tâches sont eux aussi des situations liées à des choix.

10. La terreur d'État envahit les régimes totalitaires. De temps en temps, des grands messes, impressionnantes, écrasantes, sont mises en scène alors que, dans l'intimité, tous craignent un ordre arbitraire, violent. Dans le cas de l'employisme, les salons de l'emploi sont de piètres grands messes comparé aux JO ou aux quelconques championnats divers et variés, aux événements commerciaux alors que tous craignent pour leur emploi, pour leur argent, pour leurs vieux jours, alors que tous craignent le chômage, la misère, l'exclusion sociale.

Mais un totalitarisme est faible car il ne tient que par l'idéologie (et par la soumission au chef, sans objet en l'occurrence). À nous d'inventer d'autres visions du monde, qui permettent la liberté de chacun, qui permettent l'existence sociale de tous, qui rejettent le rejet et libèrent le formidable potentiel humain (certes impossible à évaluer en terme de PIB, mais ceci est une autre histoire).