Extraits d'un article de L'an O2, de François-Xavier Devetter (
ici) sur la liberté individuelle opposée au droit dans le travail (nous soulignons).
Dès lors que les individus sont placés en situation de comparaison ou
de compétition, il semble que la rationalité des choix s’amenuisent
considérablement… De très nombreux travaux ont montré les dangers liés à
l’incohérence des décisions individuelles quand elles concernent des
comportements ostentatoires ou positionnels. L’individu a bien souvent
besoin d’être protégé contre lui-même… Sur ce point, la question du
temps de travail est largement emblématique, (...). La dérégulation des temps
de travail (et souvent leur allongement) depuis les années 80 a eu un
impact direct sur la hausse des inégalités. Les longues durées
deviennent des marques de prestige qui poussent les individus à offrir à
l’entreprise une disponibilité toujours plus grande au détriment de
leur vie sociale, de leur vie de famille ou de leur santé. A ce petit
jeu du hamster dans sa roue, ce sont bien souvent les mêmes (les femmes
notamment) qui y perdent le plus… Tandis que les uns gagnent une
servitude volontaire plus intense dans ce qui ressemble fort à une
victoire à la Pyrrhus, les autres perdent perspective de carrière,
rémunération et motivation au travail.
La mise en avant de la liberté individuelle au travail est d’autant
plus pernicieuse qu’elle va de pair avec une implication personnelle des
travailleurs/ses bien plus grande. Puisque l’individu est amené à
choisir un certain nombre de choses, il devient responsable des
résultats de ses décisions et de ses éventuels échecs. Cette évolution
s’appuie alors sur des dispositifs d’évaluation eux-mêmes plus
individualisés. (...)
Les mécanismes de paiement au mérite, de primes individuelles, de
gestion personnalisée des carrières se sont largement diffusés. Cette
tendance conduit alors à une mise en concurrence des salarié·e·s qui
peut aller de la reconnaissance des meilleurs à la stigmatisation des
« moins bons »… Loin de se limiter au secteur privé, ce mode de gestion
des ressources humaines tend à se diffuser dans le public sous la
pression d’un « new public management » avide de mesure de la performance la plus individuelle possible (1).
Cette façon de rémunérer et d'évaluer le travail fait l'impasse sur les aspects sociaux, socialisés du travail.