Peugeot en Chine

Martine Bulard publie un article en libre accès sur le blogue du Monde Diplomatique (ici).

On apprend des choses intéressantes sur les conditions d'emploi dans l'automobile en Chine. Extraits.

M. Dominique Charyk, expert français en système de production, ne s’est pas senti « dépaysé » quand il est arrivé il y a quatre ans. Les cadences sont un peu plus lentes — 41 véhicules par jour contre 46 en moyenne en France. Mais les salariés travaillent dix heures par jour (en fait onze heures quand on prend en compte les pauses), six jour sur sept. Et sans syndicat. Il y a bien un représentant de la Fédération nationale des syndicats chinois — c’est obligatoire — mais il est choisi conjointement par le Parti communiste et par la direction d’entreprise. Il y a donc peu de chance qu’il se rebelle… La vie rêvée des patrons. Cela n’a pas empêché les salariés de Toyota de mener des grèves dures en 2010. Mais c’était dans le Guangdong, là où les concentrations ouvrières sont fortes, où des organisations non gouvernementales (ONG) en liaison avec des avocats aident les salariés à s’organiser de façon indépendante.
A Wuhan, il n’existe que deux associations de ce type et elles n’ont pas les moyens de s’attaquer aux entreprises d’Etat. D’autant que le sort des travailleurs est encore pire sur les chantiers de construction, innombrables dans cette capitale du Hubei, ou dans les petites usines du privé. Ce qui frappe en entrant sur la ligne de production de DPCA, c’est la jeunesse des travailleurs, vingt ans en moyenne. Et malgré les lunettes de protection que tous portent, ils soignent leur allure avec des coiffures ébouriffées ou gominées à la dernière mode. Ces jeunes migrants, qui viennent des campagnes alentours et ne rentrent chez eux qu’une fois par an, ne ressemblent en rien à leurs parents arrivés dans les années 1990. (...)
DPCA et Peugeot profitent de dépenses salariales défiant toute concurrence : 2 000 à 2 500 yuans par mois pour 60 à 66 heures de travail par semaine (250 à 300 euros par mois). De quoi engranger de solides profits, comme le confie M. Mouro : « Nous avons distribué 100 millions d’euros de dividende à chacun de nos deux actionnaires. Et nous paierons cash notre quatrième usine d’assemblage qui devrait produire 170 000 voitures dans un premier temps, puis 340 000 ». Le tout destiné au marché chinois et au marché des dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Anase) avec lesquels la Chine a un accord de libre-échange.

Pas de réimportation donc, souligne-t-on chez Peugeot. Sans doute. Mais rien ne dit que cela durera. Déjà, dans les automobiles de marques françaises, la part des produits importés a grimpé. Enfin, si les moyens de développement en Europe et en France se restreignent, l’emploi et la recherche finiront inévitablement par se rabougrir.
 À ce train, il se pourrait que l'avenir de l'employé français ressemble au présent de l'employé chinois ...

à moins que le Guangdong, la région chinoise traversée de luttes ouvrières victorieuses, ne fasse tache d'huile, que l'ouvrier chinois se 'gallicise'

à moins que le dogme du libre-échange ne soit remis en cause

à moins que, main dans la main, les ouvriers de France et de Chine ne se retrouvent avec de mêmes revendications

à moins que n'émerge un autre rapport de force

à moins qu'un autre mode productif n'émerge, un après emploi, un modèle salarial

à moins que le fin du pétrole ne rende tous ces machins parfaitement inutilisables

mais nous, nous n'avons rien à perdre. Nous leur laissons la crainte, la peur de perdre, le désir morbide de perdurer et croquons dans la pomme douce-amère de l'existence, nous peuplons le silence avec gourmandise, avec la confiance de l'enfant.