Nous allons examiner sa proposition à la lumière de nos propres critères.
- Certains revenus de base permettent aux gens de survivre hors du travail. Ce n'est pas le cas de celui-ci puisqu'il s'élèverait à 400€. On ne sait rien faire avec cette somme, elle contraint les récipiendaires à la misère, au travail au noir (ce qui est bien sûr une forme d'emploi), à la précarité, etc.
- Philosophiquement, Maris justifie le RME par la rente de l'héritage des savoirs-faire des ancêtres.
Il l'évalue à 15% du PIB , soit, pour la France, 300 milliards €, effectivement 400€ par mois.
Il cite des sources mais sans expliquer le calcul - à mon sens, sans culture, sans langage, sans civilisation, sans arithmétique, la production du PIB n'existerait pas mais passons.Le problème de ce genre d'argument est double.
1. Le pauvre devient un rentier, ce qui est retournement de la situation assez vertigineux. C'est la misère qui fait l'aiguillon de la nécessité, c'est elle qui permet les profits de 700 milliards € par an en France.
2. La justification du revenu n'est pas le travail, la production ou même le mérite mais une rente de situation. Les récipiendaires bénéficient d'une largesse, pas d'un droit. Par ailleurs, on voit mal les rentiers que seront devenus les misérables réclamer un régime hostile à la rente alors que cette rente leur mange leurs ressources, leur temps vendu de l'emploi ou leur santé, alors que cette rente les condamne à l'asservissement économique.
- Maris prétend que le revenu de base est rejeté par les libéraux. Indépendamment de la légèreté de l'argument - si les libéraux rejettent la torture animale, faut-il la pratiquer? C'est tout simplement idiot. L'argument est tout à fait faux puisque le chef de file des néoclassiques libéraux, le très tatchérien, très pinochetien et très reaganien Friedman l'appelait de ses vœux et qu'il est ici soutenu par un conseiller de banque. L'initiative actuelle de revenu de base (famélique) européen reçoit le soutien de banquiers, de professeurs d'université libéraux ou de chefs d'entreprise. Cette solution fait porter sur les classes moyennes le 'coût' de la pauvreté sans toucher le moins du monde aux profits. Cette solution n'est donc absolument pas altruiste, il s'agit d'un keynésianisme au rabais (400€, comment osent-ils? sans toucher aux rentiers!).
- Par rapport au monde du travail, ce revenu de base ne diminue absolument pas la contrainte de l'aiguillon de la nécessité (on ne sait rien faire avec 400€ par mois) et ne résout absolument pas les tragédies de l'employisme.
1. Il ne libère pas le travail de la soumission de l'emploi. Concrètement, les travailleurs doivent toujours prester des tâches sur lesquelles ils n'ont pas de prise pour produire une production qui se justifie exclusivement par la valeur ajoutée qu'elle génère sans égard pour la santé des populations, pour l'environnement, pour le confort du travailleur.
2. Il justifie les profits des propriétaires lucratifs par la redistribution. Comme les injustices les plus criantes sont atténuées par ce dispositif, ce qui, paradoxalement, les rend supportables sans en atténuer la dureté.
3. La démocratie reste confinée dans l'absurde enceinte extérieure du travail. La créativité, l'inventivité humaine restent bridées par les passions tristes, ennemies du conatus (voir ici), de l'énergie de vie des producteurs.
- Ce revenu sera contrôlé par des pouvoirs publics qui s'empresseront de le sucrer le jour où les industriels auront besoin de main-d’œuvre - comme cela a été le cas avec le Speenhamland Act.
- Ce revenu risque d'être retiré des salaires réels - c'est ce qui le rend, contrairement à ce qu'affirme Maris, très sympathique auprès de la frange éclairée des libéraux. Il rend - comme Maris l'explique très bien - les employés beaucoup plus flexibles. Ils acquièrent le droit de vivre en attendant de se vendre à l'esclavagiste-employeur suivant dans une liberté irresponsable en pointillé. Ces employés précaires ne pourront pas élever de famille, ils ne pourront pas entreprendre des projets ambitieux, ils seront (encore et toujours) traités comme des mineurs économiques et, entre deux contrats d'esclaves tristes, ils pourront jouer de la guitare et fumer ce qu'ils veulent (merci monsieur Maris).
Le RME n'a absolument aucun intérêt dans une perspective d'émancipation de l'emploi à moins qu'il ne soit
- un salaire socialisé financé par des cotisations sociales
- suffisant pour vivre et faire des projets
- soit accompagné d'une socialisation de la valeur ajoutée, d'une démocratisation de l'économie.
Par ailleurs, on ne comprend pas pourquoi le conseiller de la Banque de France s'obstine à parler de société post-capitaliste pour une mesure qui ressemble à s'y méprendre à un RMI inconditionnel (maintenant RSA socle), mesure qui n'a, semble-t-il, pas suffit à dépasser le capitalisme dans l'hexagone. Sauf que le RSA socle s'élève, lui, à 492,90€, plus de 90€ de mieux que le RME post-capitaliste de Maris. Et ce revenu serait émancipateur de quelque façon?