Tranches de vie précaires

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Nous vous traduisons et résumons un article de paru dans The Guardian (ici, en anglais). Les photos sont extraites de cet article.

Quatre jeunes précaires états-uniens nous partagent leur expérience professionnelle dans des jobs sous-payés. Cet article est un peu long mais il a le mérite d'entrer dans le concret des boulots les plus merdiques, les moins bien payés, ces boulots qui peuplent nos restaurants fast-food ou nos centres commerciaux, ces boulots vous les croisez tous les jours - même si vous êtes fonctionnaires.

Ces témoignages sont per se une charge impitoyable contre l'emploi et un plaidoyer pour le salaire. Ils montrent que ces boulots déconsidérés sont aussi charpentés par la qualification.

Quant on sait la pression subie par les employés aux États-Unis, la situation décrite dans l'article révèle une souffrance au travail indicible. Nous nous surprenons à rêver que ce pays, si prompt à parler de liberté, si prompt à valoriser le travail bien fait, le travail en main,se  prenne en main en se débarrassant des propriétaires lucratifs et des employeurs, en affranchissant l'activité de l'emploi.

L'économie de bouts de ficelle est celle qui prévaut depuis maintenant plus de cinq ans. Les boulots bien payés, à plein temps se font rares.

Un dixième des chômeurs américains de longue durée font face à l'emploi intermittent - une semaine, ils ont du travail, une autre ils n'en ont plus. 14% d'entre eux se contentent d'emplois stables à temps partiel.

La seule alternative, c'est de se retirer complètement de l'emploi. Il y a actuellement 3,8 millions d'Américains qui n'ont pas eu d'emploi depuis plus de six mois. 40% d'entre eux environ ont entre 16 et 34 ans. Beaucoup d'entre eux ont leur bac et acceptent cependant des boulots mal payés pour avoir des revenus réguliers. Plus de 18% d'entre eux sont sous-employés et ils sont pourtant fiers du travail qu'ils font ou qu'ils ont fait dans de tels emploi.
Beaucoup de ces jobs sont payés au salaire minimum, souvent moins de trente heures par semaines et exigent beaucoup de travail manuel subalterne. Ils sont l'un des rares choix qui se présentent à celles et ceux qui cherchent du travail. Tout le monde n'est pas capable d'éplucher les offres d'emploi dans le commerce de détail ou dans l'industrie des services. Quatre témoignages.

Caroline Albanese, 23 ans, Long Island, New York





US Money balloons job Party City
More than just hot air. Photograph: Jezper/Alamy

 Au début, la plupart des employés ici à Party City étaient des étudiants qui avaient besoin d'argent de poche pour leur voiture. En 2007, au début, il n'y avait que peu d'employées depuis longtemps, l'une d'elles travaillait de 6h à 16h et allait chercher ses enfants à l'école. Cela payait son loyer. Le manager était plus âgé aussi.Au fur et à mesure que je suis restée là, les employés sont devenus de plus en plus âgés.
Comme je sortais de l'école à deux heures, je restais ici de trois heures à neuf heures. Je faisais cela presque tous les jours. Dès que j'ai eu une voiture, j'ai commencé à travailler les week-ends et j'ai commencé à venir plus tôt puisque je ne devais plus me tracasser d'être ramenée.
 Quand vous êtes au lycée, on ne vous donne pas des tâches aussi difficiles que quand vous êtes plus vieux. Ils mettent plus les filles de 16 ans aux caisses parce qu'ils savent que si vous aviez le choix, vous partiriez en moins de deux mois. Ils ne vont donc pas vous secouer ou vous donner des responsabilités.

En deuxième, à l'université, j'avais besoin de plus d'argent parce que je payais mes frais de scolarité, j'ai donc demandé d'avoir un emploi de superviseur. On me laissa alors le choix entre un boulot à plein-temps (et l'école à temps partiel)  avec un paie plus élevée - et ce n'était pas vraiment un horaire de temps plein. C'était juste que je serais payée davantage et aurais plus de responsabilités et qu'ils m'appelleraient si quelqu'un devait manquer pour que je le remplace. Je n'aurais pas pu le faire parce que je n'aurais pas pu suivre à l'université, je n'aurais plus pu étudier.

Je devais trouver une autre façon d'y arriver: au lieu d'avoir plus d'heures en semaine, je travaillerais plus le week-end et un jour par semaine, quand je n'avais pas classe ou quand j'avais classe le soir. Je travaillais quelque 30 heures par semaine sur trois jours.

J'étais alors au comptoir des ballons. 90% de leur commerce est autour des ballons et de tout ce qui est saisonnier. Je me levais alors généralement vers 4 heure du matin, quittais ma maison à 5, arrivais là à 5 heures et demi, avant qu'ils n'ouvrent. J'attendais que le manager nous ouvre les portes et allais directement au comptoir. Je recevais alors les commandes de ballon du jour - jusqu'à un certain point puisque les ballons se dégonflent. Il y  en avait des dizaines que je devais gonfler jusqu'à 8 ou 9 heures, je devais les attacher ensemble et en vérifier l'agencement une fois que les commandes avaient été remplies. Une fois que le magasin était ouvert, je devais continuer à remplir les commandes pour le reste de la journée tout en courant partout dans les allées pour descendre les stocks pour le reste de la semaine. On avait des oreillettes avec lesquelles ils m'appelaient si j'étais au comptoir à ballons et qu'ils avaient besoin de moi dans l'allée.

Les clients étaient horribles. On dit que c'est parce que le magasin est situé dans la partie riche de Long Island que les clients sont très chics. Je pense que c'est comme cela qu'on voit l'industrie du service: que l'on attend d'elle qu'elle fasse tout pour vous.

À la fin, j'étais tellement fatiguée. C'était un travail subalterne. Les magasins étaient jonchés de paillettes, de confettis. Les enfants aimaient toucher des choses qu'ils n'auraient pas dû toucher. Il fallait balayer beaucoup. Souvent, ce n'était pas dur mais c'était épuisant parce qu'on était debout, à attacher des ballons, à monter et descendre des échelles, à gérer des clients difficile tout en s'assurant que le magasin reste propre et en se débrouillant avec la gestion de l'espace de travail. 

Il fallait obéir aux managers, y compris à ceux qui ne vous aimaient pas. Il y a beaucoup d'endroits avec des pointeuses pour entrer et sortir comme tout le monde savait quand vous arriviez et quand vous partiez. Les gens qui sont là quand vous travaillez font une coupure pour gagner l'argent dont ils ont besoin. 
Quand je suis partie parce que j'avais trouvé un emploi ailleurs, les gens étaient heureux, non par jalousie mais parce qu'ils étaient soulagés que j'aie pu m'en aller.

Ng Ju San, 25 ans, Chinatown, New York, NY

Mon premier emploi aux États-Unis, c'était au Macdo. J'avais alors 19 ans et c'était le seul job que je pouvais décrocher puisque je venais juste d'arriver aux USA de Malaisie. Je ne pense pas que j'aurais pu avoir un autre boulot. J'ai donc étonnamment décroché ce job Macdo.




US Money mcDonalds work job
While working at McDonald's isn't exactly fun, it's not all bad either. Photograph: Graeme Robertson
À ce moment-là, je crois que mon anglais n'était pas assez fluide pour être caissière. Le manager m'a donc placée dans l'équipe restaurant. Je devais y préparer les frites, retourner les burgers et m'occuper de l'arrière-cuisine. Je ne parlais jamais aux clients.
Il n'y a eu littéralement aucune formation. Le premier jour de travail, votre entraînement, c'est de faire tout ce que fait le gars à côté de vous. S'il retourne le burger, vous retournez le burger. Vous apprenez en faisant, c'est votre formation.

Ma première semaine là, j'ai travaillé cinq jours, par périodes de huit heures. Vous restez debout et bougez. Je devais nettoyer. Je devais passer la serpillière au sol et nettoyer, notamment, la friteuse, la dégraisser. Cette friteuse, c'est une énorme machine en plastique dans laquelle vous jetez vous frites. À la fin de la journée, il faut la dégraisser entièrement, jeter l'huile. Il faut l'essuyer jusqu'à effacer les taches d'huile dessus. C'est une des tâches les plus pénible. Je travaillais le matin de 7h à 15h au Macdo. Je travaillais après de 18h à minuit, dans un restaurant chinois comme serveuse. Je ne pouvais pas aller à l'école car j'avais raté le délai d'automne et il n'y avait rien à faire à part travailler pendant les six premiers mois.

Je suis restée six mois au Macdo avant de commencer à travailler, à 20 ans, au Starbucks. C'était terrible. Il n'y avait aucun Américain d'origine. Beaucoup de travailleurs étaient Porto-ricains, Nicaraguayen ou Dominicains. 

C'était une bonne expérience d'apprentissage pour moi. J'étais la seule Asiatique, mais je ne me sentais pas étrangère. C'était un bon endroit pour m'habituer à l'environnement de New-York.




Starbucks cups
Not so bad. Photograph: Stephen Chernin/Getty Images
Les travailleurs là avaient à peu près mon âge ou un tout petit peu plus. 
Ce que j'aimais chez Macdo, c'est les gens avec qui je travaillais: je me sentais chez moi. Notamment parce que nous partagions le même passif: les États-Unis ne sont pas leur pays d'origine, ils sont venus ici comme immigrés. L'anglais n'est pas leur langue maternelle. Ils comprennent mes difficultés à communiquer.

Le manager passait son temps à regarder le système "point of sales" (POS), un logiciel pour restaurant qui permet de contrôler que personne n'ait trop d'heures pour ne pas devoir les payer trop. Parfois, il y avait trop de clients, mais le POS faisait remarquer au manager 'Eh, vous payez trop en salaire'. Il disait alors: 'Oh, vous devez rentrer chez vous'. Même lorsque tout le monde travaillait au maximum parce que les commandes rentraient. Il vous renvoyait tout de même parce que l'algorithme lui disait qu'il avait trop de frais et qu'il fallait qu'il coupe jusqu'à ce qu'il n'améliore les profits. Ceux qui restaient se retrouvaient avec encore plus de commandes mais moins de collègues pour travailler.

 À Starbucks, c'est moins agité. C'est plus froid, plus calme. Très différent de Macdo. La clientèle est meilleure, c'est différent. L'environnement est différent. Il n'y a pas cet environnement moite, huileux, gras qu'on associe à Macdo.

À Starbucks, je travaillais de 25 à 30 heures semaine et allais à l'école à temps plein. Je travaillais systématiquement pendant les week-ends et les vacances. Dans ce secteur, quand tout le monde est en vacances, vous ne l'êtes pas, vous devez travailler.

Après ces deux boulots, j'ai eu un emploi de réceptionniste juridique dans une association sans but lucratif au centre ville. Au Macdo, je gagnais 7,25 $ l'heure (5,6€). À Starbucks, je gagnais un peu plus de 8$ (6,2€). Il fallait travailler très dur dans les endroits. C'était un travail manuel, alors que, dans le travail de réceptionniste et comme traductrice, je gagne 15$ (11,5€) l'heure juste pour être assise et ne rien faire.

Jessica Flores, 24 ans, Queens, New York

Je travaille dans un supermarché, Waldbaums. C'est une épicerie. J'étais caissière mais, maintenant, je suis un volant. Je suis un superviseur en fait. Je fais un peu de travail de bureau. Je m'assure que tout l'argent des registres soit correct, je vérifie la monnaie. Je nettoie le magasin. Si un caissier a un problème, ils doivent m'appeler pour que je puisse régler les choses avant qu'un manager soit impliqué.




US Money
Cashier wanted. Photograph: Mark Lennihan/AP Photo
Cela fait plus de six ans que je travaille ici. J'ai commencé en Octobre 2007. C'était mon premier job, en fait. Je suis encore à l'école. Le magasin est juste au coin de la rue où je vis. C'est un emploi syndiqué, ce n'est donc pas si mal et il me reste du temps libre pour me concentrer sur les cours. 

J'ai toujours travaillé à temps partiel. L'entreprise, outre les managers, n'engagerait aucun emploi à plein temps maintenant. Ils avaient quelques temps plein mais ils sont partis à la retraite. Et depuis que l'Obamacare a fait son apparition, même si vous le voulez, personne ne peut être à plein temps. Mon entreprise n'est pas si bonne. Ils diminuent sans arrêt le nombre d'heures de travail. À un moment, je faisais 35 heures par semaine. Maintenant, j'en fais 27. C'est le maximum qu'ils vous donnent pour une semaine. Mon horaire change toutes les semaines - toujours entre 20 et 27 heures.

En ce moment, je suis des cours en ligne et j'essaie d'obtenir une licence de vétérinaire. Outre ce job, je travaille dans deux cliniques. J'essaie d'en obtenir un autre. Si tout marche bien pour moi, je pourrai alors quitter ce boulot. Les employés sont mélangés ici. La plupart des gens du matin sont des travailleurs plus âgés qui travaillent pour l'entreprise depuis 20 ans. C'est leur principale source de revenu. À partir de 15h, ce sont surtout des jeunes qui sont à la fac, de 22 ou 23 ans.

À Waldbaums, tout le monde commence avec le salaire minimum. Chaque année, vous avez une petite augmentation. Comme volant, je n'ai pas vraiment été augmenté. C'était un contrat syndical - notre syndicat n'est pas très bon - avec la compagnie qu'il n'y aurait pas d'augmentation avec un an, pas d'augmentation pour qui que ce soit. Je fais la même chose que ce que je faisais avant.

James Lanning, 23 ans, Brooklyn, New York

Je travaille à The Bean, un salon de café à New-York. D'habitude, je travaille de 15h à 1h du matin. Je suis chef d'équipe. Il y d'habitude trois personnes par équipe tout le temps. Je doit m'assurer que tout soit fait dans le magasin. Je dois contrôler les gens autour. En fait, je dois m'assurer du boulot et suis responsable de tout ce qui doit être fait.




US Money job coffee shop barista
Votre barman pourrait avoir un master. Photograph: Andrew Bret Wallis/Getty Images
 J'ai commencé comme barman une semaine avant Noël. Je n'ai travaillé que quelques mois ici. Après un mois et demi au travail, j'ai eu une promotion. Mon boulot, c'est préparer des boissons, m'assurer que le magasin soit propre, vérifier les poubelles, nettoyer le comptoir - typiquement le genre de chose que vous faites dans n'importe quel job d'industrie de service dans lesquels vous devez être à l'aise pour nettoyer la vaisselle ... et pour les poubelles, ce qui est universel.

J'ai été diplômé à l'université de New-York en 2012. Un master en journalisme et études africaines, mais je n'ai jamais poursuivi. J'ai déménagé pour six mois à Silver Spring (Maryland). C'est à près de 20 km au nord de Washington DC. J'ai eu un job comparable à celui que j'ai ici dans une pizzeria. J'ai travaillé comme caissier et je m'occupais des commandes. J'ai alors emménagé ici. Et, une fois que je suis revenu, je suis retourné à Brooklyn, je suis devenu barman. J'ai rebondi dans ce genre de travail d'industrie des services depuis que je suis diplômé. Au The Bean, j'ai commencé à 6,9€ de l'heure. Tout le monde commence là. Maintenant, je gagne 7,7€.

Je travaille au moins 40 heures par semaine et mes heures supplémentaires sont payées. Ils sont très complaisant pour les horaires, très compréhensifs. Il y a beaucoup de rotation (turnover), comme dans les salons de café ou les restaurants mais il y a toujours de 12 à 15 employés à tout le temps de telle sorte que les gens ne doivent pas faire des heures supplémentaires s'ils ne le souhaitent pas.

Il y a des gens de tous horizons - la majorité sont dans l'enseignement supérieur ou sont diplômés. Quelques personnes sont plus âgées, elles étudient l'art ou la musique. C'est en quelque sorte pourquoi je travaille ici en ce moment. Il n'y a que deux personnes qui ont plus de 26 ans.

 J'ai beaucoup de prêts étudiants. J'en ai pour un moment à les rembourser. La partie la plus difficile de ce genre de boulot, c'est les gens - pas les gens avec qui vous travaillez mais les managers et les propriétaires. À The Bean particulièrement, ils sont étonnants et compréhensifs. Dès que vous avez besoin de repos, ils vous disent de simplement leur faire savoir. Avec les clients, il y en a toujours un ou deux ... Je comprends les gens qui ont eu une mauvaise journée. 

Souvent les gens disent 'Oh, ne vous inquiétez pas. Vous allez trouver un vrai travail bientôt'. Surtout quand vous avez un master, que vous avez été dans l'enseignement supérieur. En fait, c'est assez humiliant comme chose à entendre, pour être franc, puisque je ne vois pas le problème à être barman ou quoi que ce soit. Tant que vous travaillez, tant que subvenez aux besoins de votre famille, je pense qu'il n'y a pas de raison d'en être honteux.