Nous fêtons les septante ans de la sécurité sociale en Belgique aujourd'hui.
C'était après la guerre. Sous la pression des producteurs qui avaient toujours leurs armes de résistants, les franges les moins réactionnaires du patronat et le monde politique acceptaient le compromis de la sécurité sociale.
Pour la première fois, de manière systématique et massive, le salaire allait être déconnecté de l'emploi. Par cet acte fondateur, l'économie belge allait profiter de décennies de prospérité générale, de décennies pendant lesquelles des millions de producteurs allaient pouvoir produire hors de l'emploi.
Certains disent aujourd'hui que septante ans, c'est un âge trop avancé pour inspirer l'action politique.
Nous affirmons le contraire en soulignant que la sape de la sécurité sociale depuis une trentaine d'années, la disparition programmée des salaires socialisés nous ramènent également dans le passé, dans le passé antérieur à la sécurité sociale, celui des enfants dans les mines, celui des vieillards laissés à la faim, celui des crises économiques bisannuelles, celui des luttes des désespérés héroïques, celui de la misère générale, des ouvriers mourant de froid sur un tas de charbon, des ouvriers mourant de faim sur des silos à blé.
Nous appelons à généraliser le principe de la pratique salariale de la sécurité sociale par cotisation à l'entièreté du salaire. Nous appelons à produire ensemble, sans employeur mû par l'appât du gain.
Cet appel est réaliste, il est ancré dans les crises qui sont apparues avec l'affaiblissement de la sécurité sociale de ces dernières décennies; il offre un avenir à nos enfants, une ambition aux producteurs dans la force de l'âge et une sérénité active aux aînés.
Nous appelons à l'humanisme, à la foi en la vie et en l'humain, qui a inspiré nos illustres aïeux. Nous rappelons l'énergie qui a animé les résistants, nous rappelons ce pour quoi ils se sont battus. Nous rappelons que les discours de "raison" dans un monde en train de sombrer sont des discours insanes.
Les résistants ne sont pas battus pour tel ou tel drapeau. Ils se sont battus pour le droit au bonheur. Ils ne sont pas battus pour aliéner leur liberté à un employeur plus riche qu'eux mais pour disposer de leur vie - hors de l'usine, hors du bureau aussi bien qu'à l'intérieur.
C'est que la liberté ne se divise pas, elle ne se négocie pas, elle ne se rogne pas. Elle n'admet ni propriété lucrative, ni aiguillon de la nécessité, ni terreur du chômage ou de l'emploi.
Nous vomissons la charité ou la solidarité de ceux qui ont envers ceux qui n'ont pas. Nous ne cherchons qu'à récupérer notre propriété d'usage légitime. Nous avons cessé de nous voir comme des coûts, comme des assistés. Nous sommes des producteurs, pleinement humains. Nul ne peut nous enlever cette dignité - pas même le petit confort corrupteur des prébendes.
Nous appelons à prendre ce qui est nous: salaire, usine, bureau, temps, famille et travail. Nous appelons à en exiler les employeurs, les actionnaires. Nous appelons à l'abolition de la propriété lucrative, à la démocratisation de la propriété d'usage. Nous appelons à pouvoir enfin réaliser les immenses tâches qui nous attendent depuis trop longtemps: le soin des malades, l'éducation des enfants, la restauration du bâti, la transition énergétique et l'adaptation de l'agriculture aux besoins de l'humain et de ses environnements - pour n'en citer que quelques unes.
Nos tâches sont immenses, nous n'avons plus guère le temps de nous encombrer de leurs médiocrités comptables, de leurs calculs, de leurs chiffres et de leur bilan sans lien avec nos problèmes, sans lien avec les enjeux de l'époque. Le déséquilibre comptable de la sécurité sociale est un vulgaire artefact. Comme les prestations sont incompressibles, ce sont les cotisations qui doivent être revalorisées. Les prestations sont des ajouts de valeur économique, de valeur ajoutée, pas des ponction. Elles portent en elles la révolution de la pratique salariale de la valeur, de la fin de la subordination du temps à la propriété lucrative, à l'appât du gain.
Nous appelons à cesser de plaisanter, à cesser de perdre notre temps avec l'avidité des possédants, avec la servilité de leurs laquais médiatiques, avec la stupidité des décisions économiques prises au nom de la plus-value, des intérêts des actionnaires ou de la diminution (de l'externalisation en fait) des coûts.
Nous n'avons plus le temps de faire perdurer l'inhabitable, de malmener dans l'emploi notre santé mentale, notre santé physique, la santé du monde que nous peuplons, la santé de nos frères et de nos sœurs ici ou à l'autre bout de la terre.
Nous n'avons plus de temps à perdre. Le temps doit revenir nôtre. Il en va de notre vie, de nos mondes.