Enquête chez les travailleurs détachés

Marianne nous emmène chez nous pour un reportage émouvant sur les travailleurs détachés en Europe (ici, en français). Misère, exploitation, violation des règles de sécurité les plus élémentaires, il n'y a pas de petites économies, il n'y a pas de petit profit.

Derrière la liberté de circulation des esclaves-employés, c'est une guerre à mort contre le salaire et les conditions de travail. Cette guerre fait des morts, ici et ailleurs.

Extrait

En 1996, les crânes d'œuf de Bruxelles bétonnent une directive autorisant le « détachement temporaire de travailleurs » entre pays de l'UE. Alimentée par la disette qui sévit au sud, facilitée par les écarts de niveau de vie entre anciens et nouveaux entrants, la braderie tourne depuis le milieu des années 2000 à l'opération déstockage. Soldes à l'année, prix discount garantis. « Cette pratique est compétitive car ces salariés voyageurs restent assurés dans l'Etat d'établissement de leur employeur, avance Fabienne Muller, chercheuse en droit social à l'université de Strasbourg. Or, pour un non-cadre, les cotisations patronales varient de 38,9 % en France à 24,6 % en Espagne, 18,3 % en Pologne, pour tomber à 6,3 % à Chypre ! » Inutile de tyranniser les calculettes pour comprendre qu'entre le détachement et les employeurs français l'attraction est fatale.

De 10 000 en 2000, les pèlerins du turbin sont, selon le ministère du Travail, 145 000 aujourd'hui. « Ils permettent aux entreprises utilisatrices de réaliser une économie allant jusqu'à 25 % », note un inspecteur du travail. Juteux, oui, mais pas assez. En février 2011, un rapport parlementaire éclaire la face cachée du phénomène et porte le nombre de détachés à 435 000 : moult itinérants, dont un tiers tribulent dans le BTP, échappent en effet aux statistiques à force de magouilles. 

Les zélés du désir

L'employé devient un objet qu'on utilise. Le producteur doit se conformer instantanément au désir du consommateur et du financier. Le travail devient liquide ... Explications du philosophe-économiste. Le producteur broyé comme chose est un consommateur dont le désir doit être instantanément accompli.

http://vimeo.com/98439353

Les zélés du désir

L'arbre des intermittents cache la forêt des précaires

On nous rappelle que, derrière la réforme du statut d'intermittent, ce sont tous les précaires qui sont sur la sellette, les intermittents servent de paravent à une réforme plus large qui s'attaque aux intérimaires dans le BTP ou dans la restauration.

Par ailleurs, nous répétons qu'il est suicidaire de faire valoir son droit au salaire au nom de l'utilité de la prestation professionnelle: c'est associer le salaire au mérite et le mérite au travail concret. C'est au contraire le statut, le travail abstrait, le salaire qu'il faut avancer en tant que droits du producteur et l'appartenance des travailleurs à la dignité de producteurs, que nous soyons dans l'emploi, dans la précarité ou hors emploi.

On ne sortira du chantage à l'emploi, du modèle assurantiel en pyramide de Ponzi que par ce truchement, on n'émancipera le travail de l'actionnaire et de l'employeur qu'en faisant valoir un salaire déconnecté du travail concret, un salaire pour tout et pour tous les producteurs.

C'est un piège de faire valoir l'utilité des artistes comme justification du salaire. Ce piège peut se refermer sur les artistes eux-mêmes: on aura beau jeu de leur renvoyer leur nombre insuffisant de prestations ou le lien entre leur rémunération sous l'emploi et leur dédommagement comme chômeurs temporaires.

Ce sont les salaires qui créent la valeur économique - et eux seuls - dans un processus que la propriété lucrative des actionnaires parasite. Il faut logiquement affirmer notre droit de salariés à un statut qui nous reconnaisse en tant que tels tout en nous libérant de l'emploi, mode d'organisation de l'activité humaine anxiogène, débilitant, contre-productif, pillant les qualifications humaines et les ressources naturelles.

Nous n'avons nul besoin de la menace, du pouvoir d'un actionnaire pour produire de la valeur économique et n'avons nul besoin de produire de la valeur économique pour produire des choses concrètes, pour "être utiles". Tous les êtres humains sont utiles, tous les êtres humains sont créatifs mais le salaire reconnaît le statut de producteur économique: en tant que tels nous y avons droit.
Ces intermittents qui cachent involontairement la forêt
blogs.mediapart.fr

L'homo œconomicus est mort


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  • Résumé

Cette note résume et traduit un article collectif, À la recherche de l'homo œconomicus : expériences comportementales dans 15 sociétés à petite échelle1

L'article démontre de façon comportementale que les sujets de groupes humains isolés, non capitalistes, ne réagissent pas comme le modèle de l'homo œconomicus le prévoit. Ils ne maximisent pas nécessairement leur gain et peuvent renoncer à un gain probable.

  • Note de lecture
 
L'étude constate que les comportements des sujets issus de 17 communautés non capitalistes ne correspondent pas aux prédictions du modèle de l'homo oeconomicus. Les sujets sont souvent motivés par autre chose que leurs propres profits matériels. Beaucoup s'inquiètent de justice et de réciprocité, veulent changer la distribution des ressources matérielle – y compris à leurs dépends – et veulent récompenser ceux qui agissent de manière coopérative et punir ceux qui ne coopèrent pas. Ces déviations par rapport au modèle théorique de l'homo oeconomicus ont de l'importance pour la modélisation de nombre de phénomènes économiques – parmi lesquels la conception des institutions optimales, le droit contractuel et le droit de propriété, les conditions de succès d'action collective ou la résistance de primes salariales non compétitives.
Le jeu ultime (UG en anglais) a été essayé à travers le monde avec des populations étudiées. Le « proposeur » dans ce jeu reçoit l'équivalent d'un jour ou deux de revenus dans la société et doit offrir à une autre personne, le « répondeur ». Le répondeur peut alors soit accepter l'offre, auquel cas, les deux joueurs reçoivent le montant proposé, ou la refuser, auquel cas les joueurs ne reçoivent rien du tout. Si les deux joueurs se conforment au modèle canonique [l'homo oeconomicus], et si tout le monde le sait, il facile de voir que le proposeur saura que le répondeur acceptera toute les offres positives et offrira donc le plus petit montant possible, ce qui sera accepté.
Dans la plupart des champs d'expérience, les sujets ont joué de manière anonyme, ils ne connaissaient pas l'identité de la ou des personnes avec qui ils faisaient équipe. Les enjeux de la plupart des jeux étaient libellés en argent bien que, dans certains cas, le tabac ou d'autres biens aient été utilisés. Dans tous les cas, nous avons testé les participants et nous avons éliminé ceux qui ne semblaient pas comprendre le jeu.

Les offres ont souvent dépassé les 25 %, allant au-delà de 50 % chez les Aché et les Lamelara [alors que le modèle canonique prévoit des offres très faibles]. Les offres dans les sociétés industrielles tournent autour de 50 %, celles des autres sociétés varient entre 15 et 50 %. Le taux de refus des offres de moins de 20 % est compris entre 40 et 60 % dans les sociétés industrielles alors que le taux de refus des offres basses est très faible dans les autres sociétés. Cependant, dans d'autres groupes, on observe un taux de rejet considérable, même des offres de plus de 50 %. Chez les Achuar, les Aché et les Tsimané, on n'observe aucun rejet après 16, 51 et 70 propositions. De plus, alors que les Aché et les Achuar faisaient des offres honnêtes, près de la moitié des offres de Tsimané étaient inférieures à 30 % mais elles furent toutes acceptées. À l'autre extrémité, les répondeurs Hadza ont rejeté 24 % de toutes les offres des proposeurs et 43% des offres en dessous de 20 %. Contrairement aux Hazda qui préfèrent rejeter les offres trop basses, les Au et les Gnau de Papouasie Nouvelle-Guinée ont rejeté aussi bien les propositions honnêtes que les propositions hyper-généreuses (plus de 50%) avec une fréquence presque égale.
Dans les expérience avec les universitaires, les offres sont généralement en phase avec la maximisation des revenus, vu la répartition des refus. Dans notre échantillon, cependant, dans la majorité des groupes, le comportement du proposeur ne correspond pas à la maximisation des revenus. Chez les Tsimané et les Aché, par exemple, les offres en dessous de 20 % n'ont pas été rejetées. Le taux de refus des autres propositions est également de zéro. Cependant, l'offre prévue par le modèle est de 50 % et les offres moyennes sont de 37 % et de 51 % respectivement. Quand c'était possible, nous avons utilisé la relation entre l'importance de l'offre et la proportion de rejet pour évaluer les offres qui maximisaient les revenus dans le groupe considéré. Dans un groupe, les Hazda, les proposeurs approchaient de l'offre maximisant les revenus. Mais les répondeurs Hazda rejetaient régulièrement les propositions généreuses en violation du modèle canonique. Dans tous les autres groupes, les offres moyennes dépassaient l'offre maximisant le revenu, dans la plupart des cas, de manière assez substantielle.

L'indépendance économique individuelle des acteurs économiques des sociétés considérées et leur intégration dans un système capitaliste ne sont pas corrélées de manière significative avec la générosité des offres. Face à une situation d'offre inhabituelle, les gens se réfèrent à leur cadre de vie habituel et, dans une société de don et contre-don, l'acceptation d'une offre généreuse engage à offrir la réciproque à un moment donné alors que les Hazda craignent les conséquences sociales de l'absence de partage

Alors que nos résultats n'impliquent pas que les économistes doivent abandonner le cadre rationnel, ils suggèrent deux révisions majeures du modèle. 
 
1. D'abord, le modèle de l'acteur égoïste, maximisateur de retour matériel est systématiquement violé. Dans toutes les sociétés étudiées, les offres UG sont positives et souvent largement excessive par rapport à l'offre attendue qui maximise les revenus, comme le sont les contributions dans les les jeux de biens public alors que les refus d'offres positives dans certaines sociétés arrivent assez régulièrement.

2. Les choix économiques sont déterminés non par des éléments extérieurs mais par les pratiques économiques des sociétés elles-mêmes, par leur vie quotidienne. 

 

1 In Search of Homo Economicus: Behavioral Experiments in 15 Small-Scale Societies

Auteurs: Joseph Henrich, Robert Boyd, Samuel Bowles, Colin Camerer, Ernst Fehr, Herbert

Gintis, Richard McElreath

Source: The American Economic Review, Vol. 91, No. 2, 2001, disponible à http://www.jstor.org.

Histoire des luttes de chômeurs 2 - Le chômage conjoncturel (1970-1995)

Cet article est écrit avec Riposte-CTE (voir leur site ici), il s'inscrit une suite d'articles retraçant l'histoire des luttes de chômeur 

La première vague des luttes de chômeur, c'était l'auto-production suite aux fermetures d'usine (voir Glaverbel ici et Lip ici, par exemple).

  • Luttes dans les usines

La deuxième vague a déferlé dans les usines: la lutte pour les 36 heures et la pension à 60 ans (voir les ACEC de Charleroi ici, les travailleurs ont obtenu les 36 heures par étape, sans création de poste d'emploi et par augmentation de la productivité).

Extrait du journal de l'UCLMB, 18/9/75
Au sein du mouvement Marxiste-Léniniste très minoritaire dans le mouvement ouvrier, il y avait la revendication d'une allocation de chômage de 100% du salaire. Au sein du mouvement syndical traditionnel, c'était la revendication du plein emploi qui a eu le succès que l'on sait.

  • Les comités de chômeurs

À partir de 1976, il se crée des comités de chômeurs. Ils reprennent la tradition communiste des années 30 (voir Guy Vanthempsche, Le Chômage en Belgique de 1929 à 1940, son histoire, son actualité et notre article sur le pacte social ici): à ce moment-là, il n'y avait que les communistes qui organisaient les chômeurs. En Belgique, on appelait le Parti Communiste, le Parti des Chômeurs. Ces comités sont créés par ce que les sociologues appellent des gauchistes, c'est-à-dire les mouvements trotskyste, anarchiste et marxiste-léniniste. La revendication principale était la lutte contre les exclusions (c'était l'article 143 à l'époque - voir ici), les 36 heures et la pension à 60 ans.

L'article 143 prévoyait l'exclusion du bénéfice des allocations des chômeurs cohabitants de longue durée - y compris les travailleurs à temps partiel. Cette mesure pénalisait essentiellement les femmes en ménage.

  • Les TSE

À Charleroi, en 76 toujours, un comité est créé par des militants syndicaux de base mais ce comité reiciste isolé en Belgique. Il lutte contre les exclusions et revendique l'abolition de l'article 143, la suppression des enquêtes à domicile et le droit au travail.

Ce comité ne tiendra que quelques années du fait du turnover des formations, des stages - c'était tous des jeunes. Suite à quelques actions d'occupation symbolique de l'ONEm, le comité obtiendra quelques améliorations dans les locaux de pointage.

À l'époque, les chômeurs devaient pointer tous les jours, souvent dans des locaux délabrés.

À partir de 1980, les syndicats revoient leur analyse sur le chômage qui ne cesse d'augmenter. Ils arrivent à la conclusion que c'est un chômage structurel, conclusion qui s'imposait après deux siècles.

  • Le Werklosenbond

En Flandre, un Werklosenbond (un syndicat de chômeurs) se crée au début des années 1980. Il donne comme consigne, afin de diminuer les frais de logement, de cohabiter, de vivre à plusieurs. En riposte à ce mouvement-là, le gouvernement de l'époque crée un nouveau statut, les cohabitants.

Beaucoup de membres du Werklosenbond seront accusés de fraude sociale et perdront plusieurs procès. Le Werklosenbond s'écroule financièrement.

À cette période, des militants syndicalistes chômeurs créent le premier comité TSE, Travailleurs sans emploi.

Les principales revendications des comités TSE: suppression de l'article 143, réduction du temps de travail, élection de délégués chômeurs. Mais les dirigeants syndicaux s'opposent à cette dernière revendication et à la suppression de l'article 143. C'est ainsi que Monsieur J.-C. Vandermeeren, secrétaire national de la FGTB déclare le 23 mars 1983:

Si on supprime l'article 143, les libéraux vont proposer la limitation dans le temps des allocations de chômage [il y a trente ans!].
 Or, il faut savoir qu'à la même époque, l'administrateur général de l'ONEm, Maurice André est aussi président de la CGSP Tournai, une centrale de la FGTB.

Quant à l'autre grand syndicat belge, le syndicat chrétien, la CSC, elle
accepte le principe de contrôle mais pas de pointage.
Le pointage sera effectivement supprimé mais bien des années plus tard.

L'article 143 prévoyait l'exclusion du bénéfice des allocations des chômeurs cohabitants de longue durée - y compris les travailleurs à temps partiel. Cette mesure pénalisait essentiellement les femmes en ménage.

  •  Luttes et sabotages syndicaux


En 1986, le comité TSE FGTB Charleroi occupe l'ONEm pendant sept jours contre la diminution des allocations de chômage pour certaines catégories de chômeurs qui tombent au forfait minimum et contre l'article 143. Cette fois, l'action ne remporte pas de vrai succès.

La FGTB nationale et la CSC-Femmes organisent une manifestation à Bruxelles sur les mêmes revendications (abrogation de l'article 143 et contre la diminution des allocations de chômage pour certaines catégories). Il y a 8000 personnes.

Les comités TSE aussi bien de la FGTB que CSC se plaignent beaucoup du manque de soutien des centrales et, à la FGTB, ils proposent de créer une centrale des cLes chômeurs qui ne cherchent pas d'emploiLes chômeurs qui ne cherchent pas d'emploihômeurs, ce qui sera refusé par le congrès.

[Sur ces questions voir notre article sur la démocratie syndicale ici]

À Charleroi, les TSE organisent des élections sociales au bureau de pointage. Ces élections ne seront pas validées par les dirigeants syndicaux alors qu'un délégué a été élu.


  • Les chômeurs qui ne cherchent pas d'emploi

En 1988, un nouveau type de chômeur apparaît - principalement des sidérurgistes ou des métallurgistes, des secteurs à forte tradition syndicale - âgé de plus de 50 ans mais n'ayant pas droit à la prépension (c'est alors 56 ans). Ces chômeurs spécifiques réclament:
- une allocation plus élevée que les 60%: vu les nombreuses années de cotisation, cette allocation doit être majorée
- de ne pas être demandeur d'emploi (à leur âge, ils ne peuvent plus être embauchés).

Pour soutenir leurs revendications, ils organisent une manifestation où il y a 2500 personnes et une occupation d'un jour de la FEB (Fédération des Employeurs de Belgique). Leurs revendications aboutissent en 1993.

En 1991, l'article 143 devient l'article 80 sans que rien ne change fondamentalement. Les chômeurs cohabitants de longue durée sont toujours exclus - ce qui affecte surtout les femmes en ménage.

En 1994, la CSC et quelques sections FGTB organisent une manifestation à Bruxelles où il n'y a plus que mille personnes. La lutte des TSE a marqué le pas à cette période jusqu'au milieu de 1995.

Note de lecture - C. Dejours, Aliénation et critique du travail

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Le médecin fait une critique du travail en emploi et non du travail en général. Il s'agit d'un article fondamentale, une synthèse précieuse dont nous vous offrons des extraits. Nous avons voulu résumé mais tous les éléments du texte ci-dessous nous ont semblé importants pour comprendre le psychiatre. Vous trouverez l'article disponible gratuitement en intégralité en ligne ici:

Dejours Christophe, « Aliénation et clinique du travail  », Actuel Marx 1/ 2006 (n° 39), p. 123-144
URL : www.cairn.info/revue-actuel-marx-2006-1-page-123.htm.
DOI : 10.3917/amx.039.0123
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Depuis une petite dizaine d’années, les suicides ont fait leur apparition sur les lieux du travail. Une enquête menée récemment en Basse-Normandie (Gournay et alii, 2004) suggère qu’il y aurait chaque année, en France, plusieurs centaines de suicides et de tentatives de suicide avec séquelles graves, sur les lieux de travail. Le suicide semble de prime abord signer l’aliénation rendue à son extrémité : la mort du sujet.

À y regarder de plus près, toutefois, les résultats de l’analyse sont plus nuancés. Car si le suicide peut être le signe d’une aliénation mentale totale, ce n’est pas toujours le cas. Si, par aliénation mentale, on entend l’effacement de la raison, alors, pas plus dans le suicide que dans les autres configurations psychopathologiques, elle n’est vraiment totale.

Dans le cas de Madame VB (Dejours, 2005), une femme cadre particulièrement brillante qui s’est suicidée à proximité de son lieu de travail en se jetant du haut d’un pont et qui a laissé par écrit des indications précises sur le sens qu’elle entendait donner à son geste, il est clair que les formes spécifiques du management dans l’entreprise high-tech où elle travaillait sont en cause. La discussion de ce cas montre comment les injustices dont elle a été victime ont peu à peu fait décompenser une vulnérabilité psychologique qui, jusque-là, était précisément combattue avec succès par sa passion du travail et par la réussite de sa vie professionnelle. Elle avait, matériellement, les moyens d’échapper à l’injustice dont elle était la cible et pouvait non seulement quitter son entreprise, mais prendre le nouvel emploi qui lui avait été proposé ailleurs. Seulement, elle avait effectivement « décompensé ». Et, à partir de cette rupture de l’équilibre psychique dont l’entêtement est un symptôme, elle s’obstine à lutter contre l’injustice. Elle ne peut pas faire place, psychiquement, à une capitulation qui aurait pu être le premier pas d’un processus de dégagement. En ce sens, elle montre des signes d’aliénation mentale au sens psychopathologique du terme. Mais, dans un autre sens, son geste apparaît comme parfaitement délibéré et se donne, selon ses propres explications, comme un refus souverain d’accepter l’inacceptable, de laisser triompher l’injustice et de contribuer ainsi à faire perdurer l’iniquité qui étend son empire sur l’ensemble des salariés. Elle fait donc aussi preuve d’une volonté bouleversante de résistance. 


Les nouvelles pathologies dans le monde du travail


D’autres pathologies affectent aujourd’hui les travailleurs dans des proportions croissantes.

Les pathologies de surcharge

Ce sont, pour nous, les plus surprenantes parce qu’on nous avait annoncé qu’avec le progrès technique, l’automatisation et la robotisation surtout, se profilait sinon la fin du travail, du moins une diminution considérable de la charge de travail. Et curieusement, c’est le contraire qui se produit, c’est-à-dire qu’on voit apparaître beaucoup de pathologies de surcharge.

Ces pathologies de surcharge, dont le premier tableau connu est caractérisé par le burn out, touchent toutes les professions impliquant une relation d’aide, d’assistance ou de soin. En premier lieu, les travailleurs sociaux, les personnels soignants, les services de proximité et, d’une façon plus générale, les services au public. Cependant, le burn out commence à s’étendre ou, en tout cas, à être reconnu comme tel dans d’autres professions et atteint donc plus généralement le travail dit de « relation de service ».

Autre pathologie de surcharge : le Karôshi, qui est une maladie connue en Europe et aux États-Unis, mais qui a été re-décrite par les Japonais. C’est une mort subite, en général par accident vasculaire cérébral, quelquefois par accident vasculaire cardiaque, qui survient chez des sujets âgés de moins de 40 ans, qui ne présentent aucun facteur de risque vis-à-vis des maladies cardio-vasculaires. En d’autres termes, la seule cause que l’on peut retenir, c’est la surcharge de travail, avec des horaires qui dépassent en général 70 heures par semaine. Précisons qu’il s’agit de la comptabilité japonaise, qui ne tient pas compte notamment du temps consacré aux cercles de contrôle de qualité et de tout ce qui est en plus du temps de travail. Cela fait quand même une quinzaine d’années que cette maladie est reconnue au Japon et provoque toute une série d’initiatives en termes d’association pour lutter contre le Karôshi et pour indemniser les familles des victimes de cette maladie.

Autres pathologies de surcharge : les troubles musculosquelettiques, également appelés lésions par efforts répétitifs. Je tiens à préciser que ce sont des pathologies du corps et non des pathologies mentales. Ce sont des pathologies des extrémités, qui atteignent les gaines, les tendons eux-mêmes et les articulations, avec des épanchements et des inflammations, nécessitant des soins parfois importants (par exemple en cas de syndrome du canal carpien).

Néanmoins, et ceci est très important, on ne peut pas comprendre l’augmentation considérable de ces troubles musculo-squelettiques sans faire une place, au centre du processus, à une atteinte qui porte d’abord sur le fonctionnement psychique (Grenier-Pezé, 2000). Ce sont des manifestations périphériques dont le centre est constitué par une maladie psychique. D’ailleurs, ces troubles musculo-squelettiques apparaissent dans quantités de situations dont on ne se serait pas attendu à ce qu’elles provoquent ce genre de troubles. Le travail de bureau dans le tertiaire ne devrait pas donner ce type de maladies.

   Les pathologies du harcèlement




Elles sont aussi en augmentation. Elles prennent essentiellement la forme soit de syndromes dépressifs, soit de syndromes confusionnels. Ces syndromes confusionnels associent des troubles de la mémoire, qui sont souvent les premiers symptômes, à une désorientation dans l’espace et dans le temps et à des troubles du cours de la pensée. C’est une des formes majeures par laquelle se manifestent les pathologies du harcèlement à la phase aiguë. Enfin, les pathologies du harcèlement peuvent aussi, plus rarement, revêtir la forme de syndromes de persécution – difficiles à soigner – et la forme de troubles psychosomatiques. Il semble, à partir des différents éléments rassemblés, que ce sont essentiellement des pathologies qui touchent la sphère utérine, mammaire et thyroïdienne. Des explications commencent à être esquissées pour comprendre pourquoi ce sont ces pathologies-là qui apparaissent plus souvent que d’autres.
 

Le harcèlement au travail n’est pas nouveau. Il est vieux comme le travail. Ce qui est nouveau, ce sont les pathologies. C’est nouveau parce qu’il y en a beaucoup maintenant, alors qu’il y en avait beaucoup moins autrefois. Entre le harcèlement, d’un côté, et les pathologies, de l’autre, il faut bien invoquer une fragilisation des gens vis-à-vis des manœuvres de harcèlement. Cette fragilisation peut être analysée. Les résultats sont assez précis. Elle est liée à la déstructuration de ce que l’on appelle les ressources défensives, en particulier les défenses collectives et la solidarité. C’est l’élément déterminant de l’augmentation des pathologies. En d’autres termes, les pathologies du harcèlement sont, avant tout, des pathologies de la solitude.

(...)

Lorsque le désert progresse dans le monde du travail, ce ne sont pas seulement les défenses collectives et la solidarité qui régressent. Celui qui s’implique subjectivement dans le rapport à la tâche et s’affronte honnêtement aux difficultés que soulève la gestion du décalage entre le travail prescrit et le travail effectif, acquiert progressivement une expérience du monde qui est d’abord une expérience du réel. L’expérience du réel, c’est-à-dire de ce qui se fait connaître au sujet qui travaille par sa résistance à la maîtrise, est aussi une expérience subjective de l’échec, de l’incertitude, de l’impuissance, du doute. Dans le monde désolé, la connaissance du monde révélée au sujet par l’expérience du réel devient difficile à soumettre à l’appréciation ou au jugement de l’autre parce que, avec la désolation, ont disparu non seulement le « sol » du sens commun, mais aussi la confiance. Or la confiance est un réquisit pour oser parler de son expérience du réel. Le « retour d’expérience » ne consiste pas seulement à exhiber ses exploits, mais aussi à parler de ses échecs par lesquels la résistance à la maîtrise technique se révèle, justement. Mais parler de ses difficultés dans le travail, de ses échecs, de ses doutes, c’est aussi prendre le risque de passer pour incompétent et non pour détenteur d’une expérience critique du monde. Et lorsque, bravant cet obstacle, le travailleur conscient de ses responsabilités prend le risque d’exposer aux autres son expérience, il ne reçoit souvent comme réponse, dans le monde désolé, que le silence, voire le désaveu. Surtout lorsqu’il fait état d’une expérience qui entre en contradiction avec la prétendue maîtrise attestée par les certifications de la qualité totale ou avec la prétention affichée par les contrats d’objectifs, de résultats et de rentabilité.

En d’autres termes, l’expérience authentique du monde obtenue par le truchement de l’expérience du réel devient incommunicable dans le monde désolé des nouvelles techniques de domination du travail. Cette situation peut tourner au tragique. Alors même que le travailleur en cause possède un lien authentique avec le réel, qui le conduit par exemple à douter de la sécurité, de la sûreté ou de la qualité, il se retrouve seul et désavoué, quand il ne devient pas, pour cette raison même qu’il ne consent pas à se taire, la cible d’une manœuvre de déstabilisation stratégique (harcèlement professionnel). Il se trouve alors dans une position psychologiquement scabreuse : ou bien, sous l’effet du désaveu des autres, il finit par douter de la validité de son expérience et il risque alors la dépression, ou bien il continue de plaider seul contre tous les autres et il est alors guetté par les effets délétères de l’auto-référence. Et il risque de dériver vers la paranoïa.
  (...)




Aliénation et déni du réel 


(...) L’aliénation apparaît comme étroitement liée à la mise en impasse de la reconnaissance. Et, pour la clinique du travail comme pour l’anthropologie des techniques, la reconnaissance d’ego par autrui dans le monde du travail ne se réduit pas à un procès intersubjectif d’ego à autrui et vice-versa. La reconnaissance par autrui ne s’applique pas à un ego isolé. Elle porte sur l’authenticité ou la véracité du rapport d’ego au réel médiatisé par le travail. La reconnaissance vise une connaissance d’ego, une expérience d’ego, un rapport d’ego avec le réel. La reconnaissance en clinique du travail est toujours aussi et indissociablement une reconnaissance du réel.
 

En déstructurant les bases de la reconnaissance du travail, les nouvelles méthodes d’organisation du travail poussent d’abord les hommes vers une forme d’aliénation individuelle caractérisée par le terme « d’aliénation sociale ». Mais elles impliquent aussi, au-delà, le risque d’une aliénation collective qui s’installe lorsque se produit une rupture collective du lien avec le réel, que Sigaut propose de nommer « aliénation culturelle ».
 

Les normes de la qualité totale, par exemple, contraignent les travailleurs à dissimuler, plus encore que naguère, les infractions qu’ils doivent faire par rapport aux prescriptions, pour atteindre les objectifs (gestion de l’écart entre la conception de l’organisation du travail et la réalité du procès de travail). Tout le monde est ainsi progressivement appelé à participer à une description déformée et enjolivée de la réalité, qui occulte les infractions mais aussi le réel. Jusques et y compris au niveau des bilans comptables. Ainsi les rapports d’activité risquent-ils de s’écarter de plus en plus de la réalité du travail et de la production.
 
C’est là certainement une des dimensions les plus inquiétantes de « l’aliénation culturelle » qui consiste en ceci que les dirigeants d’entreprise s’auto-congratulent et s’auto-félicitent sur la base de descriptions qui ont perdu le rapport avec le réel. Ils se trouvent alors dans une position similaire à celle de l’état-major de l’armée française, dont les généraux se félicitaient mutuellement de l’invincibilité de la ligne Maginot pendant que les Nazis préparaient les Panzer Divisionen ; ou à celle du comité central d’un parti politique qui a perdu le contact avec le peuple ; ou encore dans une position similaire à ce qui se produit dans une secte.




(...)




Les nouvelles formes de domination dans le monde du travail


 

Prendre au sérieux la régression dans l’ordre de la vie consiste à prendre appui sur la clinique elle-même pour décrire le monde du travail, voire le monde social. Décrire le monde à partir de l’expérience subjective du travail, c’est peut-être se donner les moyens de décrire le monde en partant du réel tel que, précisément, il se révèle, au mieux, par l’expérience du travail, qui est aussi une expérience de souffrance. Partir de la souffrance subjective consiste donc à inverser la flèche de la description par rapport à la tradition sociologique. Y compris par rapport à la démarche marxienne. Selon Marx, l’origine de l’aliénation est dans la propriété privée qui désapproprie l’homme du produit de son activité. La propriété privée est première par rapport à tous les autres chaînons intermédiaires de l’aliénation. L’analyse subjective, à partir de la clinique, suggère que l’élément déterminant serait plutôt la domination et les formes spécifiques du pouvoir par lesquelles elle passe pour devenir efficiente. Et si l’on reste toujours au plus près de la clinique, il faudra peut-être corriger cette première approche trop sommaire encore. Au départ de l’aliénation du travail, il n’y aurait pas tant la propriété privée que la domination et il n’y aurait pas tant la domination que la forme spécifique que prennent, à un moment donné, les rapports entre domination et servitude, entre domination et résistance.


En prenant appui, donc, sur la clinique et la psychopathologie du travail, on parvient à une description particulière des nouvelles formes de la domination qui n’est congruente ni avec celle des sociologues ni avec celle des économistes, sans parler bien sûr de celle des gestionnaires, qui est pourtant celle qui, en fin de compte, inspire aujourd’hui toutes les autres. La description sociologique dominante reprend sans écart signifiant l’idée « d’autonomie » et, avec elle, la « prescription d’autonomie », de « savoir être », etc. (Périlleux, 1998 ; Zarifian, 1998 et, en sens inverse, Ehrenberg, 1998). En revanche, la description des nouvelles formes de la domination à partir de la clinique conduit à identifier comme primum movens l’évaluation individualisée des performances et son couplage avec les normes de la qualité totale.
L’évaluation


Premièrement, l’évaluation individualisée des performances a été rendue possible par le suivi informatisé de l’activité, qui permet le suivi individualisé de chaque opérateur, de ses gestes et de ses modes opératoires. Il faut souligner que ce contrôle n’est pas passif, mais suppose la collaboration de l’agent, qui doit périodiquement ou continûment saisir des données sur son activité dans le terminal ou l’ordinateur. L’auto-contrôle en est la forme achevée, qui est d’ores et déjà répandue aussi bien dans l’industrie que dans les services.

 

L’évaluation individualisée, lorsqu’elle est couplée à des contrats d’objectifs ou à une gestion par objectifs, lorsqu’elle est rassemblée en centre de résultats ou encore en centre de profits, conduit à la mise en concurrence généralisée entre agents, voire entre services dans une même entreprise, entre filiales, entre succursales, entre ateliers, etc.

 

Cette concurrence, lorsqu’elle est associée à la menace de licenciement conduit à une transformation en profondeur des rapports du travail. Elle peut déjà dégrader les relations de travail lorsqu’elle est associée à des systèmes plus ou moins pervers de primes. Mais lorsque l’évaluation n’est pas couplée à des gratifications, mais à des sanctions ou des menaces de licenciement, ses effets délétères deviennent patents. L’individualisation dérive alors vers le chacun pour soi, la concurrence va jusqu’aux conduites déloyales entre collègues, la méfiance s’installe entre les agents. Ceci s’observe très bien chez les employés, les ouvriers et les techniciens, mais aussi chez les cadres, y compris les cadres dirigeants qui sont contraints de se surveiller constamment les uns les autres pour ne pas se laisser distancer et risquer ainsi de perdre le pouvoir dont ils disposent, bien sûr, mais aussi leur sécurité d’emploi.

 

Le résultat final de l’évaluation et des dispositifs connexes est principalement la déstructuration en profondeur de la confiance, du vivre-ensemble et de la solidarité. Et, au-delà, c’est l’abrasion des ressources défensives contre les effets pathogènes de la souffrance et des contraintes de travail. L’isolation et la méfiance s’installent et ouvrent la voie à ce qu’on appelle les pathologies de la solitude, qui me semblent être un des dénominateurs communs des nouvelles pathologies dans le monde du travail.
 
Ensuite, les évaluations peuvent être utilisées comme moyens de pression et génèrent donc des risques importants de surcharge de travail, avec dans leur sillage tout le cortège des pathologies de surcharge que j’ai évoquées auparavant. Les évaluations en question, évaluations individualisées des performances, sont au demeurant critiquables parce qu’elles sont arbitraires. L’évaluation quantitative et objective du travail, en effet, ne peut être que prétexte à l’arbitraire parce qu’il est facile de montrer que l’essentiel du travail n’est pas évaluable objectivement et quantitativement. Il s’ensuit forcément un sentiment confus d’injustice qui a aussi sa part dans l’apparition des décompensations, notamment à forme de syndromes dépressifs et de syndromes de persécution.
La qualité totale  

C’est l’autre secteur, à côté de l’évaluation, qui peut être identifié comme source ou cause de l’aggravation des pathologies mentales au travail. On peut montrer par de multiples approches, aussi bien psychologiques qu’ergonomiques ou sociologiques, que la qualité totale est impossible. Il y a en effet un décalage irréductible entre les prévisions, la planification, les méthodes, c’est-à-dire les prescriptions, d’un côté, le travail effectif ou concret, de l’autre. Contrairement à ce que prétendent de nombreuses doctrines, il n’y a jamais de production parfaite dans le travail, pas plus dans les secteurs industriel ou agricole que dans les secteurs financier ou commercial. Tout le monde en a l’expérience.

 

En imposant la qualité totale, qui est en fait une chimère, on génère inévitablement une course aux infractions, aux tricheries, voire aux fraudes. Car il faut bien satisfaire aux contrôles et aux audits pour obtenir une certification ISO 9 000 ou 13 000, etc. Annoncer la qualité totale, non pas comme un objectif, mais comme une contrainte, génère toute une série d’effets pervers qui vont avoir des incidences désastreuses. Ces fraudes inévitables générées par la qualité totale ont, en effet, un coût psychique énorme, non seulement en termes d’augmentation de la charge de travail – tout le monde peut en témoigner –, mais aussi en termes de problèmes psychologiques. La contrainte à mentir, à frauder, à tricher avec les contrôles met beaucoup d’agents en porte-à-faux avec leur métier, avec leur éthique professionnelle et avec leur éthique personnelle.

 

Il en résulte une souffrance psychique qui est en cause dans les syndromes de désorientation, de confusion, de perte de confiance en soi et de perte de confiance dans les autres, dans les crises d’identité et dans les dépressions pouvant aller jusqu’au suicide, notamment lorsqu’un agent se voit entraîné malgré lui à participer à des pratiques que, moralement, il réprouve.
 
L’analyse clinique des causes d’accroissement de la pathologie mentale au travail renvoie donc, en définitive, à des causes organisationnelles. Aux principes du Scientific Management, avec ses méthodes de surveillance, de contrôle et d’encadrement, s’est bel et bien substitué, jusque sur les chaînes de montage, un nouveau dispositif qui, lorsqu’il associe les deux principes de l’évaluation individualisée des performances et de la qualité totale, engendre des pathologies de surcharge et des pathologies nouvelles.

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Le coaching
 

L’évaluation individualisée des performances casse les solidarités, ce qui, bien sûr, est son objectif premier dans le registre de la domination du travail. Mais elle tend aussi, via la déstructuration de la confiance et les conduites déloyales entre collègues en concurrence, à saper les bases de la coopération. La désolation atteint aussi les cadres et pas seulement les « exécutants ». Le cadre, coupé des autres par l’isolation, seul face à son contrat d’objectifs, ne peut plus bénéficier de l’entraide ni de la coopération. Et il craint de couler. L’entreprise aussi. Un nouveau moyen peut être mis en œuvre : l’assistance individualisée. Modalité nouvelle d’aide à la performance qui fait l’économie de la coopération interne, apportée de l’extérieur par un « coach », en général formé à la psychologie. Peu importent les théories de référence, peu importent les techniques utilisées. Seule compte l’efficacité du coach à entretenir le moral du chef qui vacille, c’est-à-dire en termes plus triviaux, à entretenir son zèle de cadre.
 

Le développement très rapide du coaching montre qu’il répond à une demande exprimée par les cadres et les dirigeants qui sont en souffrance. Le coaching est effectivement pour eux un besoin et est devenu, pour l’entreprise, le moyen acceptable de contrebalancer les effets délétères de l’évaluation individualisée des performances qui déstructure la coopération.

La gestion du stress

L’autre méthode largement utilisée est la « gestion du stress ». Elle vise aussi à corriger les effets pervers de l’organisation du travail qui poussent tendanciellement vers la surcharge de travail, le surmenage, l’épuisement et leur cortège de dégradations de l’activité, d’irritabilité dans les relations avec les collègues et de risque de décompensations psychopathologiques (cf. les pathologies de surcharge).
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Conclusion

 

De tout ce qui a été évoqué précédemment, on pourrait retenir que les nouvelles pathologies surgissant dans le monde du travail témoignent de la désagrégation du « monde » et de la progression de la désolation. À la différence d’Hannah Arendt, toutefois, cette investigation qui part de la clinique conduit à une inversion du chemin causal. Pour Arendt, c’est la destruction du monde qui génère l’animal laborans et la condition de l’homme moderne. Selon la psychodynamique du travail, c’est le travail lui-même et, plus spécifiquement, son organisation, qui constituent l’instrument essentiel d’innovation, d’expérimentation et de transformation de la domination, grâce à laquelle le monde humain et la politique sont défaits.
 

Inhérente à toute stratégie d’organisation du travail, aussi bien dans le taylorisme et dans le modèle japonais (Ohnisme) que dans l’évaluation individualisée des performances, il y a en effet toujours la volonté de diviser les hommes et de contrôler toute velléité d’auto-organisation qui entrerait en concurrence avec l’organisation du travail prescrite.

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Au centre de l’essence générique de l’homme, il y a le pouvoir et le vouloir de travailler. A condition toutefois que, par travail, on entende rigoureusement le sens philosophique que Marx donne à ce terme, à savoir : le sens du travail vivant. Dans le concept marxien de travail vivant, il y a cette idée que l’accomplissement de l’essence de l’homme est culturel en ceci que la culture est précisément ce par quoi les hommes honorent la vie. Pour Marx, le travail est fondamentalement vivant, individuel et subjectif.
 

L’aliénation ne désignerait pas un état, mais plutôt une direction, une orientation que peut prendre l’être humain lorsqu’il s’engage dans un chemin qui le conduit à nier son essence, c’est-à-dire à répudier la vie, à déshonorer la vie. L’aliénation désignerait moins le renoncement à la liberté que la distraction, voire l’oubli de la dimension axiologique du travail vivant.
 

Si le travail vivant est bien au principe de l’émancipation des êtres humains, alors l’aliénation aurait partie liée avec le risque diabolique de retourner le travail contre lui-même, c’est-à-dire de détourner l’activité humaine du travail vivant pour en faire un travail mort.






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Les nouvelles formes de pathologie mentale au travail montrent que, aujourd’hui, c’est bien plutôt la désolation qui progresse. Parce que les hommes se sont engagés depuis quelques années dans le consentement zélé à développer des formes d’organisation du travail qui détruisent le monde, c’est-à-dire l’espace de la solidarité et du politique, la société d’aujourd’hui entretient un rapport ambigu avec l’aliénation.
 

Le ressort de l’aliénation ne réside pas dans la propriété privée. Il s’instaure bien en deçà, dans la servitude volontaire et ses formes contemporaines qui passent essentiellement par l’adhésion à l’évaluation individualisée des performances. Marx pourtant l’avait déjà montré. Le travail vivant est essentiellement subjectif. Il n’appartient pas au monde visible et, de ce fait, il ne peut pas être évalué objectivement et quantitativement.

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Les nouvelles formes de souffrance et de pathologie dans le monde du travail témoignent de la défaite de la pensée face aux prophéties contemporaines affirmant, d’un côté, que tout, en ce monde, est mesurable et doit être mesuré, annonçant triomphalement, de l’autre, que le travail est une valeur en voie de disparition.

Bibliographie

  • Arendt H. (1951), The Origins of Totalitarism, New York, Éd. Harcourt, Brace and World Inc. Trad. française : Le Système totalitaire. Les origines du totalitarisme, Paris, Éditions du Seuil, p. 225.
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  • Aron R. (2002), Le Marxisme de Marx, Paris, Éditions de Fallois, préface de J. C. Casanova.
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  • Gollac M., Volkoff S. (2000), Les conditions de travail, Paris, Éditions de La Découverte, pp. 28-30.
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  • Gournay M., Laniece F., Kryvenac I. (2004), « Étude des suicides liés au travail en Basse-Normandie », Travailler, 12, pp. 91-98.
  • La Boetie É. (de) (1574), Le discours de la servitude volontaire, transcription par Charles Teste (1836), Paris, Payot, 1976.
  • Marx K. (1844), Manuscrits de 1844, Paris, Éditions sociales, 1972.
  • Perilleux T. (1998), « L’autonomie est-elle encore un idéal d’émancipation dans le travail », Travailler, 1, pp. 17-40.
  • Sigaut. F. (1990), « Folie, réel et technologie », Techniques et culture. 15, pp. 167-179.
  • Zarifian P. (1998), « Le travail sous l’emprise de la gestion », Travailler, 1, pp. 41-54.



Pour aller dans le bon sens

On nous envoie ceci, sur l'emploi et le salaire

Pour éviter que des bains de sang anémient l'un après l'autre notre société et son économie, je suggère aux interlocuteurs sociaux de rappeler que la société, en Belgique, elle tient, elle vit, elle se développe depuis 70 ans grâce à du salaire, pas grâce à de l'emploi.

Je suggère aussi à tous les partisans du partage du temps de travail - dans l'emploi, ils oublient souvent de dire qu'on travaille ailleurs - que ce qui importe dans ce partage, c'est avant tout de partager les salaires.

Et je les invite dès lors à avoir un peu plus de respect pour la masse salariale que l'on partage déjà.

Les pertes d'emplois ne sont pas un bain de sang social quand on déconnecte le salaire et l'emploi.

Et c'est une des spécialités belges... elle s'appelle la prestation sociale.

Elle se pratique massivement depuis 70 ans, au grand dam des marchés, au grand dam d'une certaine Europe, au grand dam de ceux qui font leur beurre de la mise en concurrence dans l'emploi de tous les travailleurs.

Pour le plus grand bonheur des prestataires sociaux qui bénéficient de ces belles couleurs sociales que donne la moutouellisation du salaire.
Va t on laisser encore longtemps les banques, la grande distribution ou les autres employeurs repomper joyeusement l'épargne salariale, pomper joyeusement la sécurité sociale.
Va t on laisser un nouveau Shaddoko s'installer tranquillo ou enfin dire "l'emploi ça suffit de nous entuber avec ça", ""bye-bye Delors" et ""vive le salaire pour tous" ?

[pour les Shadok, voir ici, pour Jacques Delors, voir, par exemple ici, mais c'est un peu plus confus: il faut en tout cas créer des emplois, quoi qu'il arrive, pour la moutouelle, voir ici] 

Les entreprises autogérées

Basta met en ligne ici des liens vers des sites qui relèvent et qui suivent les initiatives d'autogestion ouvrières de par le monde. Il s'agit de tentatives de libération du travail de l'emploi: elles ont tout notre soutien et toute notre sympathie.

Ces liens sont repris dans la rubrique nos copains (à droite en bas sur la présente page). Nous aurons sans doute l'occasion de vous en reparler. Il s'agit de

- L'association autogestion (en français): http://www.autogestion.asso.fr/
- Workerscontrol.net (en français, en anglais, en espagnol, en allemand, en portugais): http://www.workerscontrol.net/fr

Extrait

Reprise d’entreprises en coopératives, usines autogérées, ateliers occupés par un conseil ouvrier : de l’Argentine à la France, en passant par l’Egypte, ces expérimentations menées par les travailleurs eux-mêmes incarnent-elles « une alternative dans l’organisation des sociétés » ? C’est ce dont sont convaincus les fondateurs du site workerscontrol.net, une bibliothèque de ressources sur le « contrôle ouvrier ». « En assumant le contrôle autonome de leur travail et en refusant le pouvoir de la propriété privée, les travailleurs remettent en question la structure capitaliste des relations de production. »
Lancé en janvier 2011 par trois universitaires de différents pays européens – Dario Azzellini, Ralf Hoffroge et Alan Tuckman – le site WorkersControl.net est la première tentative de rassembler en un seul site différents textes relatifs à la notion de contrôle ouvrier dans différentes langues.
Ce site a pour objectif d’être une bibliothèque ouverte et virtuelle regroupant des documentations et des essais théoriques sur les expériences de contrôle ouvrier d’hier et d’aujourd’hui. Le fait que les travailleurs aient, à différents moments et en différents lieux, pris le contrôle, de façon souvent spontanée, de leur environnement de travail et relancé la production a une portée politique et théorique qui va au-delà du lieu de travail et de l’organisation de la production, préfigurant une alternative dans l’organisation des sociétés. En assumant le contrôle autonome de leur travail et en refusant le pouvoir de la propriété privée, les travailleurs remettent en question, même de façon temporaire, la structure capitaliste des relations de production, ouvrant la voie à une redéfinition de la production sous leur propre contrôle.