Un ami nous informe de la sortie d'un document de chômeurs

Je me permets - avec la permission de l'auteur mais nous soulignons - de reproduire ici sa très belle introduction à ce texte, introduction qui parle du chômage comme autre chose qu'une malédiction, de l'emploi comme autre chose qu'une bénédiction:

CHEMIN FAISANT ouvrage collectif des TSE de la FGTB Luxembourg, édition du Cerisier, Cuesmes, 2013




J'ai lu ce livre, qu'une âme généreuse m'a offert. J'ai vraiment beaucoup aimé. Pourtant j'étais loin d'être convaincu au départ.
J'avais déjà lu la première partie, publiée sur le site des Travailleurs Sans Emploi de la FGTB du Luxembourg (<tselux.be>). Elle raconte la « Marche contre le chômage, la précarité et les exclusions », qu'ils ont entreprise en octobre 2010, de Humain à Bruxelles. S'ajoute ici, dans le livre, une très très belle présentation, très créative, un vrai plus dû au travail de Françoise Vercruysse (si j'ai bien capté), pour un récit très riche de rencontres improbables, intéressant à bien des égards même si moi, a priori les marches contre le chômage ne m'excitent pas vraiment, je marcherais plutôt pour un chômage généralisé et déconditionné, accessible définitivement à toutes et à tous!

Mais enfin tout cela ne fut pas sans m'émouvoir, car cela me rappelait la marche de 5 jours qu'avec le Collectif sans Ticket nous avions réalisée, de Liège à Bruxelles, il y a une douzaine d'années pour nous rendre au procès que nous faisait la SNCB pour refus réitérés de paiement de nos voyages en train. Un juge nous avait déclaré : « Si vous ne savez pas payer votre train, allez à pieds »... Nous l'avions pris au mot, et costumés en gueux, nous avions quitté la Place St Lambert à Liège, avec âne, poules et bardas sur notre dos. Arrivés au tribunal, plein de cloches aux pieds, mal rasés, nous avions été sommés par la police de cesser nos pitreries si nous désirions entrer dans la salle d'audience. Le plus drôle, c'est que pour un autre procès, intenté celui-là par la STIB pour association de malfaiteurs, nous nous étions habillés cette fois en mafieux et là, nous avions pu entrer sans problème. Les mafieux entrent là où les gueux restent sur le trottoir, c'est bien connu !

Pour la seconde partie du livre, j'étais plutôt méfiant, craignant une Xième édition de « paroles de chômeurs », suintant le désespoir d'être "sans travail", la plainte de celui qui quémande un emploi (et donc un employeur) pour lequel il serait prêt à tout, un recueil qui se morfondrait sur la désintégration sociale des exclus de l'emploi (je ne nie pas ici que cela existe et que cela doit être entendu, mais, réduite à cela, cette parole n'est pas subversive, elle fait le lit d'un système qui accule à cette posture...). Et bien, surprise ! Là, j'ai trouvé des paroles riches, colorées, diversifiées, jubilatoires, imaginatives, osant la rupture, faisant résistance, redressant le corps, toisant du regard, sincères vraiment dans leur complexité, sans apitoiement sur soi et sans arrogance sur l'autre, tristes, joyeuses et même mystérieuses, suggestives, poétiques, comme la vie, en quête et en doute, bref... y a de très belles choses, je trouve. Un tout grand merci de nous offrir cette toute belle publication.

Pour vous donner l'envie de lire ce livre, je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer un petit morceau, un de ceux qui m'a le plus séduit. Il s'appelle « Qui es-tu ? « :
« La question n'est pas la bonne : la question n'est pas celle-là. Qui es-tu ? Je suis maintenant grand, je suis devenu multitude, je suis multitude. Qui es-tu ? La prostituée de l'avenue Louise, le soldat de la tranchée de Verdun, le truand d'une nuit, le saint de tous les jours, l'amoureux transi, je suis la foule. Qui es-tu ? Je suis la petite foule de celles qui ont perdu le travail et qui ne cherchent pas dans tous les coins à le retrouver. Qui a perdu est devenu léger. Quand j'ai perdu le feu, je jouis de demander : auriez-vous du feu ? Mais beaucoup n'ont pas. Qui es-tu ? Je suis attristé de tant et tant qui ont perdu le feu en perdant le travail. Qui es-tu ? Celui qui clame haut et fort : il faut savoir perdre, non pas la bataille, mais le travail. Savoir arpenter l'oisiveté et y découvrir, par hasard des rencontres, par nécessité donc, y découvrir à quoi travailler, à quoi se vouer. Se vouer. J'entends la musique des noeuds qui se tissent entre nous. Qui es-tu ? Un noeud en formation, un entrelacs. Comme tout le monde est voué à le devenir . » (p.58) Bravo à l'auteur inconnu.