La Dictature du prolétariat

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Ce blogue est destiné à être un endroit de réflexion. Plus que des vérités ou des enquêtes, ce sont des essais sur la marche du monde dans une optique (très) critique vis-à-vis de l'emploi.

C'est que tous les syndicalistes, tout le personnel politique, tous les hommes d'affaire, tous les chercheurs réclament unanimement de l'emploi.

Ils font chorus pour revendiquer, exiger, un contrat de subordination qui soumet l'activité économique à l'enrichissement d'un propriétaire sans autre légitimité que son titre de propriété.

La lecture de Marx nous apprend qu'il existe des classes sociales. Elles sont définies par des rapports de production dans le système capitaliste. Concrètement, le capital se valorise via des investissements et l'achat de la force de travail en revendant les biens et les services produits par ladite force de travail.
Marx définit deux classes essentielles: le prolétariat n'est pas propriétaire des moyens de production. Il doit vendre sa force de travail pour survivre puisqu'il est exclu de la propriété (d'usage) de toutes ressources utiles à garantir sa propre survie.

La bourgeoisie détient les moyens de production sans en avoir usage. Elle a un rapport de propriété lucrative aux outils de production. 

Les prolétaires utilisent, reproduisent et produisent l'outil de production mais sont maintenus dans le besoin de vendre leur force de travail alors que les bourgeois n'utilisent pas l'outil de production, ne le produisent pas ou ne le reproduisent pas mais ils en tirent l'intégralité des fruits lucratifs et décident ce qui se produit, comment et, surtout, qui est reconnu producteur, qui a le droit d'être employé, d'être asservi à son insatiable avidité.

Marx parle d'horizon de dépassement du capitalisme. Pour lui, c'est la dictature du prolétariat qui s'imposera sur les ruines des contradictions capitalistes (je fais un peu court, désolé).


En entendant récemment Bernard Friot dans une vidéo en ligne (ci-contre), il m'est venu une interprétation du concept marxiste. Il explique que la bourgeoisie a triomphé de la noblesse en imposant progressivement sa pratique de la valeur. Les nobles fonctionnaient avec des serfs, ils avaient une pratique de l'économie tournée vers l'agriculture et les dépenses somptuaires. Ils n'échangeaient pas ou peu, économiquement parlant. Pendant des siècles, la bourgeoisie a construit ses pratiques d'échange économiques dans des lieux propres et selon des modalités spécifiques.

Aujourd'hui, les pratiques économiques et la définition de la valeur économique sont devenue bourgeoise de manière hégémonique, c'est-à-dire sans que ces pratiques et cette définition ne soient remis en question par celles et ceux qui en sont victimes.

En ce sens, les discours de représentation prolétaires qui réclament de l'emploi entérinent l'hégémonie bourgeoise puisqu'ils reprennent sa définition de la valeur économique et ses pratiques économiques sans les discuter. Un peu comme si les drapiers avaient continué à demander des terres à des seigneurs.

On peut parler de dictature de la bourgeoisie aujourd'hui, étant entendu que la bourgeoisie est un rapport de production et non une liste, un annuaire avec une série de noms, d'incarnations de la classe sociale. La dictature de la bourgeoisie ne signifie pas que ce sont des bourgeois purs qui sont aux commandes et ce de manière indiscutée. Cela signifie que les pratiques économiques du rapport de production bourgeois se sont imposés à tous - à l'instar des pratiques économiques de l'aristocratie militaires au Xe siècle. Le rapport à la production bourgeois domine tout - le social, l'environnemental, l'urbanistique, le culturel, l'architecture, les arts, etc. - sans qu'il y ait besoin d'une élite, d'un ensemble de personnes assimilables à la bourgeoisie.

C'est que une classe sociale, c'est un rapport de production qui traverse des gens, ce n'est pas une série de gens, une liste de noms.

De la même façon, la dictature du prolétariat, ce n'est pas la domination physique, militaire, philosophique ou sociale d'une série de personnes (difficilement qualifiables de "prolétaires" à partir du moment où elles maîtrisent le destin de tous) mais c'est l'hégémonie d'une pratique économique qui s'impose comme la pratique économique bourgeoise s'est imposée sur l'ancien régime.

Cette pratique économique nous traverse en tant que prolétaire, en tant que personne sans titre de propriété contraint de vendre sa force de travail pour vivre. Quelles libertés et quelles définitions de l'économie portent ces parties de nous réduites à de simples outils dans l'économie capitaliste?

La réponse à cette question permet de définir ce qu'est (déjà) et ce que pourrait devenir la pratique économique du prolétariat destinée à devenir hégémonique. 

La production de valeur économique sans employeur

On le sait par le travail de Bernard Friot, la sécurité sociale est le fruit de pratiques prolétaires spécifiques. En Belgique (j'y reviendrai dans une série d'articles à venir), ce sont des caisses noires illégales qui ont permis aux ouvriers de s'assurer contre la maladie et la vieillesse puis contre le chômage. Ces caisses ont été interdites puis tolérées puis obligatoires.

Elles ont donné lieu aux mutuelles. Avec l'avènement de la sécurité sociale, elles sont devenues interprofessionnelles. Les producteurs cotisaient tous à un taux unique pour des prestations semblables.

C'est dire que le prolétariat avait inventé une manière spécifique de créer de la valeur économique. Cette manière était infiniment plus efficace que la pratique économique bourgeoise puisqu'elle ne connaît aucune crise.

Par ailleurs, il y a, dans le mouvement coopératif, des tentatives de produire de la valeur économique sans employeur. Mais ces tentatives ne deviennent politiquement intéressantes que si les coopératives parviennent à se détacher du salaire à la pièce et du rapport de clientèle.

La propriété d'usage

Mais le prolétariat, c'est aussi une relation particulière à l'outil de travail. Les prolétaires l'entretiennent et l'utilisent. De ce fait, nous sommes susceptible de le ménager, d'en prendre soin et de poser les choix de gestion les plus en phase avec cet outil de production.

La dictature du prolétariat, c'est aussi l'hégémonie de la propriété d'usage au détriment de la propriété lucrative. C'est dire que les pratiques économiques sont amenées à changer radicalement sur ce plan-là aussi. Un exemple: Sanofi est une entreprise pharmaceutique avec de nombreux brevets portant sur des médicaments. La logique de l'usage commande d'investir dans la recherche pour trouver des médicaments utiles et de faible nocivité. La logique lucrative commande de sabrer les investissements dans la recherche et à racheter de temps en temps un concurrent en difficulté pour récupérer ses brevets.

La propriété lucrative ne s'intéresse pas à ce qui est fait et comment. Elle veut retirer de la plus-value sans considération pour le reste. Cette pratique nous paraîtra aussi obsolète que le servage le jour où viendra la dictature du prolétariat.

La servitude volontaire

Dans la pratique économique bourgeoise, les prolétaires sont réduits à des êtres de besoins. Ils sont tenaillés par la nécessité et, sous la contrainte, doivent vendre leur force de travail dans une guerre sans fin de tous les prolétaires entre eux pour obtenir des places. La servitude est forcément contrainte sous la dictature de la bourgeoisie - comme elle l'était sous la dictature de la noblesse. 
La pratique prolétaire de l'économie, en dégageant les producteurs du salaire à l'heure ou à la pièce, leur ouvre un espace de liberté que seuls les retraités (et certains chômeurs voire certains fonctionnaires) connaissent aujourd'hui. Avoir un salaire quoi qu'il arrive, cela signifie que l'on peut accepter ou non un directeur de projet, un chef, un contremaître. La servitude n'est plus contrainte, elle est le fruit d'une (éventuelle) acceptation par l'intéressé.

Pour autant, si la pression de la nécessité disparaît dans la pratique économique prolétaire, cela ne signifie pas pour autant la fin de toute pression et, partant, la fin de l'histoire et des contradiction d'un état historique donné.

L'avènement de la dictature du prolétariat

Bien malin qui pourrait dire quand et comment adviendra l'hégémonie des pratiques économiques prolétaires. Disons que le temps presse pour toutes ces générations sacrifiées à la queue-leu-leu et pour les dégâts environnementaux de la pratique bourgeoise de l'économie.
Au regard du triomphe de l'hégémonie de la pratique économique bourgeoise, il apparaît néanmoins:

- que la spécificité de la pratique économique révolutionnaire est déterminante (les bourgeois n'auraient pas pu devenir hégémoniques s'ils s'étaient embauchés comme serfs)

- que la modification de l'hégémonie économique s'inscrit dans le temps (très) long

- que les actes portent et importent, qu'il ne s'agit ni de tout attendre d'un effondrement extérieur, ni tout accomplir en en tournemain

- que l'avènement d'une pratique prolétaire de l'économique est largement commencé, que ses réussites sont éclatantes au regard des échecs de la pratique bourgeoise

- qu'il ne s'agit pas de dénoncer tel ou tel, de faire des listes noires avec des victimes expiatoires mais qu'il faut comprendre en nous les différents rapports de production pour faire triompher les pratiques économiques révolutionnaires.

Proposition de propositions

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Dans l'atmosphère de foire électorale en France, nous nous proposons de mettre notre grain de sel.

Bien sûr, l'abolition de l'emploi, de l'investisseur et de la propriété lucrative sont nos objectifs mais, si l'on prend le tout brut de décoffrage, cela peut paraître impossible au personnel politique. Nous avons donc dégagé des pistes, des propositions pour desserrer l'étau de l'emploi et de la dette, des embryons de commencement de début de quelque chose. Ces pistes ne constituent pas un horizon pour une démarche anti-employiste mais une simple possibilité d'avancer déjà un peu, de manière pragmatique, consensuelle. Elles sont un brouillon, une source de réflexion, un état de travail.

1. Abaisser l'âge de la retraite en augmentant les cotisations sociales à proportion (cinquante ans pour la retraite, ce serait déjà pas mal pour une augmentation des cotisations assez modérée à dix pour cent à peu près)

2. Socialiser une partie des salaires. Une partie du salaire pourrait être versée dans un pot commun - une nouvelle caisse de la sécu - et serait ensuite redistribuée à l'ensemble des salariés, avec emploi ou non. À titre d'exemple, on pourrait imaginer une cotisation de quarante pourcents supplémentaire qui diminue le salaire poche de trente pourcents et garantit, du coup, ce salaire poche à l'ensemble des salariés. L'augmentation de masse salariale pour l'employeur: dix pourcents.

3. Démocratiser la sécu. Les caisses de sécurité sociale doivent être gérées par les salariés. L'ensemble des salariés pourrait élire ses représentants auprès de ces caisses par voie directe. Les mandats seraient révocables. L'ensemble des salariés seraient appelé à désigner les gestionnaires de la sécu: les salariés en emploi, les retraités, les chômeurs, les précaires, les temps partiels, etc.

4. Créer une cotisation investissement de cinq pourcents du chiffre d'affaire et, avec cette cotisation, financer la recherche et le développement de pointe. Cette cotisation peut être amenée à augmenter progressivement et donne droit à l'accès libre au résultat de la recherche. Les chercheurs jouissent d'un statut de fonctionnaire. Les secteurs prioritaires (mais on peut en discuter) sont la recherche médicale, la transition énergétique, la chimie, l'agriculture sans pétrole, etc.

L'ensemble des cotisations supplémentaires et la socialisation partielle des salaires représenteraient à peu près un cinquième de la masse salariale des entreprises. Les cotisations investissement se substitueraient à des dépenses que les entreprises doivent de toute façon faire. La répercussion sur les prix d'une augmentation de vingt pourcents de la masse salariale est de l'ordre de trois pourcents dans l'immédiat et quinze pourcents à terme. Une augmentation des prix qui relancerait (insuffisamment) l'inflation.

5. Créer un salaire paysan et un salaire journaliste à la personne. Les paysans et les journalistes seraient salariés selon leur qualification en percevant une cotisation sur les prix de la presse, des nouvelles technologies de l'information et des aliments. Le salaire paysan permettrait la transition énergétique alimentaire et le salaire journaliste permettrait de garantir l'indépendance des journalistes vis-à-vis de leur employeur.

6. Étendre les prestations de la sécurité sociale à l'ensemble des travailleurs - indépendants et petits patrons aussi, donc - et harmoniser les taux de cotisation.

7. Pratiquer le protectionnisme amical (voir ici).

8. Résorber la dette. Pour diminuer une dette, il existe en économie trois remèdes simples (au choix)
- faire défaut: vu le niveau des dettes souveraines, le moindre défaut ferait exploser l'ensemble du système financier. Cette menace peut peser lors de négociations.
- faire tourner la planche à billets pour payer la dette
- faire jouer l'inflation
 9. Adopter le droit aux prestations de chômage inconditionnelles à vie.

10. Démocratiser l'entreprise en favorisant les reprises par les salariés en cas de fermeture, leur implication dans les choix industriels et commerciaux majeurs et leur contrôle du respect du droit du travail.

11. Encadrer la propriété lucrative en limitant les décisions des actionnaires, en ne reconnaissant pas de droit à la décision d'actionnaires éphémères, en limitant les rémunérations actionnariales. Il faut par ailleurs rendre les investissements et les salaires prioritaires sur les dividendes.

12. Interdire le dumping social et les délocalisations sous peine de saisie de l'outil de travail par les pouvoirs publics.

13. Favoriser la propriété d'usage des collectifs de travail. Si des actionnaires ferment un outil de production, le collectif de production doit en être propriétaire - et cela inclut la marque et les patentes - de droit.

Lohnarbeit

Ce qu'on traduit pas "salariat" en français vient du mot "Lohnarbeit" dans l’œuvre de Marx. Cette traduction permet de bien comprendre les propos du philosophe mais elle trahit un peu le fonctionnement du français et de l'allemand. La traduction change le sens et la portée du mot.

Le "Lohn" en allemand désigne l'indemnisation, le salaire. L'"Arbeit" désigne le travail. En formant un nom composé tel que "Lohnarbeit", l'allemand utilise un procédé auquel les francophones sont peu coutumiers.

Pour vous donner une idée de ce procédé, on peut évoquer un exemple qui n'a pas de rapport direct avec Marx. Dans une publicité récente, on parlait de beurre "frigotartinable". Cela signifie que le beurre peut être tartiné même quand il sort du frigidaire.

Les mots composés peuvent se former pour ainsi dire à l'infini en allemand. Par exemple, dans la citation ci-dessous, on utilise l'expression "formations sociales". En allemand, on les appelle les "Gesellschaftsformationen" ce qui serait l'équivalent français de "sociales-formation".

En allemand, on peut composer les mots les plus improbables en attachant autant de petits wagons que nécessaire. Le muscle squelettique du lapin devient le "Kaninchenskelettmuskel" ("lapin-squelette-muscle"), par exemple. En français, en espagnol ou en anglais on n'imaginerait pas qu'un tel mot existe (et en allemand on ne s'en sert pas tous les jours).

Le mot "Lohnarbeit" serait rendu par "salaire-travail" pourrait se traduire par "travail à salaire" ou "salaire soumis au travail". Dans les écrits de Marx, le problème décrit en termes bouleversants n'est ni le salaire ("Lohn"), ni le travail ("Arbeit") mais le fait que le premier soit conditionné au second et que, donc, pour survivre, il faille effectuer un travail pour un patron.

Ces discussions philologiques savantes peuvent sembler oiseuses. Mais l'enjeu est de taille. Si l'on entend dénoncer le salariat, on dénonce forcément le salaire lui-même alors que si l'on dénonce le Lohnarbeit, on dénonce la soumission du travail à celui qui détient le droit de distribuer ou non le salaire. Dans le premier cas, l'abolition du salariat mène à une société de la gratuité, dans le second cas, l'abolition du Lohnarbeit mène à une société où le salaire est indépendant du travail et où le travail est émancipé de toute conditionnalité, de la pression de l'aiguillon de la nécessité. 

Extrait
Nur die Form, worin diese Mehrarbeit dem unmittelbaren Produzenten, dem Arbeiter, abgepreßt wird, unterscheidet die ökonomischen Gesellschaftsformationen, z.B. die Gesellschaft der Sklaverei von der der Lohnarbeit.
Seule la forme sous laquelle [le] surtravail est extorqué au producteur immédiat, l'ouvrier, distingue les formations sociales économiques, par exemple la société esclavagiste de celle du travail salarié.
Le Capital, Karl Marx (trad. Jean-Pierre Lefebvre (dir.)), éd. Quadrige / PUF, 1993 (ISBN 2-13-045124-1), chap. VII (« Le Taux de survaleur »), Le degré d'exploitation de la force de travail, p. 242-243

Qui paie le violon choisit la musique

Nous rappelons à nos courageuses lectrices et nos courageux lecteurs que le patron ne paie ni les salaires, ni les cotisations sociales, ni les frais, ni les investissements, ni les dividendes.

Si c'était le cas, les patrons, notamment les gros patrons, seraient ruinés. Ils auraient des dettes astronomiques. Or les gros patrons sont souvent riches. C'est bien parce qu'ils ne paient rien de tout cela.

Ce sont les prix des marchandises achetées par les clients qui paient les salaires, les cotisations, les frais, les investissements et le reste. Mais les propriétaires lucratifs piquent une partie de la somme dans le processus, c'est ce qu'on appelle les dividendes (ou les intérêts des emprunts de l'entreprise).

L'employeur n'embauche pas par bonté de cœur, par magnanimité, par générosité, par idéal. Il embauche pour gagner de l'argent, pas pour payer quoi que ce soit. Il ne "paie" strictement rien, il organise le pillage du temps, de la qualification, de l'énergie des producteurs et de la richesse qu'ils créent. Par les producteurs en emploi et hors emploi, par les clients et leurs salaires, etc.
Donc, l'employeur, le propriétaire ne paient jamais rien. Ce sont les producteurs qui paient les propriétaires de leur temps, de leur liberté et de leur prospérité. Ce n'est pas l'employeur qui fait une fleur à l'employé. C'est l'employé qui se fait truander sa jeunesse, sa volonté et sa richesse par les employeurs.

Lien au marxisme

Je suis allé voir la maison Karl Marx à Trèves. Cette charmante demeure a été transformée en musée. Curieusement, le musée tente de faire le lien entre le philosophe du dix-neuvième siècle et un parti devenu résolument bourgeois (et employiste), le SPD.

Mais, indépendamment de cette curieuse orientation, j'y ai vu un schéma intéressant que je reproduis ci-dessus.


en français, cela donnerait ceci:

sur le même modèle, nous avons réfléchi à l'emploi (Lohnarbeit):


La condition ouvrière

Un petit extrait de la philosophe (à ne pas confondre avec la femme politique) qui a eu l’ambition de penser le travail dans le cadre capitaliste. Curieusement l’exploitation en vigueur à l’époque rappelle furieusement les techniques les plus modernes de management.
L’extrait résume le monde de l’emploi en termes poignants. La philosophe s’est essayée à l’usine, dans des années trente que hante un chômage de masse ...
Il y a deux facteurs dans cet esclavage: la vitesse et les ordres. La vitesse: pour “y arriver” il faut répéter mouvement après mouvement à une cadence qui, étant plus rapide que la pensée, interdit de laisser cours non seulement à la réflexion, mais même à la rêverie. Il faut en se mettant devant sa machine tuer son âme pour huit heures par jour, sa pensée, ses sentiments, tout. Est-on irrité, triste ou dégoûté, il faut ravaler, refouler tout au fond de soi, irritation, tristesse ou dégoût: ils ralentiraient la cadence. Et la joie de même. Les ordres: depuis qu’on pointe en entrant jusqu’à ce qu’on pointe en sortant, on peut à chaque moment recevoir n’importe quel ordre. Et toujours, il faut se taire et obéir. L’ordre peut être pénible ou dangereux à exécuter, ou même inexécutable; ou bien deux chefs donner des ordres contradictoires; ça ne fait rien: se taire et plier. Adresser la parole à un chef - même pour une chose indispensable - c’est toujours, même si c’est un brave type (même les braves types ont des mouvements d’humeur) s’exposer à se faire rabrouer; et quand ça arrive, il faut encore se taire. Quant à ses propres accès d’énervement et de mauvaise humeur, il faut les ravaler; ils ne peuvent se traduire ni en paroles ni en gestes, car les gestes sont à chaque instant déterminés par le travail. Cette situation fait que la pensée se recroqueville, se rétracte, comme la chair se rétracte devant un bistouri. On ne peut pas être “conscient”. 
Tout ça, c’est pour le travail non qualifié, bien entendu. (Surtout celui des femmes). 
Et à travers tout ça un sourire, une parole de bonté, un instant de contact humain ont plus de valeur que les amitiés les plus dévouées parmi les privilégiés grands ou petits. Là seulement on sait ce que c’est que la fraternité humaine. Mais il y en a peu, très peu. Le plus souvent, les rapports même entre camarades reflètent la dureté qui domine tout là-dedans.
Simone Weil, La Condition ouvrière, Gallimard, 2002, pp.60-61.

Socialisme ou barbarie?

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En regardant récemment un reportage d'Al Jezira sur l'esclavage en Angleterre1, une réalité s'est imposée à l'esprit. Indépendamment des choix éditoriaux de la chaîne qatarie peu portés à interroger les pratiques en la matière dans les pays du Golfe, des calculs politiques plus ou moins tordus qui peuvent présider au choix du cadre, il m'apparaissait comme une évidence que tous les esclaves dont il était question dans ce reportage étaient des employés forcés, non rémunérés, c'est-à-dire des esclaves qui travaillaient pour produire des marchandises à prix, des biens ou des services – en l'occurrence, dans le reportage, du cannabis et du nettoyage de voiture – pour des patrons, c'est-à-dire des propriétaires lucratifs. L'esclavagisme en Angleterre – qui concerne 30.000 personnes, donc, toujours selon le reportage – frappe donc des secteurs de l'économie capitaliste. Il ne s'agit pas de relations féodales, de liens liges ou de traces de l'ancien régime. Il s'agit d'entreprises avec des profits, des investisseurs, des chiffres d'affaire, etc. Comme les esclaves des plantations qui produisaient des marchandises à prix vendues selon des règles et des pratiques capitalistes, les esclaves anglais actuels ne s'inscrivent que dans l'économie capitaliste.


Malheureusement, c'est, au fond, le programme, l'ambition de nos dirigeants actuels. Il faut réduire les coûts salariaux, c'est-à-dire, en poussant peu à peu les choses à l'extrême, rétablir l'esclavage sous des formes plus ou moins assumées. Nous y sommes déjà, en fait. Les entreprises avec des esclaves sont en concurrence avec des entreprises avec des employés. Si les coûts de production sont moindres avec des esclaves, le monde politique nous explique, au nom de la concurrence et de la compétitivité, qu'il faut une modération salariale et un assouplissement du droit du travail. Peu à peu, de réforme en réforme, sous la pression de la concurrence, c'est bien l'esclavage capitaliste qui finit par s'imposer si l'on prolonge la tendance.

C'est que, depuis près de quarante ans maintenant en Europe, les politiques entendent préserver ou restaurer le taux de profit des entreprises, le retour sur investissement des investisseurs en réduisant peu à peu les droits sociaux du monde de l'emploi. Sous la pression d'un chômage de masse qui ménage les intérêts des actionnaires, le temps de travail augmente, les heures supplémentaires ne sont plus payées, les salaires stagnent ou diminuent et les statuts se précarisent. Là où une famille de classe moyenne pouvait se contenter d'un salaire dans les années soixante, il lui en faut deux aujourd'hui pour une qualité de vie comparable. Là où les conventions collectives et l'extension des prestations sociales apportaient de solides garanties sur l'avenir, il faut compter aujourd'hui sur des carrières précaires où même la solvabilité des ménages devienne problématique pour trouver un logement.

Si ce mouvement ne cesse pas, il n'y a pas de raison pour que l'ensemble des producteurs européens ne se retrouvent dans des conditions dignes de celles des esclaves. Il n'y a pas de limite à la cupidité des propriétaires d'entreprise – aussi sympathiques soient-ils à titre individuels, pas de limite non plus à la pression de la concurrence. Comme ces politiques de guerre aux salaires, de réduction des coûts diminuent la demande en biens et services en comprimant lesdits salaires, elles contraignent le monde de l'entreprise à produire à moindre coût, c'est-à-dire à faire … une guerre au salaire. C'est dire que non seulement les patrons qui ont la fibre esclavagiste exploitent leurs employés mais, par le truchement de la concurrence même les patrons les plus humanistes y sont contraints. Ce cercle vicieux déflationniste induit une crise économique et plonge les producteurs dans la misère, dans la famine.

Mais il n'y a pas de plancher. D'abord, on fait sauter la semaine de quarante heures (puis celle de cinquante, puis de soixante, etc.), puis le droit du travail, puis la protection sociale, puis les salaires socialisés, puis les limites d'âge, puis les barèmes salariaux, puis le droit d'association. On peut voir les os des producteurs blanchir les champs, on peut voir des malheureuses proposer des prestations sexuelles pour deux pommes-de-terre pourries, on peut voir les enfants enfermés à la mine. Il n'y a absolument aucune limite comme l'attestent les témoignages sur le XIXe anglais.

L'accumulation ou la socialisation


Cette voie de l'accumulation de quelques-uns amène une baisse du taux de profit comme l'avait souligné Rosa Luxemburg. Elle avait aussi souligné que cette voie amènerait soit à la barbarie – les enfants qui travaillent, la fin du droit du travail, etc. - soit au socialisme, c'est-à-dire, a minima, à la socialisation des moyens de production.

La socialisation des moyens de production, c'est la démocratisation des outils de production, c'est l'abolition de la propriété lucrative et l'avènement de la propriété d'usage des producteurs. Bien sûr, les esprits chagrins diront qu'une telle perspective est chimérique et qu'elle n'abolira pas toutes les contradictions qui traversent le corps sociale.

Si la seconde objection paraît difficilement contestable, elle n'en rend pas pour autant la perspective de la barbarie plus désirable. Reste la première, la question de la possibilité du socialisme compris comme socialisation des moyens de production. Cette perspective s'inscrit aussi bien dans un déjà-là (que l'on pense aux coopératives ou à la partie de la valeur ajoutée générée sans employeur, sans pression à la productivité à travers la sécurité sociale) que dans l'utopie en tant que perspective du corps social dans son ensemble. Cette notion d'utopie renvoie à d'autres utopies, politiques celles-là qui ont triomphé aux XVIIIe et XIXe siècles, portées par les Lumières.

L'avènement de l'utopie du droit et de la démocratie


Le Roi-soleil décidait de tout. Il pouvait en toute légitimité condamner ou gracier qui il voulait. La justice n'était pas affaire de loi – ou plutôt, quand des lois existaient, le principe souverain leur prévalait – mais c'était une affaire de personnes, de relations interpersonnelles avec le roi, ses représentants ou avec le seigneur ou l'ayant-droit local. Alors qu'elle pouvait être taxée d'utopique au départ, l'ambition politique des Lumière a remisé ces pratiques dans les livres d'histoire. La notion de droit a constitué une petite révolution. Alors que
auparavant, la décision de justice était question d'arbitraire, la loi s'instituait en universel individuel. Tous les individus étaient jugés à l'aune d'une même loi. À partir de ce moment-là, le corps politique n'évaluait plus les mérites ou les turpitudes de tel ou tel individu. Il s'est mis à légiférer, c'est-à-dire à chercher des lois qui puissent s'appliquer à l'ensemble du corps social et à en évaluer la pertinence à l'usage ou a priori, selon ses propres convictions.

C'est dire que la notion de loi et celle de nation (au sens très large de corps politique doté de législateurs universels) ont été inventées à partir d'idéaux et qu'elles se sont imposées au terme de luttes politiques et de rapports de force sociaux. Elles ont rendu le droit civil à la fois universel dans ses formulations – le crime est puni pour tout le monde, il est poursuivi quelles que soient les convictions du criminel – et profondément individuel dans ses applications puisqu'il a toujours été appliqué à des individus. La prison condamne l'individu en fonction d'un loi, l'amende doit être acquittée par icelui, etc.

L'économie des Lumières


Les grandes révolutions des Lumières ont chamboulé la pratique du droit quand elles ne l'ont pas créée. Pour autant, il reste un domaine dans lequel les Lumières ont échoué à universaliser le droit, c'est celui de l'économie. La démocratie contrôle et légifère sur les mœurs, sur les contrats civils, sur les normes sanitaires mais elle s'arrête aux frontières de l'entreprise et du PIB. La question du socialisme ou de la barbarie pose pourtant cette question d'extension et d'universalisation du droit à la sphère économique comprise au sens large. Pour reprendre l'esprit du droit civil, une socialisation de l'économique doit être universelle en son principe et individuelle en son application. Les deux exemples d'ébauche de ce qui est à entreprendre s'inscrivent de manière inégale dans ce paradigme des Lumières.

Alors que la sécurité sociale tend à être universelle dans son principe, elle est, de toute façon, individuelle dans son application puisque les prestations sont versées à des individus mais elle tend à être universelle dans son principe dans la mesure où les droits ouverts par la sécurité sociale sont universels et non individuels. De la même façon que tous les justiciables bénéficient universellement de la protection de la justice à titre individuel, la sécurité sociale doit être universelle mais ses droits doivent être ouverts à titre individuel. Conditionner les droits de la sécurité sociale à la rectitude d'un parcours professionnel, c'est comme si on conditionnait le droit d'être défendu du vol à sa propre probité : ce serait non seulement inapplicable mais cela saperait les bases philosophiques-mêmes du droit, c'est-à-dire l'universalité en principe et l'individualité en application.

Mais la sécurité sociale n'est qu'une partie du salaire. Or, c'est l'ensemble de l'économie qui devrait appliquer les principes de droit et de démocratie. Et c'est là que l'autre expérience de démocratie économique que nous avons mentionnée, les coopératives, peut avoir force d'exemple. Voyons comment on pourrait appliquer les principe du droit et de la démocratie à l'ensemble de l'économie.

L'économie, c'est
  • la valeur ajoutée produite chaque année – qui devrait donc, pour suivre les principes du droit, être attribuée démocratiquement, être universelle en principe et individuelle en application. La distribution de la valeur ajoutée entre les salaires (qu'ils émargent d'un employé ou d'un prestataire) et les investissements doit être décidée par le corps social, librement, par l'ensemble des individus qui le composent
  • les outils de production. Ils doivent être tous, par principe universel, gérés par leurs propriétaires d'usage. La notion de propriété lucrative ne peut être conservée puisqu'elle est une négation du droit et de la liberté des individus, des collectifs de travail et du corps social dans son ensemble au seul profit des propriétaires lucratifs
  • la nature de la production, ses modalités d'organisation et la gestion des ressources naturelles communes. Elles doivent être déterminées par les intéressé(e)s

Ces principes de démocratie économiques sont ceux qui sont pratiqués dans les coopératives. Un homme, une femme, une voix. Ils ne sont donc pas, eux non plus, de l'ordre des utopies irréalisables puisqu'ils fonctionnent déjà à plus ou moins grande échelle.

La voie de l'esclavage, celle que Luxemburg appelait la barbarie, n'est pas inévitable puisque des pistes concrètes d'extension du droit, de la démocratie à la politique existent. Que l'on nomme l'universalisation de ces pistes « socialisme » ou non ne change pas grand-chose à l'affaire. Si nous ne devenons pas des êtres de droits en économie comme nous le sommes devenus en politique, nous risquons de redevenir des esclaves, de perdre la Lumière qui nous reste.


De quoi avez-vous peur?

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Ce matin, on m’a envoyé un article de Matéo Alaluf sur la “théorie du salaire” de Bernard Friot (http://www.lcr-lagauche.org/la-soli...). Comme l’article est écrit rapidement, sans aucune citation, je ne prendrai pas la peine de faire mieux. Cet article appelle néanmoins une réponse parce qu’il déforme les propos de Bernard Friot, d’une part, et, d’autre part, parce qu’il fait l’apologie de l’impuissance et de la résignation au nom d’une pseudo-combativité pseudo-marxiste susceptible d’embourber la gauche pour longtemps. 
Mon article-réponse (il n’y en aura pas d’autre, j’ai autre chose à faire) se décompose en deux parties. La première partie mesure l’écart entre ce que je comprends de l’œuvre de Bernard Friot et ce qu’en fait Mateo Alaluf. Cette partie est relativement longue et plutôt technique. La seconde partie porte sur la vision du monde de Mateo Alaluf selon une critique marxiste puisque c’est sur le terrain du marxiste qu’il place le débat.

Ce que je lis chez Bernard Friot

Dans cette partie un peu technique - que les lecteurs lassés n’hésitent pas à passer directement à la seconde partie - je vais décortiquer toutes les affirmations de Mateo Alaluf relatives à l’œuvre de Bernard Friot et souligner les divergences avec ma propre lecture. En effet, Mateo Alaluf donne le sentiment de ne pas avoir lu Bernard Friot, ou de l’avoir lu rapidement avec un biais idéologique. En tout cas, la théorie de Bernard Friot est sérieusement rabotée dans l’article.
- La théorie de Bernard Friot n’est pas une théorie du “droit à un salaire universel”, c’est une théorie de la socialisation de la valeur ajoutée, profit, investissement, outil de production et salaire - qui inclut donc le salaire.
- La “convention capitaliste du travail”, c’est aussi bien, dans l’œuvre de Bernard Friot (de mémoire, dans Émanciper le travail), un acquis par rapport au salaire à la pièce (donc quelque chose d’émancipateur historiquement: la convention capitaliste du travail inclut du droit du travail, un contrat de travail et des barèmes) et un asservissement lié à une lutte de classe puisque la classe propriétaire détient les outils de production et que les prolétaires ne détiennent que leur force de travail puisque ce sont les postes qui sont qualifiés et non les personnes. Le rabotage est donc moins le fait de Bernard Friot que d’un lecteur pressé.
- Bernard Friot ne congédie nullement la lutte de classe. Il en précise les contours et les enjeux.
- Le temps comme source du salaire dans la pratique de la valeur capitaliste n’est pas une idée de Bernard Friot. C’est une idée qu’il reprend à Marx qui l’avait lui-même reprise à Smith. Cette idée peut paraître très compliquée à comprendre mais les contrats mi-temps sont toujours payés moitié moins que les contrats temps plein dans la pratique capitaliste de la valeur. D’autre part, quand Mateo oppose la nature ou la qualification comme source de valeur aux théories de Friot, il tape à côté: dans la pratique capitaliste de la valeur, le travail est organisé par un marché, le marché de l’emploi et, dans ce capitalisme, c’est ce marché qui attribue la valeur au poste, c’est ce marché qui qualifie les postes. Chez les fonctionnaires, par contre, la qualification n’est pas attribuée par le marché de l’emploi au poste mais elle est liée à la personne. Par ailleurs, la nature crée de la valeur d’usage, pas de la valeur économique (et ça, c’est de nouveau Marx qui le dit). À partir de cette valeur d’usage, les producteurs produisent de la valeur abstraite, de la valeur d’échange.
- Pour Mateo Alaluf, le chômeur et le fonctionnaire ne créent pas de valeur ajoutée. J’ai déjà prouvé que le chômeur et le fonctionnaire créaient de la valeur ajoutée (plateformecontrelemploi.blogspot.be...) mais, pour prendre un exemple qui devrait parler à un syndicaliste, comment se fait-il alors, si ni le chômeur, ni le fonctionnaire ne créent la valeur ajoutée correspondant à leur salaire, que les emplois “aidés” dans lesquels il n’y a aucune cotisation et aucun impôt ne soient ... pas mieux payés que les autres? Pour prendre un autre exemple, quand le taux de TVA dans la restauration a changé en France (si je me souviens bien, il a augmenté puis baissé), les salaires du secteur n’ont pas bougé - ou quand les prestations de sécurité sociale ont été augmentées pour tout le monde dans les années 1940-1980, les salaires individuels n’ont jamais bougé. Les salaires n’ont pas bougé parce que ce sont les prix qui ont bougé, pas les salaires. En augmentant les prix, on a augmenté la valeur ajoutée créée mais on n’a rien fait payer aux salariés en emploi.
- Quand Bernard Friot dit que les retraités ou les fonctionnaires produisent de la valeur économique, il ne dit pas qu’ils produisent de la valeur d’usage. Que les fonctionnaires ou les retraités fassent des choses utiles, c’est indéniable mais ce n’est pas l’objet de la réflexion de Bernard Friot. Ce qu’il écrit et dit, c’est que les retraités, les chômeurs ou les fonctionnaires créent de la valeur d’échange, de la valeur économique. Ce qui est révolutionnaire, c’est que cette valeur économique que Mateo Alaluf entend réserver aux patrons est produite sans employeur.
- Friot le dit et le répète - c’est l’objet du premier chapitre de Émanciper le travail - le travail concret crée de la valeur concrète (comme la nature, d’ailleurs) et le travail abstrait crée de la valeur économique. Le travail abstrait, c’est ce qui est reconnu comme créant de la valeur économique. La valeur abstraite fonctionne selon une logique circulaire mais n’a rien à voir avec la valeur concrète
- Mateo Alaluf fait une citation de Bernard Friot qu’il oppose à juste titre au fait que le chômeur et le fonctionnaire créent la valeur ajoutée correspondant à leur salaire (je cite sa citation): “un actif en 2040 produira davantage que deux actifs aujourd’hui et en conséquence deux fois plus de cotisations pour financer les pensions”. Cette citation est tellement décalée par rapport à l’œuvre de Friot que je voudrais bien avoir la source et le contexte puisque Alaluf n’a pas jugé bon de les mentionner.
- Friot insiste sur le fait que la sécurité sociale est née dans le cadre d’un rapport de force entre les producteurs et les employeurs. C’est une chose qu’il écrit, dit, redit et répète dans à peu près toutes ses conférences. En Belgique, c’est certainement vrai puisque, au moment de l’adoption du pacte social, les ouvriers étaient armés et en grève et que la gendarmerie, elle, était désarmée. C’est bien ce rapport de force qui a poussé les patrons à accepter un compromis qui, visiblement, leur pèse aujourd’hui que le rapport de force a évolué.
- Friot dénonce certaines formes de solidarité et défend d’autres formes de solidarité. Il dénonce la solidarité de l’employeur envers l’employé, du patron envers le pauvre, du riche envers le pauvre, de la dame patronnesse envers le bon pauvre, de l’employé envers le (bon) chômeur, etc. Il défend la solidarité du partage de l’outil de production. L’idée de Friot, c’est de dire que l’économie, ce ne soit plus eux, mais qu’elle devienne nous. Ce “nous” est solidaire de fait parce qu’il partage les décisions, la gestion de l’outil de production, la question du devenir du collectif de travail, etc.
- En Belgique, un tiers du PIB est produit par les cotisations-prestations sociales. Quand ces cotisations-prestations diminuent ou disparaissent, les salaires individuels et le PIB se compriment.




- Le modèle de la sécurité sociale par cotisation dit bismarckien n’existe pas que en Belgique et en France. Il a aussi cours en Allemagne, en Italie, au Pays-Bas et, récemment, quoique sur une base notoirement insuffisante, a été adopté ces dix dernières années aussi bien en Chine qu’en Russie. Il ne s’agit pas d’un modèle hypothétique puisque, pour la seule Belgique, il produit plus de 60 milliards par an de PIB. Pour du désincarné, ça fait tout de même de gros chiffres. 
- Par rapport à l’État, Friot ne prône ni sa disparition (comme le prétend Alaluf) ni, d’ailleurs, son renforcement (comme le prétendait un article anarchiste dont je n’ai pas les références). L’État n’est pas l’objet de la réflexion de Friot. Ce qu’il constate par rapport à l’État, c’est que c’est une modalité de création de valeur qui n’est pas capitaliste. Ça ne veut pas dire que l’État est le bien souverain ou que c’est la solution, ni que c’est le mal ou le problème, ça veut dire que dans les institutions de l’État, il y a une bonne chose à prendre: la qualification à la personne des fonctionnaires. 
- Friot a toujours souligné les rapports de force à l’origine des avancées de la classe salariale révolutionnaire.
- Fonder une action politique sur des principes moraux de solidarité de “ceux qui ont (un emploi)” envers “ceux qui n’ont pas (un emploi)” est suicidaire d’un point de vue syndical puisque cela amène à revendiquer ... un emploi pour pouvoir être moral, pour pouvoir être solidaire. 
- Friot ne veut pas taxer le capital tout simplement parce qu’il veut l’abolir. Au lieu de faire payer un impôt aux propriétaires lucratifs (ce qui ne change rien aux conditions effectives de travail), il veut abolir la propriété lucrative (ce qui change tout aux conditions effectives de travail). 
- Si le droit au salaire peut être considéré comme incantatoire, alors le droit au pouvoir d’achat réclamé par les syndicats doit l’être de la même façon. Mais je ne vois pas où cela nous mène puisque toute revendication et toute ambition politique peuvent être qualifiés d’incantatoire. En d’autres termes, si le réseau salariat est une secte, tous les syndicats qui revendiquent et qui réclament doivent être qualifiés comme tels également.

Ce que je lis chez Mateo Alaluf

En filigrane de l’article se dessine un projet de société. Les richesses économiques sont produites uniquement, selon Mateo Alaluf, par les salariés des entreprises privés. Ces salariés en emploi “payent” par “solidarité” les pauvres, les chômeurs et les fonctionnaires.



De ce fait, pour pouvoir être “solidaire” (selon Mateo Alaluf, donc), il faut trouver un emploi et, donc, un employeur. Suite à des circonvolutions vertigineuses, le penseur qui dénonçait en des termes poignants le travail à gage (Lohnarbeit), ce jeune philosophe horrifié des conséquences de la révolution industrielle en Angleterre, est utilisé par Mateo Alaluf pour justifier la soumission à un employeur comme vecteur d’émancipation. Marx n’a jamais dénoncé le salaire (Lohn) puisqu'il en dénonçait l'insuffisance, il a dénoncé l’aliénation de la soumission de l’employé à l’employeur, il a dénoncé l'articulation entre le salaire (Lohn) et le travail (Arbeit), ce qui n'est pas du tout la même chose.
Mais il n’y a pas que ça. Pour Mateo Alaluf, la perspective 
d’émancipation est de réclamer plus de pouvoir d’achat, plus d’emploi aux employeurs et aux instances politiques. C’est dire que, pour pouvoir être solidaire, pour que les riches puissent donner aux pauvres, il faut qu’ils aient un emploi, se soumette à cette aliénation qui horrifiait le jeune Marx (Lohnarbeit) et défilent derrière les syndicats pour demander plus de pouvoir d’achat. La perspective ultime pour Mateo Alaluf, c’est que l’État taxe la propriété lucrative sans l’abolir, c’est que l’État augmente les salaires sans toucher au principe du marché de l’emploi et c’est que les employeurs cèdent aux demandes des producteurs, impressionnés par leur nombre et par leur force. La perspective de défiler Nord-Midi (Bastille-Nation pour les Français) en sacs poubelle syndicaux pour demander à l’État des protections et aux employeurs du pouvoir d’achat n’est en rien émancipatrice ou mobilisatrice. Elle ne porte aucune ambition, aucun désir commun, aucune perspective.
Mais pourquoi pas? Parce que les défilés Nord-Midi laissent une série de questions ambitieuses en suspend:
Le malaise qui se répand depuis des décennies dans le monde de l’emploi ne correspond-il à rien? Ce sentiment horripilant d’obéir à des incompétents animés par un goût du lucre ne serait-il qu’une illusion? Le modèle de développement des employeurs, faits de pillage, de saccage des ressources naturelles et de burn-out et de bore-out des humains serait-il un absolu émancipateur?
Quant à l’État qui régule, limite, cadre faut-il vraiment compter sur lui à l’heure où le politique traverse une crise et, en ce cas, pourquoi avoir soutenu l’Europe et ses institutions anti-démocratiques à l’heure où elle sapait l’État, pourquoi soutenir la régionalisation de la sécurité sociale?
Parce que, au fond, indépendamment des convictions de Marx ou d’Alaluf ou du pape, la question que pose Bernard Friot, c’est celle de la liberté, de l’émancipation du travail. Il s’agit de décider ensemble ce qu’on va produire, comment et pour quoi.
Mais dites-moi, Monsieur Alaluf, de quoi avez-vous peur?

L'utopie

Il y a en ce moment de formidables réflexions sur le sens du travail, sur le faire ensemble, sur l'impact de la technologie sur le travail.

Si toutes ces réflexions se contredisent entre elles parfois, elles n'en partagent pas moins une intelligence, une mise en doute du cadre, une recherche philosophique et une honnêteté assez impressionnantes.

Mais, tant que les propriétaires lucratifs décideront qui travaille, comment et pour quoi, tant que les employeurs (eux-mêmes éventuellement prisonniers de leurs créanciers) devront diriger l'activité vers des gains financiers, ces belles réflexions demeureront lettres mortes.

Vous pouvez bien théoriser, penser, vouloir ce que vous voulez comme monde idéal, tant que chaque employé sera seul face à un employeur qui détient le monopole du droit de reconnaître ou non la légitimité sociale, il faudra bien lui obéir. Et, tant que l'employeur sera contraint par des actionnaires ou des créanciers à gagner de l'argent encore et encore, il faudra bien qu'il s'exécute - que l'employeur soit généreux ou avare, qu'il soit ambitieux ou timoré, qu'il soit sensible ou fermé importe peu.

Et si on démocratisait le travail? si on décidait de décider qui produit et pour quoi? si on dépassait la malédiction du rendement et du bénéfice sur résultat?

Après tout, si on fait le compte du travail qu'il y a à faire, nous avons
- prendre soin des enfants
- rafraîchir les infrastructures existantes
- développer les infrastructures de transports publics
- préparer et initier la transition énergétique
- restaurer le parc immobilier et le rendre énergétiquement performant
- préparer l'agriculture à l'après-pétrole
- développer la culture, le vivre ensemble
- soigner les malades, développer les thérapies
- etc.
mais ce travail indispensable est rendu impossible par le fait que tout travail est conditionné à l'impératif de gain financier rapide.

Au fond, ce n'est pas le travail sans emploi qui est une utopie, c'est-à-dire une idéologie sans lieu; c'est l'emploi.

Injonction paradoxale et emploi

Sur Télérama, Marion Rousset s'interroge sur les liens entre injonction paradoxale et emploi (ici, en français).

Extrait pour vous mettre en bouche:

Aujourd'hui, du cadre d'entreprise à l'employé administratif, de l'assistante sociale au salarié d'Orange, de l'infirmière à l'informaticien, tout le monde ou presque est sommé de concilier l'inconciliable. Au point que ces injonctions paradoxales pourraient bien finir par rendre tout le monde malade.
« Comment lutter contre ses pulsions schizoïdes et paranoïdes dans un contexte qui sollicite des comportements pervers ? », se demandent ainsi les sociologues Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique Tdans leur dernier essai, Le Capitalisme paradoxant. Fou, il y a de quoi le devenir. Les lieux de travail fourmillent d'équations inextricables à se taper la tête contre le bureau.
« Dans un centre d'appel d'une grande entreprise du secteur banque-assurance où nous avons enquêté, on demande au salarié de répondre très vite aux appels : le temps écoulé défile sur un bandeau. Et en même temps, il doit fournir un travail de qualité, répondre à fond à la question, donner satisfaction au client, alors qu'il n'a même pas accès aux dossiers », raconte par exemple la sociologue Dominique Méda. Fiabilité et rapidité, coût et sécurité, qualité de la relation client et productivité…

Le maniement du paradoxe

Révélé par des psychologues de l'école de Palo Alto, en Californie, le maniement du paradoxe, d'abord cantonné aux multinationales, a fini par s'immiscer partout, jusque dans les institutions publiques – à l'université ou à l'hôpital, dans la police ou la justice. « Cette situation, nous l'avions diagnostiquée à IBM dès les années 70 », précise Vincent de Gaulejac à propos de « l'autonomie contrôlée », notion aussi ancienne qu'usée à force d'avoir été pointée.
« On demande aux individus d'être des canards sauvages apprivoisés ! Ils doivent être créatifs tout en étant conformes à ce qu'on attend d'eux. » Ce mode de gestion né aux Etats-Unis s'est propagé en France dans les années 90, avant que le débat ne prenne récemment une tournure plus politique.
A l'heure des restrictions budgétaires, l'Etat lui-même impose à ses agents des orientations conçues par des « planneurs » mandatés pour produire des PowerPoint et raisonner en plans abstraits. Les nouveaux donneurs d'ordres, ce sont ces consultants extérieurs. Du coup, les conflits peinent à s'exprimer entre salariés et supérieurs hiérarchiques dans l'enceinte de l'entreprise.

Considérations communautaires

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En Belgique, la vie politique est ponctuée de considérations communautaires. Au sein des mouvements régionalistes, les flamingants se distinguent par leur constance et par leur virulence. Ils dénoncent à l'envi le coût des Wallons, les habitants de l'autre partie du pays, pour leurs coreligionnaires flamands.

Derrière ce discours, il y a la logique qu'un employé, un salarié, un prestataire social sont des coûts, ce qui, du point de vue salarial, du point de vue anti-employiste qui est le nôtre est du délire. Les producteurs, en emploi ou hors emploi, ne coûtent pas à l'économie, c'est eux qui font l'économie.

Mais voyons cet argument de plus près - non pour nous situer sur le délicat terrain des conflits communautaires belge, nous n'avons rien à y faire mais pour démonter la logique intrinsèque, le dieu caché dans la tapisserie de ce genre de discours.

Soit l'on considère que les producteurs (salarié en emploi ou prestataires sociaux) produisent la valeur ajoutée correspondant à leur salaire et la notion même de coût d'une région envers une autre au nom des transferts sociaux n'a pas de sens.

Soit l'on adopte le point de vue libéral qui, seul, permet de considérer les producteurs qui font l'économie comme des coûts. À ce moment-là, ce ne sont pas les producteurs qui créent la richesse mais les entreprises et elles seules. Les salariés, les cotisations sont considérés comme des coûts pour les libéraux.

Dans l'optique libérale, si l'on regarde les données de la Banque Nationale Belge (ici, pp. 12-23), il faut considérer les seules valeurs ajoutées créés par les entreprises.

Nous avons donc, pour les régions, en milliards d'euros, pour l'année 2012:

Bruxelles: 63 milliards d'€ de valeur ajoutée créée par les entreprises (soit 18,1%)
Flandre: 202 milliards d'€ de valeur ajoutée créée par les entreprises (soit 58,2%)
Wallonie: 82 milliards d'€ de valeur ajoutée créée par les entreprises (soit 23,6%)

Dans le même temps, pour la même année, les producteurs assimilés à des coûts pour les entreprises par les libéraux se sont répartis les salaires selon les chiffres ci-dessous. Les revenus primaires ne tiennent pas compte des impôts et des prestations sociales alors que les revenus secondaires les intègrent. On voit que les salaires secondaires sont plus importants en Wallonie que les salaires primaires. Les Wallons paient donc moins d'impôt et bénéficient de davantage de prestations sociales que leurs équivalents flamands. C'est sur cet argument que se fondent les discours nationalistes (les Wallons sont des profiteurs, etc.). Que l'on en juge.

Bruxelles: revenus primaires 9,3%; revenus secondaires 9,5% (+0,2%)
Flandre: revenus primaires 62,6%, revenus secondaires 61,2% (-1,4%)
Wallonie: revenus primaires 28%, revenus secondaires 29,3% (+1,3%)

Le hic dans ce raisonnement, c'est que pour la fédération patronale flamande comme pour les libéraux encartés dans les partis politiques flamingants, la valeur ajoutée n'est pas produite par les producteurs mais par les entreprises. Il faut donc comparer les revenus secondaires (qui intègrent salaires sociaux, salaires directs et revenu de l'épargne ou revenus immobilier) à ... ceux produits par l'entreprise.

Nous avons donc

Bruxelles: valeur ajoutée des entreprises 18,1%; revenus secondaires 9,5% (-8,4%)
Flandre: valeur ajoutée des entreprises 58,2%, revenus secondaires 61,2% (+3,8%)
Wallonie: valeur ajoutée des entreprises 23,6%, revenus secondaires 29,3% (+5,7%)

Pour nous résumer, du point de vue libéral, ce ne sont pas les Wallons qui coûtent aux Flamands, ce sont les Flamands et les Wallons qui coûtent aux entreprises bruxelloises.

Le point de vue libéral est tout aussi abject que celui des nationalistes, à n'en pas douter. Il a néanmoins le mérite d'expliquer pourquoi un parti nationaliste flamand ouvertement libéral et pro-patronal ne met qu'un zèle somme toute très mesuré à obtenir l'indépendance effective de la Flandre alors qu'il est au pouvoir aux niveaux national et régional.

Mais que ce soit le point de vue nationaliste ou le point de vue libéral, on arrive à une impasse insurmontable: dans les deux cas, les producteurs sont perçus comme des coûts (sauf s'ils travaillent pour un propriétaire lucratif dans le point de vue nationaliste).

Et c'est bien ces points de départ que nous contestons: ils fondent l'hégémonie de l'emploi et son cortège de désastres psychosociaux et environnementaux, ils nous condamnent à devenir des zombies qui sont des coûts et font gagner de l'argent non à ceux qui sont désignés comme des coûts mais aux propriétaires lucratifs, ceux à qui les producteurs sacrifient leur vie, leur temps, leur créativité, leur famille voire leur santé.

Le manager toxique

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Nous traduisons un article de Glynis Sweeny sur Alternet (ici). Reconnaître un manager pervers peut être utile en emploi ou même au chômage.

Bon courage à toutes et à tous en tout cas.

Si vous pensez que votre chef essaie de vous piéger mais ne trouve aucune faute professionnelle pour ce faire, il se pourrait que vous ne soyez pas parano, après tout. Il se peut même que vous tapiez dans le mile et que le chef opère juste en secret en vous isolant et en vous ostracisant. La plupart des managers - même les mauvais - accordent de l'importance au maintien d'une façade de professionnalisme sur le lieu de travail de sorte que certains sont devenus de plus en plus experts dans l'art de tromper les employés.
Ces manager passifs-agressifs sont souvent fortement appréciés sur les lieux de travail modernes parce que beaucoup d'entreprises croient qu'ils peuvent contribuer à dégager les employés indésirables. Une recherche de l'University of Buffalo (ici, en anglais) de management a prouvé que, sur le lieu de travail, il valait mieux être un despote. Ceux qui harcèlent jouissent généralement d'excellents rapports de leurs supérieurs et montent rapidement les échelons des responsabilité dans l'entreprise.
Quand les travailleurs sont harcelés par des supérieurs passifs-agressifs, ils se sentent honteux, isolés, vidés de leur énergie et de plus en plus obsédés par la perspective d'être licenciés. Les patrons toxiques peuvent non seulement compromettre votre carrière mais ils peuvent, en plus, mettre votre santé et votre vie intime en danger. Le Workplace Bullying Institute (Institut du despotisme sur le lieu de travail) déclare que plus de la moitié des sujets étudiés sur le lieu de travail souffrent d'anxiété et près d'un tiers souffrent d'un désordre de stress post-traumatique.

Voici huit traits communs des managers toxiques

1. Ils ne font jamais de retour constructif. Les meilleurs managers investissent dans le développement et cela signifie qu'ils donnent des conseils et encouragent votre travail. Ils veulent contrebalancer leur position d'autorité en entretenant des communications honnêtes avec leurs employés. Cependant, les managers qui ne valorisent pas leurs employés ne s'occupent pas d'évaluer leur travail ni de les féliciter quand ces derniers atteignent ou dépassent les objectifs sur un projet. Un manager toxique évitera de créer une telle relation avec vous ou craindra de baisser sa garde et de révéler son mépris pour vous.

2. Ils sont beaucoup trop pointilleux. Plutôt que d'éviter de donner des retours, certains managers prennent la tangente en trouvant des erreurs, aussi petit que soit le problème. Ainsi, en dépit du travail acharné d'un employé ou de la qualité générale de son travail, le manager se focalise sur une petite erreur, sur un petit détail sans importance. Un supérieur hiérarchique peut vous incriminer pour une erreur typographique dans un long rapport ou se plaindre du choix du papier en négligeant le grand soin et les efforts qui ont été consentis à son élaboration. De tels retours amènent les employés à douter de leurs compétences et de leur valeur.
Certains managers toxiques sont obsédés par leur montre, ils prennent note de l'heure à laquelle vous arrivez le matin et partez le soir et sont tatillons sur la longueur des pauses. Si vous prestez une journée de travail honnête, votre manager ne devrait pas se plaindre pour dix minutes par ici et quinze minutes par là: il regarde la montre pour instruire un dossier à charge.

3. Ils donnent des directives vagues. Les patrons passifs-agressifs exigent souvent des employés qu'ils anticipent leurs souhaits, aussi implicites soient-ils. Les employés se retrouvent alors dans un lieu de travail psychogène: les employés risquent soit de paraître inintelligents ou insubordonnés en posant trop de questions, soit de perdre beaucoup trop de temps à spéculer sur les attentes concrètes de leur employeur. Dans ce dernier cas, si vous ne parvenez pas à vous imaginer ce que le patron a vraiment dans le tête, vous courez le risque de rater maladroitement la tâche et de permettre au manager de construire un récit dans lequel vous n'êtes pas très doué pour suivre les instructions.

4. C'est "juste une blague". Même le pire des départements des ressources humaines sait que les blagues, les sarcasmes et les taquineries au dépend d'un tiers constituent des abus de pouvoir sur le lieu de travail, mais ils négligent souvent d'agir, ils minimisent ces interactions en les prenant pour des plaisanteries inoffensives. Cependant, même la moquerie la plus fine au sujet de choses telles que des traits de la personnalité, des ambitions ou des hobbies est une forme légère de harcèlement. Vous pouvez trouver cruelle une série de piques douces, mais c'est une rude affaire de prouver qu'elles sont un type de violence.

5. Ils vous ignorent. Être ignoré est peut-être la tactique d'abus de pouvoir la plus vicieuse. Alors que ce n'est pas nouveau que des managers favorisent certains employés, cela ne rend en rien moins odieux le fait qu'une employée soit régulièrement ignorée par son manager. Une employée dans une maison d'édition partage cette anecdote qui résume l'impasse dans laquelle elle se trouvait: lors d'une réunion au sujet d'un projet dont elle était le fer de lance, son patron écouta attentivement quand l'un des membres de son équipe prit la parole mais s'agitait et regardait son téléphone lorsque vint son tour à elle. Plus tard, le patron rédigea un mémo pour féliciter son collaborateur en négligeant de la mentionner. Comme elle n'était pas dans le cercle intime de son patron, cela eut un impact sur son moral et, par la suite, elle évita de prendre des rôles de direction dans des équipes et devint de plus en plus déprimée au travail. Cet abus de pouvoir de style passif-agressif peut se produire de plein d'autres façons. Il est important de reconnaître le schéma pour se protéger. Outre le fait d'être ignoré en réunion décrit ci-dessus, un manager toxique peut vous cibler en vous laissant en dehors de mailing-lists, en limitant votre participation aux conversations sur le lieu de travail en général ou en étant présent à des fonctions sociales en dehors des heures de travail avec d'autres travailleurs en vous en excluant.

6. Ils veulent être votre "ami". Parfois, un manager toxique est trop amical. Faites attention au chef qui vous suit sur Twitter ou sur Instagram ou veut être "ami" sur Facebook. En tant qu'employé, c'est votre choix, si vous voulez lui faire suffisamment confiance mais prenez garde aux motivations qui le poussent à se connecter avec vous sur les médias sociaux. Il pourrait fouiller dans votre vie personnelle, rechercher des signes que vous pourriez chercher un autre job ou juste vous mater.

Les managers toxiques non seulement dévoient les médias sociaux pour traquer les activités de leurs employés quand ils sont hors du boulot mais ils peuvent aussi chercher des allusions au fait que leurs travailleurs sont mécontents ou passent des entretiens d'embauche ailleurs.

En outre, les managers toxiques qui deviennent vos "amis" peuvent vous demander de faire de la promotion pour l'entreprise et ses produits sur les médias sociaux. Cependant, cette pratique est condamnée par les compagnies de médias sociaux. C'est stipulé dans le contrat. Facebook interdit explicitement aux employeurs d'utiliser les échéanciers personnels de leurs employés pour des gains commerciaux de la compagnie.

7. Ils abusent de votre temps de repos. Avec des téléphones portables, des textos, il est parfois difficile d'être tranquille et certains lieux de travail n'interrompent votre temps de repos qu'en cas d'urgence. Cependant, quand votre employeur vous demande de travailler pendant des jours de convenance personnelle, de maladie ou de vacances sans préavis, c'est tout-à-fait inacceptable. De plus, ils ne peuvent pas vous surcharger de travail avant une absence planifiée. Travailler l'équivalent d'une semaine de travail en heures supplémentaires la nuit avant une semaine de vacances supprime la notion de vacances qui devient une flexibilité infernale. Les mauvais chefs sont aussi connus pour ne pas vous reprendre quand vous avez pris des congés pour raisons personnelles ou médicales.

8. Ils sont lèche-cul. Le management est un terme controversé. Certains experts de gestion le définissent comme une bonne caractéristique, en tant que managers qui la pratiquent non seulement à même de faciliter leur travail mais aussi celui de toute l'équipe. Mais dans un lieu de travail toxique, le management devient parasitaire. Les managers commencent à répondre aux caprices de leurs supérieurs et confondent la défense de leur équipe avec leur propre avancement. Bientôt, ils jouent un jeu politique de lèche-botte, de manipulation, de coups de poignard dans le dos et de narcissisme. Certains managers font tout cela en jouant aux experts pour leurs supérieurs, en sacrifiant le moral de l'équipe pour l'avancement personnel. Alors qu'il est facile de dépeindre les managers qui s'attribuent le mérite en personnes peu sûres d'elles et désespérées, ils savent souvent que c'est la façon la plus rapide de monter les échelons de l'entreprise.

Quand des managers toxiques s'élèvent, ils abaissent l'équipe. Les managers toxiques s'étant transformés en abjectes sycophantes, ils négligent leurs subordonnés. Donc, en cas de coup de tabac, les managers toxiques vont choisir leurs supérieurs contre leur équipe, négligeant d'en être l'avocat quand des cadres supérieurs leur tombent dessus. Pire encore, ceux qui travaillent pour des lèche-cul peuvent être laissés sans défense face aux actions disciplinaires, aux plans sociaux ou aux licenciements.