L'emploi viole les droits humains (Ellerman)

Le site “still laughing at anarcho-capitalism” (https://www.facebook.com/SLANCAP/?h...) partage un texte dont nous avons voulu vous faire profiter. En théorie en tout cas, les droits de l’homme et de la femme s’appliquent dans le champ politique où les représentants doivent chercher l’accord de leurs administrés mais, dans le champ économique, les décideurs et les payeurs ne sont pas les mêmes, ce qui constitue une violation manifeste des droits de l’homme et de la femme.
“L’abolition de la relation d’emploi est une conclusion radicale qui trouvera de fortes résistances sur tous les fronts. Après l’abolition de l’esclavage et la concession de la démocratie politique, les sociétés libérales se targuent d’avoir finalement obtenu le droit aux droits humains. Alors qu’il y a une forte résistance intellectuelle à l’idée qu’il pourrait y avoir des violations des droits humains inhérentes à un système d’économie libérale fondé sur la location volontaire d’êtres humains. Il y a aussi une résistance à reconnaître l’histoire cachée des arguments contractualistes en faveur de l’esclavage et de l’autocratie - et même à reconnaître les contre-arguments liés aux droits inaliénables contre ces contrats. 
Il ne faut pas beaucoup d’effort intellectuel pour comprendre ces arguments. Prenez par exemple l’approche du contrat d’emploi comme le pactum subjectonis (pacte de sujet) sur le lieu de travail. La clé de l’histoire intellectuelle était de comprendre la distinction entre deux types différents de contrats sociaux - une distinction qui a commencé à émerger dans le travail médiéval de Marcel de Padoue et de Bartole de Saxoferrato. D’un côté, il y avait le contrat social dans lequel quelqu’un aliénait et déléguait ses droits à l’auto-détermination d’un souverain. Le souverain n’était pas un délégué, un représentant ou un homme de paille pour le peuple. Le souverain régnait en son nom propre; les gens étaient des sujets. D’un autre côté, il y avait le contrat social comme une constitution démocratique forgée pour assurer les droits inaliénables plutôt que pour les aliéner. Ceux qui manient l’autorité politique sur les citoyens le font en tant délégués, représentants ou hommes de paille; ils gouvernent au nom du peuple.
Maintenant, une fois que l’on comprend cette distinction fondamentale entre les contrats sociaux d’aliénation et de délégation, que nous faut-il comme autre information pour l’appliquer au contrat d’emploi? Est-ce qu’il y a un politologue contemporain qui pense que l’employeur est le délégué, le représentant ou l’homme de paille des employés? Qui pense que l’employeur gère les choses au nom des employés? Cependant, peu de politologues ont souligné ce point évident. 
“Le manager dans l’industrie n’est pas comme le Ministre en politique: il n’est pas choisi par les travailleurs de l’entreprise ou responsable devant eux mais choisi par les partenaires et les directeurs d’une autorité autocratique. Au lieu d’avoir un manager Ministre ou serviteur, d’avoir des gens qui sont les maîtres en dernière instance, on a des gens qui sont les serviteurs et le manager et le pouvoir extérieur derrière lui qui sont les maîtres. Donc, alors que notre organisation gouvernementale est démocratique en théorie, et par l’élévation du niveau d’éducation le devient de plus en plus en pratique, notre organisation industrielle est construite sur une base différente”. 
Et il y a vraiment peu de penseurs de la loi qui ont remarqué l’évidence. 
“L’analogie entre l’État et les entreprises a été agréable aux législateurs américains. Les actionnaires constituaient l’électorat, les directeurs le gouvernement, impulsant des politiques générale et en confiant l’exécution à des officiers ... La soi-disant démocratie des actionnaires est mal conçue parce que les actionnaires ne sont pas ceux qui sont gouvernés par la corporation, ceux dont il faut obtenir l’approbation.” 
Peut-être que la distinction public-privé aide à faire la différence? Est-ce que qui que ce soit pense que les personnes qui jouissent d’une capacité de facto inaliénable à prendre des décisions dans la sphère publique puissent se transformer soudain en instrument de débat dans la sphère privée? 
Comme les réponses sont si manifestement évidentes, la réponse habituelle est apparemment de ne pas y penser. Les penseurs “responsables” ne nagent pas dans ces eaux-là. Non seulement, il y a des plafonds de verre mais des murs de verre qui déterminent les corridors de pensée acceptables. Les penseurs responsables sont équipés de radars mystérieux qui leur permettent de beugler dans les corridors de verre de la pensée orthodoxe sans s’approcher jamais des murs - tout en se voyant comme des penseurs libres, impertinents - même comme sociologues - explorant l’inconnu. Cet instinct en radar, consubstantiel à l’ambiance de nos sociétés, constamment et pour ainsi dire inconsciemment les tient éloignés des murs de verre - loin de toute spéculation irresponsable (à part, peut-être, dans la fougue de la jeunesse avant que l’ambiance de la société n’ait fait son travail) et les maintient dans les allées de la recherche sûre, saine, judicieuse et sérieuse. 
Les penseurs responsables peuvent retomber sur le cadre du consentement ou de la coercition. La démocratie est le gouvernement par le consentement des gouvernés, et les employés donnent leur consentement au contrat d’emploi, donc où est le problème? Hier, il y avait en effet des violations des droits de l’homme par des institutions fondées sur la coercition mais aujourd’hui, nous vivons heureux dans une société libérale où toutes les institutions sont fondées sur le consentement. Oui, même aujourd’hui où il y a certainement des cas de travailleurs exploités, sous payés et même peut-être forcés par leurs employeurs, et ces abus doivent être corrigés. Mais la reconnaissance de tels abus butte en touche quant à la reconnaissance de violation de droit inhérente dans le contrat libre et volontaire de location ou, plutôt, d’embauche d’êtres humains. Telle est la Conscience Heureuse des penseurs progressistes responsables.”

Original:
"The abolition of the employment relation is a radical conclusion that will be strongly resisted on every front. After the abolition of slavery and the acceptance of political democracy, liberal societies prided themselves on having finally gotten human rights right. Hence there is strong intellectual resistance to giving any sustained thought to the idea that there might be an inherent rights violation in a liberal economic system based on the voluntary renting of human beings. There is also resistance to recovering the hidden history of contractarian arguments for slavery and autocracy—and even to recovering the inalienable rights counter-arguments against those contracts. 
Very little sustained thought is necessary to understand the arguments. Take, for example, the approach to the employment contract as the workplace pactum subjectionis. The key to the intellectual history was to understand the distinction between two opposite types of social contract—a distinction that started to emerge in the late medieval work of Marsilius of Padua and Bartolus of Saxoferrato. On the one side was the social contract wherein a people would alienate and transfer their rights of self-determination to a sovereign. The sovereign was not a delegate, representative, or trustee for the people. The sovereign ruled in the sovereign’s own name; the people were subjects. One the other side was the idea of a social contract as a democratic constitution erected to secure the inalienable rights rather than to alienate them. Those who wield political authority over the citizens do so as their delegates, representatives, or trustees; they govern in the name of the people. 
Now once one understands this fundamental distinction between the alienation and the delegation social contracts, what additional information is needed to make the application to the employment contract? Does any contemporary political scientist think that the employer is the delegate, representative, or trustee of the employees? Who thinks that the employer manages in the name of the employees? Yet few political theorists have pointed out the obvious. 
``The manager in industry is not like the Minister in politics: he is not chosen by or responsible to the workers in the industry, but chosen by and responsible to partners and directors or some other autocratic authority. Instead of the manager being the Minister or servant and the men the ultimate masters, the men are the servants and the manager and the external power behind him the master. Thus, while our governmental organisation is democratic in theory, and by the extension of education is continually becoming more so in practice, our industrial organisation is built upon a different basis.'' 
And very few legal thinkers have also noted the obvious. 
``The analogy between state and corporation has been congenial to American lawmakers, legislative and judicial. The shareholders were the electorate, the directors the legislature, enacting general policies and committing them to the officers for execution. . . . Shareholder democracy, so-called, is misconceived because the shareholders are not the governed of the corporation whose consent must be sought.'' 
Perhaps the public-private distinction somehow makes a difference? Does anyone think that the persons who have a de facto inalienable capacity for decision making in the public sphere suddenly morph into talking instruments in the private sphere? 
Since the answers are so blindingly obvious, the usual response is apparently to not think about it. “Responsible” thinkers just don’t go there. There are not only glass ceilings but glass walls that define the accepted corridors of thought. Responsible thinkers are equipped with uncanny radar so they can roar down the glass corridors of orthodox thought without ever getting close to the walls—all the while seeing themselves as brash free thinkers—even as social scientists— exploring the vast unknown. This radar-like instinct, inbred by the ambient society, constantly and almost unconsciously warns them away from the glass walls— away from irresponsible speculations (except perhaps in the pink of youth before ambient society has done its work) and down the avenues of safe, sane, sound, and serious research. 
Responsible thinkers can fall back on the consent or coercion framework. Democracy is government by the consent of the governed, and the employees give their consent to the employment contract, so where is the problem? Yesterday there indeed were inherent human rights violations by institutions based on coercion, but today we happily live in a liberal society where all the institutions are founded on consent. Yes, even today there probably are cases where workers are overworked, underpaid, and even perhaps coerced by their employers, and these abuses need to be corrected. But such acknowledged abuses do not amount to any inherent rights violation in the free and voluntary contract for the renting or, rather, the hiring of human beings. Such is the Happy Consciousness of today’s responsible liberal thinkers."

-David P. Ellerman