Pris aux coûts

Le gouvernement me prie de vous dire que vous êtes des coûts,

vos ancêtres ont eu tort de survivre à des millions d'années dans des cavernes à manger du gnou cru,

à des famines, des épidémies de peste, à l'inquisition, à la guerre ou aux catastrophes naturelles,

vous-mêmes, selon le gouvernement, comme vous êtes de déplorables coûts,
vous avez eu tort de survivre aux maladies infantiles, aux crises cardiaques, au cholestérol, à l'apocalypse nucléaire, au changement climatique, à la connerie humaine ou à "l'ennemi sans visage",

si vous avez eu un accident, puisque vous êtes un coût, vous avez eu tort d'y survivre, de surmonter vos séquelles, si vous avez eu une maladie, vous avez eu tort de vous soigner (et surtout, si vous êtes guéris, de vous guérir),


que vous soyez en emploi, au chômage, à la retraite, le gouvernement vous considère comme un coût, comme un handicap dans la concurrence,
vous êtes priés de disparaître au plus vite - ou en tout cas, de ne plus coûter,


si vous luttez contre la maladie, contre la dépression, vous êtes un coût,


si vous luttez pour la justice sociale, pour le droit, pour l'émancipation, pour un idéal quelconque, vous êtes un coût,


si vous passez du temps avec celles et ceux que vous aimez, vous êtes un coût,


si vous aimez, si vous croyez, si vous devenez, si vous travaillez (surtout, si vous travaillez sans employeur), vous êtes un coût,


si vous êtes un enfant, vous êtes un coût,
si vous êtes un travailleur, vous êtes un coût,
si vous êtes un parent, vous êtes un coût,
si vous êtes vieux, vous êtes un coût,
si vous êtes soignant, vous êtes un coût,
si vous êtes triste, vous êtes un coût,
si vous êtes heureux, vous êtes un coût,
si vous êtes vivant, vous êtes un coût,

Le gouvernement demande à tous les coûts de se comprimer, de disparaître, dans le monde entier, sous la pression des coûts, des autres coûts.
Quant à la solitude, la poésie, l'amour, la révolution, l'inutile, l'art, l'amitié, le sacré, la musique, ce sont des coûts.

Mais à qui coûtons-nous et que coûtons-nous? À qui la vie qui nous traverse doit-elle s'excuser de coûter? Est-ce que le gouvernement pourrait éclairer notre lanterne?

Le monde après le monde

À l'heure où les quotas laitiers sont supprimés en Europe pour favoriser l'agriculture industrielle, cette vidéo ci-dessous (sans parole, sur un site anglophone) interroge sur l'échelle de l'acte en emploi et sur son sens.

La concurrence entre les agriculteurs fait gagner les plus gros, les plus inhumains, les plus "efficaces". La mise en concurrence des travailleurs entre eux leur fait accepter les boulots les plus dégradants, les boulots où il s'agit de torturer des animaux. Si nous n'acceptons pas ces boulots dégradants, nous sommes nous-mêmes privés du nécessaire pour vivre - et toutes les innovations techniques, aussi révolutionnaires aient-elles été, n'ont jamais changé les termes de cette donnée.

C'est l'absurdité de l'industrie et de l'emploi tourné vers le lucre qui rend la question de la réduction du temps de travail obscène. Il ne faut pas réduire le temps de travail en allant encore plus vite, en mécanisant encore plus. Il faut changer la nature du travail c'est-à-dire la violence économique qui le sous-tend.