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Éloge du conflit

La guerre contre le salaire en cours prend deux visages:
1 celui de la négation directe du salaire - qu'il soit individualisé pour l'employé ou qu'il demeure social pour les prestataires de la sécurité sociale ou pour les vacanciers
2 celui de la négation de la pratique salariale comme droit politique, comme reconnaissance juridique d'une citoyenneté dans l'économique
Cette guerre fait rage en Europe, aux États-Unis et dans une partie de l'Amérique latine. Elle marque le pas en Europe centrale, en Chine ou dans une partie de l'Amérique latine.
Ce qui se joue en France dépasse - et de loin - les enjeux hexagonaux. C'est l'ensemble de la façade occidentale du continent qui peut, sur une résistance efficace, sur une force de proposition, sur une vision du monde alternative basculer et changer de dynamique.

Nous pouvons non seulement revendiquer et imaginer une pratique salariale de la valeur, une pratique de la citoyenneté économique et du salaire comme droit mais aussi inventer ladite pratique.

Nous pouvons nous passer d'employeur et d'investisseur car l'économie, c'est nous. Eux ne sont rien que des êtres de papier gardés par la peur.

Nous pouvons nous passer de la médiocrité comptable d'un quelconque Michel, Renzi, Rajoy, Schröder, Blair ou Macron parce que la société, c'est nous. Eux ne sont rien que des êtres de papier gardés par la peur.

Nous pouvons nous reconnaître comme êtres de droit économiques et politiques parce que ce qui est à la base de la reconnaissance du droit, c'est nous.

L'emploi viole les droits humains (Ellerman)

Le site “still laughing at anarcho-capitalism” (https://www.facebook.com/SLANCAP/?h...) partage un texte dont nous avons voulu vous faire profiter. En théorie en tout cas, les droits de l’homme et de la femme s’appliquent dans le champ politique où les représentants doivent chercher l’accord de leurs administrés mais, dans le champ économique, les décideurs et les payeurs ne sont pas les mêmes, ce qui constitue une violation manifeste des droits de l’homme et de la femme.
“L’abolition de la relation d’emploi est une conclusion radicale qui trouvera de fortes résistances sur tous les fronts. Après l’abolition de l’esclavage et la concession de la démocratie politique, les sociétés libérales se targuent d’avoir finalement obtenu le droit aux droits humains. Alors qu’il y a une forte résistance intellectuelle à l’idée qu’il pourrait y avoir des violations des droits humains inhérentes à un système d’économie libérale fondé sur la location volontaire d’êtres humains. Il y a aussi une résistance à reconnaître l’histoire cachée des arguments contractualistes en faveur de l’esclavage et de l’autocratie - et même à reconnaître les contre-arguments liés aux droits inaliénables contre ces contrats. 
Il ne faut pas beaucoup d’effort intellectuel pour comprendre ces arguments. Prenez par exemple l’approche du contrat d’emploi comme le pactum subjectonis (pacte de sujet) sur le lieu de travail. La clé de l’histoire intellectuelle était de comprendre la distinction entre deux types différents de contrats sociaux - une distinction qui a commencé à émerger dans le travail médiéval de Marcel de Padoue et de Bartole de Saxoferrato. D’un côté, il y avait le contrat social dans lequel quelqu’un aliénait et déléguait ses droits à l’auto-détermination d’un souverain. Le souverain n’était pas un délégué, un représentant ou un homme de paille pour le peuple. Le souverain régnait en son nom propre; les gens étaient des sujets. D’un autre côté, il y avait le contrat social comme une constitution démocratique forgée pour assurer les droits inaliénables plutôt que pour les aliéner. Ceux qui manient l’autorité politique sur les citoyens le font en tant délégués, représentants ou hommes de paille; ils gouvernent au nom du peuple.
Maintenant, une fois que l’on comprend cette distinction fondamentale entre les contrats sociaux d’aliénation et de délégation, que nous faut-il comme autre information pour l’appliquer au contrat d’emploi? Est-ce qu’il y a un politologue contemporain qui pense que l’employeur est le délégué, le représentant ou l’homme de paille des employés? Qui pense que l’employeur gère les choses au nom des employés? Cependant, peu de politologues ont souligné ce point évident. 
“Le manager dans l’industrie n’est pas comme le Ministre en politique: il n’est pas choisi par les travailleurs de l’entreprise ou responsable devant eux mais choisi par les partenaires et les directeurs d’une autorité autocratique. Au lieu d’avoir un manager Ministre ou serviteur, d’avoir des gens qui sont les maîtres en dernière instance, on a des gens qui sont les serviteurs et le manager et le pouvoir extérieur derrière lui qui sont les maîtres. Donc, alors que notre organisation gouvernementale est démocratique en théorie, et par l’élévation du niveau d’éducation le devient de plus en plus en pratique, notre organisation industrielle est construite sur une base différente”. 
Et il y a vraiment peu de penseurs de la loi qui ont remarqué l’évidence. 
“L’analogie entre l’État et les entreprises a été agréable aux législateurs américains. Les actionnaires constituaient l’électorat, les directeurs le gouvernement, impulsant des politiques générale et en confiant l’exécution à des officiers ... La soi-disant démocratie des actionnaires est mal conçue parce que les actionnaires ne sont pas ceux qui sont gouvernés par la corporation, ceux dont il faut obtenir l’approbation.” 
Peut-être que la distinction public-privé aide à faire la différence? Est-ce que qui que ce soit pense que les personnes qui jouissent d’une capacité de facto inaliénable à prendre des décisions dans la sphère publique puissent se transformer soudain en instrument de débat dans la sphère privée? 
Comme les réponses sont si manifestement évidentes, la réponse habituelle est apparemment de ne pas y penser. Les penseurs “responsables” ne nagent pas dans ces eaux-là. Non seulement, il y a des plafonds de verre mais des murs de verre qui déterminent les corridors de pensée acceptables. Les penseurs responsables sont équipés de radars mystérieux qui leur permettent de beugler dans les corridors de verre de la pensée orthodoxe sans s’approcher jamais des murs - tout en se voyant comme des penseurs libres, impertinents - même comme sociologues - explorant l’inconnu. Cet instinct en radar, consubstantiel à l’ambiance de nos sociétés, constamment et pour ainsi dire inconsciemment les tient éloignés des murs de verre - loin de toute spéculation irresponsable (à part, peut-être, dans la fougue de la jeunesse avant que l’ambiance de la société n’ait fait son travail) et les maintient dans les allées de la recherche sûre, saine, judicieuse et sérieuse. 
Les penseurs responsables peuvent retomber sur le cadre du consentement ou de la coercition. La démocratie est le gouvernement par le consentement des gouvernés, et les employés donnent leur consentement au contrat d’emploi, donc où est le problème? Hier, il y avait en effet des violations des droits de l’homme par des institutions fondées sur la coercition mais aujourd’hui, nous vivons heureux dans une société libérale où toutes les institutions sont fondées sur le consentement. Oui, même aujourd’hui où il y a certainement des cas de travailleurs exploités, sous payés et même peut-être forcés par leurs employeurs, et ces abus doivent être corrigés. Mais la reconnaissance de tels abus butte en touche quant à la reconnaissance de violation de droit inhérente dans le contrat libre et volontaire de location ou, plutôt, d’embauche d’êtres humains. Telle est la Conscience Heureuse des penseurs progressistes responsables.”

Original:
"The abolition of the employment relation is a radical conclusion that will be strongly resisted on every front. After the abolition of slavery and the acceptance of political democracy, liberal societies prided themselves on having finally gotten human rights right. Hence there is strong intellectual resistance to giving any sustained thought to the idea that there might be an inherent rights violation in a liberal economic system based on the voluntary renting of human beings. There is also resistance to recovering the hidden history of contractarian arguments for slavery and autocracy—and even to recovering the inalienable rights counter-arguments against those contracts. 
Very little sustained thought is necessary to understand the arguments. Take, for example, the approach to the employment contract as the workplace pactum subjectionis. The key to the intellectual history was to understand the distinction between two opposite types of social contract—a distinction that started to emerge in the late medieval work of Marsilius of Padua and Bartolus of Saxoferrato. On the one side was the social contract wherein a people would alienate and transfer their rights of self-determination to a sovereign. The sovereign was not a delegate, representative, or trustee for the people. The sovereign ruled in the sovereign’s own name; the people were subjects. One the other side was the idea of a social contract as a democratic constitution erected to secure the inalienable rights rather than to alienate them. Those who wield political authority over the citizens do so as their delegates, representatives, or trustees; they govern in the name of the people. 
Now once one understands this fundamental distinction between the alienation and the delegation social contracts, what additional information is needed to make the application to the employment contract? Does any contemporary political scientist think that the employer is the delegate, representative, or trustee of the employees? Who thinks that the employer manages in the name of the employees? Yet few political theorists have pointed out the obvious. 
``The manager in industry is not like the Minister in politics: he is not chosen by or responsible to the workers in the industry, but chosen by and responsible to partners and directors or some other autocratic authority. Instead of the manager being the Minister or servant and the men the ultimate masters, the men are the servants and the manager and the external power behind him the master. Thus, while our governmental organisation is democratic in theory, and by the extension of education is continually becoming more so in practice, our industrial organisation is built upon a different basis.'' 
And very few legal thinkers have also noted the obvious. 
``The analogy between state and corporation has been congenial to American lawmakers, legislative and judicial. The shareholders were the electorate, the directors the legislature, enacting general policies and committing them to the officers for execution. . . . Shareholder democracy, so-called, is misconceived because the shareholders are not the governed of the corporation whose consent must be sought.'' 
Perhaps the public-private distinction somehow makes a difference? Does anyone think that the persons who have a de facto inalienable capacity for decision making in the public sphere suddenly morph into talking instruments in the private sphere? 
Since the answers are so blindingly obvious, the usual response is apparently to not think about it. “Responsible” thinkers just don’t go there. There are not only glass ceilings but glass walls that define the accepted corridors of thought. Responsible thinkers are equipped with uncanny radar so they can roar down the glass corridors of orthodox thought without ever getting close to the walls—all the while seeing themselves as brash free thinkers—even as social scientists— exploring the vast unknown. This radar-like instinct, inbred by the ambient society, constantly and almost unconsciously warns them away from the glass walls— away from irresponsible speculations (except perhaps in the pink of youth before ambient society has done its work) and down the avenues of safe, sane, sound, and serious research. 
Responsible thinkers can fall back on the consent or coercion framework. Democracy is government by the consent of the governed, and the employees give their consent to the employment contract, so where is the problem? Yesterday there indeed were inherent human rights violations by institutions based on coercion, but today we happily live in a liberal society where all the institutions are founded on consent. Yes, even today there probably are cases where workers are overworked, underpaid, and even perhaps coerced by their employers, and these abuses need to be corrected. But such acknowledged abuses do not amount to any inherent rights violation in the free and voluntary contract for the renting or, rather, the hiring of human beings. Such is the Happy Consciousness of today’s responsible liberal thinkers."

-David P. Ellerman

Du droit

Cet article est disponible en PDF ici

Le droit, c'est l'ensemble des lois et des pratiques qui régissent, encadrent et affectent le vivre ensemble. C'est ce que Spinoza désigne par l'auto-affectation du corps social, c'est l'ensemble des principes par lesquels le corps social se contrôle en tout ou en partie.


Pour autant, les Lumières qui ont accouché de tous nos droits civiques, qui nous ont transformés en citoyen politique, nous ont laissés serfs dans l'entreprise.

Le droit comme guerre sociale


C'est une antienne connue et trop souvent vérifiée: la justice est une justice de classe. Si l'on se souvient du procès bidon des manifestants du Haymarket Square (des syndicalistes en lutte avaient été accusés, condamnés et exécutés pour un attentat sans aucune preuve), 

si l'on se souvient de la tolérance au XIXe siècle pour les coalitions patronales et de la répression impitoyable contre les syndicats ouvriers, 
si l'on se souvient de la sévérité des peines infligées aux travailleurs accusés d'avoir abîmé une chemise d'un contre-maître d'Air France et la mansuétude complice de la justice envers les patrons voleurs, envers les patrons fraudeurs, envers la fraude fiscale et l'"optimisation", 
si l'on se souvient du procès à charge de celui qui dénonçait les pratiques d'évasion fiscale au Luxembourg parce qu'il dénonçait ces délits
ou si l'on se souvient de l'impunité des policiers dans les quartiers et les ubuesques poursuites dont sont victimes les habitants desdits quartiers, 
on ne peut que souscrire à cette idée.



La justice a servi et sert souvent à diviser les producteurs et les productrices en lutte, elle sert souvent à casser leur combativité. C'est que, comme l'État a le monopole de la violence physique légitime, on craint son bras séculier qui a tendance à s'attaquer à des individus isolés. La justice censée être aveugle, la justice censée protéger se fait bras vengeur et auxiliaire de l'arbitraire du pouvoir.

Le droit comme dépassement du capitalisme

Quand les luttes ouvrières du dix-neuvième siècle et au-delà obtiennent
- une limitation de la durée légale du travail
- un encadrement des salaires, des barèmes, une qualification des postes de travail (puis des producteurs dans la fonction publique)
- une universalisation et une obligation des pratiques des caisses de secours ouvrier, de la sécurité sociale
- une définition des conditions de sécurité et de fonctionnement de l'entreprise,

elles limitent la propriété lucrative par l'avènement du droit social. Ce droit est le fruit d'un rapport de force, de luttes de classes. Il est sans cesse à construire dans la lutte sociale mais le fait même de son existence, le fait même que la propriété lucrative soit encadrée, limitée par le droit social, a été l'objet de débats et de combats homériques.

En ce sens, le droit comme obstacle à la propriété présente un intérêt potentiel énorme en terme de dépassement des institutions capitalistes1 par l'emploi puis de l'emploi par des institutions salariales2.



Globalement, le droit social comme limitation de la propriété lucrative se fait selon trois axes principaux:

  1. la création d'un statut du poste (l'emploi dépasse la vente de la force de travail) puis d'un statut de la personne, d'une qualification (la fonction publique dépasse l'emploi)
  2. l'encadrement des pratiques de travail concret dans l'entreprise, l'implication des producteurs dans les décisions et la création de normes de sécurité, de salaire et de pratique professionnelles font entrer le droit du travail dans l'entreprise
  3. la création de droits politiques du producteur dans la suite des caisses ouvrières de grève, de chômage ou de couverture santé par l'universalisation et l'obligation du salaire socialisé.

La hiérarchie du droit


Par ailleurs, l'enjeu de la hiérarchie des normes a clairement été posé lors de la malheureuse loi travail en 2016. Jusque là, les lois prévalaient sur les accords de branche et les accords de branche prévalaient sur les accords d'entreprise. Cette hiérarchie du droit permettait à une branche de faire mieux, d'obtenir davantage de droits que ce qui figurait dans la loi et à un collectif de travail de faire valoir davantage de droits que ce qui figurait dans l'accord sectoriel.

Source ici


Avec le renversement des normes (voir ici), ce sont les accords d'entreprise qui prévalent sur les accords de branche et les accords de branche qui prévalent sur les lois. Ceci met les producteurs dans un rapport de force au niveau de l'entreprise, ce qui les amène à se faire concurrence entre eux et à admettre des reculs du droit pour conserver leur poste de travail. Le chantage du chômage et l'asymétrie du rapport de subordination entre employé et employeur balaie les protections sociales du droit.

À terme, les emplois aidés et le recours au travail détaché obèrent les sources de financement des salaires socialisés.

Le travail-marchandise avant (ou après) le droit

Sur le marché des biens et des services, les choses s'échangent. On en discute le prix et une marchandise en surproduction voit sa valeur économique s'effondrer. Le fait que le capitalisme organise le travail abstrait, le travail socialement reconnu comme productif par un rapport de force des classes en présence, comme un marché du travail ou un marché de l'emploi et le fait que la valorisation du travail se fait par la quantité de temps, amène à vendre et à acheter le temps humain du travail, la force de travail, sur un marché comme on le fait des marchandises.

Cette façon de faire nie le fait qu'il ne s'agit pas de biens et de services mais de temps humain, mais de travailleurs. La négation de la spécificité humaine du travail et de la violence à mettre l'humain lui-même sur un marché est ce qui précède (ou suit) l'avènement du droit dans la sphère économique par les conquis de la lutte des classes. 



Avant le droit, cette violence se traduisait par le patron maître en son usine, maître pour faire travailler les enfants, les adultes sans conditions de sécurité, sans limitation de la durée de travail ou sans aménagement démocratique de la production. Cette propriété lucrative pure ramenait les ouvriers et les ouvrières à être de simples biens de consommation dont se servait l'employeur pour nourrir ses bénéfices.

Après le droit, dans l'infra-emploi, la violence du fait de ramener à un simple objet sur un étal les producteurs prend la forme de l'exploitation pseudo-moderne type Uber. Dans ce genre de mise sur un marché du temps humain, le producteur, la productrice est dépossédée de toute maîtrise de son temps, de toute décision sur la production (la moindre infraction aux règles est immédiatement sanctionnée par une suspension); l'employeur se défait de toutes ses obligations et achète le temps de celui ou celle qui le vend au moins cher dans une mise en concurrence perpétuelle des producteurs et des productrices.

Au-delà de l'emploi (Supiot)

Dans cet esprit mais avec une approche nettement juridique et sans prétendre dépasser l'emploi, Alain Supiot proposait un Au-delà de l'emploi dans son rapport à la Commission européenne3.

Il s'agit de fonder de nouveaux droits liés au travail, de nouveaux droits qui ne seraient pas inscrits dans l'emploi mais qui seraient attachés à la personne.

Sur base de la multiplicité des pratiques européennes, il constate
- une déconnexion du social et de l'économique par la proclamation de droits sociaux de l'individu déconnectés de l'économique, au niveau de la sécurité individuelle, de la dépendance ou du droit collectif.

- le développement d'une zone grise, entre formel et informel, entre travailleur dépendant et indépendant

et, au niveau européen, il propose
- de réaffirmer que la qualification juridique du travail n'est pas du ressort des parties [c'est-à-dire que le droit doit primer sur les accords d'entreprise]

-  d'élargir la notion de droit social pour englober toutes les formes de travail pour autrui

ce qui implique de
- définir la notion de travailleur salarié de manière commune (au niveau de l'Europe, donc)

- de maintenir le pouvoir de requalification du contrat de travail par le juge

- de consolider un statut spécifique de l'entreprise d'intérim, de développer la notion de coresponsabilité des employeurs

- d'appliquer certains aspects du droit à des travailleurs qui ne sont ni salariés ni entrepreneurs
Par ailleurs, il constate que le modèle fordiste, professionnel et fixiste, n'est plus applicable. Il propose donc

- de garantir une stabilité de trajectoire et plus une stabilité d'emploi

- de construire un statut professionnel détaché de l'emploi et lié au travail, à une obligation volontairement souscrite ou légalement imposée à titre onéreux ou gratuit, attaché à un statut ou à un contrat: il s'agit de réunir les garanties liées à l'emploi, le droit du travail lié à l'activité indépendante ou dépendante (sécurité, hygiène ...) et les droits liés au travail non professionnel (droit à la formation, charge d'autrui ...).

Il faut en outre développer une concertation double, celle du conseil d'entreprise et celle des représentations syndicales. Et développer les droits sociaux au niveau communautaire et élargir les droits liés au travail en élargissant la définition du travail [on imagine en ne le limitant plus à la valorisation du capital d'un propriétaire lucratif par la vente de la force de travail].

Pour émanciper le travail (Friot)

Pour continuer les avancées obtenues par la lutte des classes, pour approfondir ce que les productrices et les producteurs ont obtenu par leurs propres pratiques de l'économie, on peut dégager quelques éléments. Pour résumer Émanciper le travail de Bernard Friot4:
- on peut attribuer un statut à la personne, un statut de producteur irrévocable

- on peut remplacer la propriété lucrative des actionnaires par la propriété d'usage des productrices et des producteurs. Celles et ceux qui font tourner l'outil de production en disposent (éventuellement en concertation avec des instances politiques concernées)
mais, si l'on envisage un salaire à vie, au niveau du droit, il paraît clair que certaines évolutions doivent s'envisager:
- on peut faire entrer le droit dans la propriété d'usage des entreprises - qu'il s'agisse de la gestion de la carrière salariales des producteurs, qu'il s'agisse des normes de sécurité ou qu'il s'agisse de temps de travail

- on peut introduire du droit salarial dans les relations commerciales avec les partenaires économiques étrangers, en développant une sécurité sociale d'outre-mer, par exemple, par le truchement de cotisations sur les produits importés (voir ici)
En tout état de cause, il apparaît que l'émancipation, la mise hors tutelle des propriétaires lucratifs, de l'économie ne passe pas par une atrophie du droit mais bien par son développement. Sur des bases salariales. Mais ce développement interroge et met en cause une notion fondamentale en droit, celle de la propriété.

*
*     *

1 Les institutions capitalistes identifiées par Bernard Friot sont: 1) la mesure de la valeur par le temps de travail 2) le marché du travail 3) le crédit 4) la propriété lucrative

2 Bernard Friot identifie les institutions salariales comme 1) la qualification à la personne 2) le salaire à la qualification 3) la mesure de la valeur par la qualification

3 Alain Supiot, Au-delà de l'emploi, Flammarion, 2016. Les mesures que préconise le groupe de travail dirigé par Alain Supiot se trouvent dans la conclusion du livre pp. 287-304.

4 Bernard Friot, Émanciper le travail, La Dispute, 2014.  

Socialisme ou barbarie?

Cet article est disponible en PDF ici

En regardant récemment un reportage d'Al Jezira sur l'esclavage en Angleterre1, une réalité s'est imposée à l'esprit. Indépendamment des choix éditoriaux de la chaîne qatarie peu portés à interroger les pratiques en la matière dans les pays du Golfe, des calculs politiques plus ou moins tordus qui peuvent présider au choix du cadre, il m'apparaissait comme une évidence que tous les esclaves dont il était question dans ce reportage étaient des employés forcés, non rémunérés, c'est-à-dire des esclaves qui travaillaient pour produire des marchandises à prix, des biens ou des services – en l'occurrence, dans le reportage, du cannabis et du nettoyage de voiture – pour des patrons, c'est-à-dire des propriétaires lucratifs. L'esclavagisme en Angleterre – qui concerne 30.000 personnes, donc, toujours selon le reportage – frappe donc des secteurs de l'économie capitaliste. Il ne s'agit pas de relations féodales, de liens liges ou de traces de l'ancien régime. Il s'agit d'entreprises avec des profits, des investisseurs, des chiffres d'affaire, etc. Comme les esclaves des plantations qui produisaient des marchandises à prix vendues selon des règles et des pratiques capitalistes, les esclaves anglais actuels ne s'inscrivent que dans l'économie capitaliste.


Malheureusement, c'est, au fond, le programme, l'ambition de nos dirigeants actuels. Il faut réduire les coûts salariaux, c'est-à-dire, en poussant peu à peu les choses à l'extrême, rétablir l'esclavage sous des formes plus ou moins assumées. Nous y sommes déjà, en fait. Les entreprises avec des esclaves sont en concurrence avec des entreprises avec des employés. Si les coûts de production sont moindres avec des esclaves, le monde politique nous explique, au nom de la concurrence et de la compétitivité, qu'il faut une modération salariale et un assouplissement du droit du travail. Peu à peu, de réforme en réforme, sous la pression de la concurrence, c'est bien l'esclavage capitaliste qui finit par s'imposer si l'on prolonge la tendance.

C'est que, depuis près de quarante ans maintenant en Europe, les politiques entendent préserver ou restaurer le taux de profit des entreprises, le retour sur investissement des investisseurs en réduisant peu à peu les droits sociaux du monde de l'emploi. Sous la pression d'un chômage de masse qui ménage les intérêts des actionnaires, le temps de travail augmente, les heures supplémentaires ne sont plus payées, les salaires stagnent ou diminuent et les statuts se précarisent. Là où une famille de classe moyenne pouvait se contenter d'un salaire dans les années soixante, il lui en faut deux aujourd'hui pour une qualité de vie comparable. Là où les conventions collectives et l'extension des prestations sociales apportaient de solides garanties sur l'avenir, il faut compter aujourd'hui sur des carrières précaires où même la solvabilité des ménages devienne problématique pour trouver un logement.

Si ce mouvement ne cesse pas, il n'y a pas de raison pour que l'ensemble des producteurs européens ne se retrouvent dans des conditions dignes de celles des esclaves. Il n'y a pas de limite à la cupidité des propriétaires d'entreprise – aussi sympathiques soient-ils à titre individuels, pas de limite non plus à la pression de la concurrence. Comme ces politiques de guerre aux salaires, de réduction des coûts diminuent la demande en biens et services en comprimant lesdits salaires, elles contraignent le monde de l'entreprise à produire à moindre coût, c'est-à-dire à faire … une guerre au salaire. C'est dire que non seulement les patrons qui ont la fibre esclavagiste exploitent leurs employés mais, par le truchement de la concurrence même les patrons les plus humanistes y sont contraints. Ce cercle vicieux déflationniste induit une crise économique et plonge les producteurs dans la misère, dans la famine.

Mais il n'y a pas de plancher. D'abord, on fait sauter la semaine de quarante heures (puis celle de cinquante, puis de soixante, etc.), puis le droit du travail, puis la protection sociale, puis les salaires socialisés, puis les limites d'âge, puis les barèmes salariaux, puis le droit d'association. On peut voir les os des producteurs blanchir les champs, on peut voir des malheureuses proposer des prestations sexuelles pour deux pommes-de-terre pourries, on peut voir les enfants enfermés à la mine. Il n'y a absolument aucune limite comme l'attestent les témoignages sur le XIXe anglais.

L'accumulation ou la socialisation


Cette voie de l'accumulation de quelques-uns amène une baisse du taux de profit comme l'avait souligné Rosa Luxemburg. Elle avait aussi souligné que cette voie amènerait soit à la barbarie – les enfants qui travaillent, la fin du droit du travail, etc. - soit au socialisme, c'est-à-dire, a minima, à la socialisation des moyens de production.

La socialisation des moyens de production, c'est la démocratisation des outils de production, c'est l'abolition de la propriété lucrative et l'avènement de la propriété d'usage des producteurs. Bien sûr, les esprits chagrins diront qu'une telle perspective est chimérique et qu'elle n'abolira pas toutes les contradictions qui traversent le corps sociale.

Si la seconde objection paraît difficilement contestable, elle n'en rend pas pour autant la perspective de la barbarie plus désirable. Reste la première, la question de la possibilité du socialisme compris comme socialisation des moyens de production. Cette perspective s'inscrit aussi bien dans un déjà-là (que l'on pense aux coopératives ou à la partie de la valeur ajoutée générée sans employeur, sans pression à la productivité à travers la sécurité sociale) que dans l'utopie en tant que perspective du corps social dans son ensemble. Cette notion d'utopie renvoie à d'autres utopies, politiques celles-là qui ont triomphé aux XVIIIe et XIXe siècles, portées par les Lumières.

L'avènement de l'utopie du droit et de la démocratie


Le Roi-soleil décidait de tout. Il pouvait en toute légitimité condamner ou gracier qui il voulait. La justice n'était pas affaire de loi – ou plutôt, quand des lois existaient, le principe souverain leur prévalait – mais c'était une affaire de personnes, de relations interpersonnelles avec le roi, ses représentants ou avec le seigneur ou l'ayant-droit local. Alors qu'elle pouvait être taxée d'utopique au départ, l'ambition politique des Lumière a remisé ces pratiques dans les livres d'histoire. La notion de droit a constitué une petite révolution. Alors que
auparavant, la décision de justice était question d'arbitraire, la loi s'instituait en universel individuel. Tous les individus étaient jugés à l'aune d'une même loi. À partir de ce moment-là, le corps politique n'évaluait plus les mérites ou les turpitudes de tel ou tel individu. Il s'est mis à légiférer, c'est-à-dire à chercher des lois qui puissent s'appliquer à l'ensemble du corps social et à en évaluer la pertinence à l'usage ou a priori, selon ses propres convictions.

C'est dire que la notion de loi et celle de nation (au sens très large de corps politique doté de législateurs universels) ont été inventées à partir d'idéaux et qu'elles se sont imposées au terme de luttes politiques et de rapports de force sociaux. Elles ont rendu le droit civil à la fois universel dans ses formulations – le crime est puni pour tout le monde, il est poursuivi quelles que soient les convictions du criminel – et profondément individuel dans ses applications puisqu'il a toujours été appliqué à des individus. La prison condamne l'individu en fonction d'un loi, l'amende doit être acquittée par icelui, etc.

L'économie des Lumières


Les grandes révolutions des Lumières ont chamboulé la pratique du droit quand elles ne l'ont pas créée. Pour autant, il reste un domaine dans lequel les Lumières ont échoué à universaliser le droit, c'est celui de l'économie. La démocratie contrôle et légifère sur les mœurs, sur les contrats civils, sur les normes sanitaires mais elle s'arrête aux frontières de l'entreprise et du PIB. La question du socialisme ou de la barbarie pose pourtant cette question d'extension et d'universalisation du droit à la sphère économique comprise au sens large. Pour reprendre l'esprit du droit civil, une socialisation de l'économique doit être universelle en son principe et individuelle en son application. Les deux exemples d'ébauche de ce qui est à entreprendre s'inscrivent de manière inégale dans ce paradigme des Lumières.

Alors que la sécurité sociale tend à être universelle dans son principe, elle est, de toute façon, individuelle dans son application puisque les prestations sont versées à des individus mais elle tend à être universelle dans son principe dans la mesure où les droits ouverts par la sécurité sociale sont universels et non individuels. De la même façon que tous les justiciables bénéficient universellement de la protection de la justice à titre individuel, la sécurité sociale doit être universelle mais ses droits doivent être ouverts à titre individuel. Conditionner les droits de la sécurité sociale à la rectitude d'un parcours professionnel, c'est comme si on conditionnait le droit d'être défendu du vol à sa propre probité : ce serait non seulement inapplicable mais cela saperait les bases philosophiques-mêmes du droit, c'est-à-dire l'universalité en principe et l'individualité en application.

Mais la sécurité sociale n'est qu'une partie du salaire. Or, c'est l'ensemble de l'économie qui devrait appliquer les principes de droit et de démocratie. Et c'est là que l'autre expérience de démocratie économique que nous avons mentionnée, les coopératives, peut avoir force d'exemple. Voyons comment on pourrait appliquer les principe du droit et de la démocratie à l'ensemble de l'économie.

L'économie, c'est
  • la valeur ajoutée produite chaque année – qui devrait donc, pour suivre les principes du droit, être attribuée démocratiquement, être universelle en principe et individuelle en application. La distribution de la valeur ajoutée entre les salaires (qu'ils émargent d'un employé ou d'un prestataire) et les investissements doit être décidée par le corps social, librement, par l'ensemble des individus qui le composent
  • les outils de production. Ils doivent être tous, par principe universel, gérés par leurs propriétaires d'usage. La notion de propriété lucrative ne peut être conservée puisqu'elle est une négation du droit et de la liberté des individus, des collectifs de travail et du corps social dans son ensemble au seul profit des propriétaires lucratifs
  • la nature de la production, ses modalités d'organisation et la gestion des ressources naturelles communes. Elles doivent être déterminées par les intéressé(e)s

Ces principes de démocratie économiques sont ceux qui sont pratiqués dans les coopératives. Un homme, une femme, une voix. Ils ne sont donc pas, eux non plus, de l'ordre des utopies irréalisables puisqu'ils fonctionnent déjà à plus ou moins grande échelle.

La voie de l'esclavage, celle que Luxemburg appelait la barbarie, n'est pas inévitable puisque des pistes concrètes d'extension du droit, de la démocratie à la politique existent. Que l'on nomme l'universalisation de ces pistes « socialisme » ou non ne change pas grand-chose à l'affaire. Si nous ne devenons pas des êtres de droits en économie comme nous le sommes devenus en politique, nous risquons de redevenir des esclaves, de perdre la Lumière qui nous reste.


Simplification du code du travail

On nous signale que le Medef et François Bayrou s'inquiètent de l'épaisseur du code du travail (François s'inquiète pour la femme de l'artisan qui s'occupe de la comptabilité en la prenant sans doute pour une débile légère - ses électrices apprécieront).

Nous avons notre solution. Pour qu'un contrat de travail soit simple, il faut qu'il soit signé entre égaux en droit. Pour que les parties signataires soient égales en droit, il faut que
- elles jouissent d'un salaire garanti que le contrat soit signé ou non
- la propriété de l'outil de production soit une propriété d'usage.

À ces conditions, en pensant aux pauvres électrices de Bayrou, nous avons la solution pour simplifier le code du travail:

article 1
La propriété lucrative est abolie, seule est reconnue la propriété d'usage

article 2
Le salaire est un droit politique universel sur lequel le patron n'a pas de droit de regard.

article 3
c'est tout, je vous en prie, le plaisir est pour moi.
Code du travail: Bayrou démagogue
blogs.mediapart.fr

Les zélés du désir

L'employé devient un objet qu'on utilise. Le producteur doit se conformer instantanément au désir du consommateur et du financier. Le travail devient liquide ... Explications du philosophe-économiste. Le producteur broyé comme chose est un consommateur dont le désir doit être instantanément accompli.

http://vimeo.com/98439353

Les zélés du désir

Diminution du temps d'emploi

En Suède, selon 7sur7 (ici, en français), se mène une expérience pilote de réduction du temps d'emploi.

De prime abord, à l'heure où les heures supplémentaires contraintes gratuites se multiplient, on peut s'interroger sur la possibilité de contrôle effectif du temps de travail - surtout quand l'inspection du travail est notoirement sous-financée.

Évidemment, comme l'emploi est une mauvaise chose, on ne peut que se réjouir de la diminution du temps qu'on y consacre (cette diminution augmente d'ailleurs l'efficacité du travail presté pendant ce temps, elle augmente la productivité et ne constitue en rien une concession des propriétaires lucratifs) mais cette diminution du temps d'emploi a un effet pernicieux: elle fait croire que l'emploi peut-être supportable, que c'est une violence "nécessaire mais qu'on peut diminuer" alors que nous sommes convaincus que l'emploi n'est pas une violence nécessaire mais une violence absolument contre-productive. Nous croyons que le travail doit être libre (comme le sont les élections, par exemple), libéré du joug de l'emploi et que une heure d'emploi par an, c'est encore une heure de trop.

Par ailleurs, il est piquant que l'exemple "réussi" de diminution de temps d'emploi donné par l'article est surtout un exemple ... d'augmentation de salaire.

Extraits

La Suède expérimente la journée de six heures, payée au même tarif qu'une journée de huit heures, afin de voir si cela permet de faire des économies, avec moins d'arrêts-maladie par exemple.
(...)

Le rythme de travail en Suède surprend souvent les visiteurs étrangers, perplexes sur la possibilité de conjuguer salaires élevés avec tant de loisirs. La clé du succès selon les économistes: une main-d'oeuvre productive et bien formée, capable de s'adapter vite aux nouvelles technologies.

(...)

En 2012, le Suédois moyen a travaillé 1.621 heures au total, selon les derniers chiffres publiés par l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCED). C'est plus que les Pays-Bas, royaume du temps partiel, avec 1.381 heures, ou que la France des 35 heures hebdomadaires, avec ses 1.479 heures, mais moins que le Royaume-Uni avec 1.654 heures et les États-Unis avec 1.790 heures."Nous pourrions travailler davantage, c'est un fait", explique Mme Sahlen.

Le moins peut le plus
Pourtant, au contraire, certains Suédois veulent prouver que travailler moins longtemps peut permettre de gagner et produire autant, en accroissant la productivité. La municipalité sociale-démocrate de Göteborg va expérimenter un projet pour travailler moins longtemps avec des fonctionnaires du secteur des soins aux personnes âgées.

Un groupe travaillera six heures par jour, alors qu'un autre continuera à faire les huit heures habituelles. Dans un an, les autorités municipales analyseront les données pour savoir si la journée de six heures permet de faire des économies, avec moins d'arrêts-maladie par exemple, et décidera si l'expérimentation doit être étendue ou pérennisée.

Pour l'instant, l'expérience se limite au secteur public. (...) Travailler moins doit s'accompagner d'une forte productivité pour rester compétitif.

(...)


Pour les défenseurs du projet, des économies seront faites sur le long terme, en ayant des salariés moins souvent malades au fil des ans, et moins fatigués à l'approche de la retraite. M. Pilhem s'appuie sur l'exemple de l'usine Toyota de Göteborg, où la journée de six heures a été mise en place en 2002 afin de mieux rentabiliser ses installations: une équipe du matin cède la place à une autre de l'après-midi sans coupure.

M. Nilsson a constaté qu'une journée de six heures était plus productive car il y a moins de temps perdu. "À chaque fois qu'on prend une pause, il faut 10 ou 15 minutes avant de se remettre au travail, parce qu'on doit reprendre le fil", expose-t-il.

L'efficacité se reflète dans les salaires puisque dans cet atelier, les techniciens comme lui gagnent 29.700 couronnes (3.300 euros) par mois, bien au-delà du salaire moyen ouvrier de 25.100 couronnes en Suède. "Ça été un énorme succès dès le départ", se félicite la directrice du centre de services Toyota, Elisabeth Jonsson. "Nous avons vu les résultats, et ça a bien fonctionné pour le personnel, pour l'entreprise et pour les clients, donc je ne pense pas que nous ayons déjà envisagé d'y mettre un terme", ajoute-t-elle.

Le rapport de la Confédération Internationale des Syndicats

L'Ituc (Confédération des syndicats, en français) a publié son atlas des pays selon le respect du droit de l'emploi (ici, en anglais). Cette organisation a un point de vue employiste (ce qui n'est pas très grave quand il s'agit d'information) et son classement repose sur des critères exclusivement législatifs, notamment des critères relatifs à la liberté syndicale (sauf la catégorie 5+, voir ci-dessous).

Ce biais n'est pas nécessairement inintéressant, il s'appuie sur un remarquable travail de fourmi mais il fait l'impasse sur les salaires (les salaires minimums, les salaires sociaux ou les salaires effectifs), sur la quantité horaire de travail, sur les congés payés, sur les limites à la propriété lucrative, sur les considérations écologiques, sur le harcèlement qui sont au cœur de l'entreprise actuelle.

  • Le classement

La catégorie 5+ reprend les pays en guerre où l'État ne peut faire appliquer la loi - la législation sociale n'a plus lieu d'être dans ces pays.

Centrafrique, Libye, Palestine, Somalie, Soudan du Sud, Soudan, Syrie, Ukraine

On comprend l'intérêt des employeurs à faire entrer l'Ukraine dans un espace de concurrence libre et non faussée!

La catégorie 5 reprend les pays où l'emploi est un enfer. Le droit social existe éventuellement mais il n'est pas appliqué et les travailleurs sont confrontés à l'arbitraire, à l'autocratie patronale la plus débridée.

Algérie, Bangladesh, Biélorussie, Cambodge, Chine, Colombie, Côte d'Ivoire, Égypte, Fidji, Grèce, Guatemala, Inde, Laos, Malaisie, Nigeria, Philippine, Qatar, Corée, Arabie Saoudite, Swaziland, Turquie, Émirats Arabes Unis, Zimbabwe, Zambie 
Exploit remarquable pour l'Europe de la paix, pour l'Europe sociale puisque l'un de ses membres se retrouve dans la catégorie des pays de l'emploi les plus pourris.

La catégorie 4 reprend les pays dans lesquels il y a des violations de droits systématiques, dans lesquels les droits sociaux sont menacés par les gouvernements ou les entreprises.

Argentine, Bahreïn, Botswana, RD Congo, Salvador, Haïti, Honduras, Hong-Kong, Indonésie, Iran, Irak, Jordanie, Kenya, Koweït, Liban, Mali, Mauritanie, Maurice, Mexique, Maroc, Myanmar, Népal, Oman, Pakistan, Panama, Pérou, Sierra Léone, Thaïlande, États-Unis d'Amérique, Yémen

On remarquera que les frères ennemis: Iran-Irak ou États-Unis-Pakistan se réconcilient quand il s'agit de bafouer les droits syndicaux.

La catégorie 3 reprend les pays dans lesquels les gouvernements ou les compagnies interviennent contre les droits des travailleurs, droits souvent lacunaires.

Australie, Bahamas, Bénin, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Burundi, Canada, Tchad, Chili, Costa-Rica, Djibouti, Équateur, Éthiopie, Géorgie, Ghana, Israël, Lesotho, Madagascar, Mozambique, Namibie, Paraguay, Pologne, Portugal, Congo, Roumanie, Singapour, Sri Lanka, Taïwan, Tanzanie, Ouganda, Grande-Bretagne, Venezuela

La catégorie 2 reprend les pays dans lesquels les droits existent mais sont compromis dans leur exercice par les attaques répétées du gouvernement ou des compagnies.

Albanie, Angola, Belize, Bosnie-Herzégovine, Burkina-Faso, Cameroun, Croatie, République Tchèque, Dominique, Hongrie, Irlande, Jamaïque, Japon, Lettonie, Macédoine, Malawi, Moldavie, Nouvelle-Zélande, Russie, Rwanda, Sénégal, Serbie, Espagne, Suisse

La présence de la Suisse dans cette catégorie prouve qu'il ne suffit pas d'être un pays riche pour que les droits syndicaux soient respectés. Ce pays fait d'ailleurs son entrée dans cette catégorie du fait de la dégradation des droits syndicaux là-bas.

La catégorie 1 reprend les pays où les travailleurs jouissent de la liberté d'association et, généralement, ont des droits respectés.

Barbade, Belgique, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Islande, Italie, Lituanie, Monténégro, Pays-Bas, Norvège, Slovaquie, Afrique du Sud, Suède, Togo, Uruguay.

La présence de la Belgique dans cette catégorie interroge la finesse d'une étude basée sur les témoignages syndicaux: la liberté syndicale y est fortement entravée puisque, pour créer un nouveau syndicat qui soit un interlocuteur social, il faut un nombre minimum de membres (60.000). Cette règle limite la représentation syndicale aux trois grands syndicats, des syndicats d'État inscrits dans une logique de concertation, très peu combatifs. La FGTB, par exemple, a, à plusieurs reprises, exclu des membres trop intègres dans leur lutte pour les travailleurs. Ces syndicats ne vont évidemment pas faire rapport de leurs propres pratiques anti-démocratiques.

D'autre part, en Belgique toujours, ce sont les syndicats qui détiennent les mandats de la délégation et non les délégués de sorte que la hiérarchie syndicale prend l'habitude de se débarrasser des délégués trop remuants, ce sont les permanents qui décident pour les délégués et, au sein des permanents, ce sont les responsables qui décident. Cette façon de faire obère la démocratie sociale de manière particulièrement voyante quand les secrétaires généraux des syndicats passent dans des partis politiques ou quand leur conjoint occupe une place de choix dans les structures partisanes.

  • Cinq pays
Le rapport fait ensuite le tour de cinq pays exemplaires de leur niveau de liberté syndicale.

Le Cambodge (5) utilise la violence armée contre les revendications légitimes des travailleurs. Ils travaillent dans des conditions dangereuses, sont menacés, etc.

 Le Koweït (4) dont les immigrés connaissent des conditions de travail particulièrement pénibles intimide et menace les représentants syndicaux et les organisateurs de grèves légales.

Le Ghana (3) en dépit d'un cadre légal favorable ne combat pas les discriminations et restreint le droit de grève.

En Suisse (2), les droits des représentations des travailleurs sont souvent sapés par sous-informations des intéressés. Les délégations syndicales demeurent marginales.

Le droit d'association et de grève est pleinement reconnu en Uruguay (1). Les syndicats n'en rapportent aucune plainte et, logiquement, ce pays accède à la première catégorie. Ce pays connaît pour le moment une forte mobilisation pour le salaire chez les enseignants - mobilisation qui n'est pas entravée.

La charte sociale européenne

Cet article est disponible en PDF ici
  • La charte

Nous informons nos aimables lecteurs que 47 pays ont signé la charte sociale européenne en 1961. Cette charte a force de loi dans les pays signataires et stipule, notamment:

  • structure de soins accessible et efficace pour l’ensemble de la population ;
Ceci interdit spécifiquement tout recours à des mutuelles (complémentaires, obligatoires) payantes et imposent un financement de la santé par la seule cotisation (ou par l'impôt).
  • politique de prévention des maladies, y compris garantie d’un environnement sain ;
Ceci interdit spécifiquement toute activité économique, industrielle susceptible de dégrader ledit environnement.
  • élimination des risques en milieu professionnel pour assurer en droit et en pratique la santé et la sécurité au travail ;
  • protection de la maternité.
  • interdiction du travail forcé ;
Ceci exclut toute forme d'esclavage, notamment l'emploi sous la menace du chômage.
  • interdiction du travail des enfants ;
  • conditions de travail spécifiques entre 15 et 18 ans ;
  • droit de gagner sa vie par un travail librement entrepris ;
  • politique économique et sociale pour assurer le plein emploi ;
Tous les pays où le taux de chômage excède les 5% contreviennent à cet article.
  • conditions de travail équitables en matière de rémunération et de durée du travail ;
Ceci implique l'abolition de la rémunération à la tâche, à la force de travail et impose la qualification du travailleur comme source de salaire.
  • protection contre le harcèlement sexuel et moral ;
Ceci impose la fin de la fonction social d'employeur, de son pouvoir sur ses employés: on peut organiser l'activité de production de manière hiérarchique mais personne ne peut s'arroger le droit disposer de la carrière d'autrui puisque ce type de pouvoir permet le harcèlement sexuel et moral.
  • liberté de constituer des syndicats et des organisations d’employeurs pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux ; liberté individuelle d’y adhérer ou non ;
Cette liberté est fortement limitée dans certains pays. En Belgique, par exemple, le seuil du nombre d'adhérents pour pouvoir prétendre s'organiser en syndicat rend la création de nouveaux syndicats techniquement impossible.
  • promotion de la consultation paritaire, de la négociation collective, de la conciliation et de l’arbitrage volontaire ;
La consultation paritaire impose la représentation de toute les parties au pro rata de leur importance. Les chômeurs, les retraités ou les invalides doivent, par exemple, être représentés dans toutes les décisions qui les concernent, qu'elle soient relatives aux prestations de la sécurité sociale ou aux cotisations sociales.
  • protection en cas de licenciement ;
Ceci impose d'attacher le salaire à la personne et non au poste de travail.
  • droit de grève ;
  • accès à l’emploi pour les personnes handicapées.
Par ailleurs, la charte détaille les droits humains que les signataires doivent respecter. Ces droits sont eux aussi rarement compatible avec la vente forcée de la force de travail dans l'emploi:
  • protection contre la violence et la maltraitance ;
 La violence du vol du temps des travailleurs par les propriétaires lucratifs est interdites. La maltraitance de la mise en minorité de l'emploi est interdite.
  • interdiction de toute forme d’exploitation (sexuelle ou autre) ;
 Tout surtravail est un vol, toute plus-value liée au travail d'autrui est un vol et sont des formes d'exploitation interdites.
  • protection juridique de la famille (égalité des époux entre eux et vers les enfants, protection des enfants en cas de rupture) ;
Ceci impose un droit à un salaire personnel inconditionnel.
  • droit à la sécurité sociale, à l’assistance sociale et à des services sociaux ;
Cet article est directement violé par le harcèlement institutionnel des chômeurs, en France, en Belgique ou en Allemagne (entre autres).
  • droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale ;

  • Les recours
Nous citons le site de l'organisation (ici, en français)
Organisations habilitées à saisir le Comité :
– Pour tous les Etats qui ont accepté la procédure :
  1. Confédération européenne des syndicats (CES), BUSINESSEUROPE (ex-UNICE) et Organisation internationale des employeurs (OIE).
  2. Les organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut participatif auprès du Conseil de l’Europe et inscrites sur une liste établie à cette fin par le Comité gouvernemental ;
  3. Les organisations d’employeurs et les syndicats de l’Etat concerné ;
  4. – Pour les Etats qui, en plus, acceptent cette possibilité :
  5. Les ONG nationales.
Le dossier de la réclamation doit contenir les éléments d’information suivants :
  1. les nom et coordonnées de l’organisation réclamante ;
  2. la preuve que la personne qui introduit et signe la réclamation est habilitée à engager l’organisation réclamante ;
  3. l’Etat mis en cause ;
  4. les dispositions de la Charte dont la violation est alléguée ;
  5. l’objet de la réclamation, c’est-à-dire le ou les points sur lesquels l’Etat mis en cause n’aurait pas respecté la Charte, ainsi que les arguments pertinents ; avec documents à l’appui.
À bon entendeur ...

  •  Les États signataires
 Albanie, Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Chypre, République tchèque, Danemark,
Estonie, Finlande, France, Géorgie, Allemagne, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malte, Moldavie, Monaco, Monténégro, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Russie, Saint-Marin, Serbie, Slovénie, Espagne, République slovaque, Suède, Suisse, Macédoine, Turquie, Ukraine, Grande-Bretagne,

L'inspection du travail sabotée en France

Les employeurs ont les coudées franches pour multiplier les pratiques esclavagistes. Extrait.

"Les missions de l’Inspection du travail relevaient déjà de la mission impossible. Avec 2250 agents de contrôle pour 1,8 million d’entreprises, soit 800 par personne, on mesure l’ampleur de la tâche. Cette situation est, déjà, un quasi encouragement pour tous ceux qui veulent contourner une législation qui protège les salariés tant la probabilité d’un contrôle est faible. Pourtant, au yeux du ministre du travail, Michel Sapin, il semble que ce soit encore trop."

http://www.regards.fr/web/Courteline-a-l-Inspection-du%2c7430

Le conflit comme base de reconstruction du droit social


Un article en espagnol appelle à la reconstruction de la protection du producteur, à la reconstruction du droit social par le conflit. L'article égrène toutes les mesures scandaleuses prises pour saborder le droit du travail en Espagne, pour accorder tous les droits aux propriétaires lucratifs des entreprises. Ces propriétaires ont déjà le droit invraisemblable de s'accaparer la valeur ajoutée produite par les producteurs - que ce soit les dividendes ou que ce soit les investissements (voir http://abecedairedelemploi.blogspot.be/2013/10/valeur-ajoutee_22.html).

À même cause, mêmes réactions. Nous en appelons, dans tous les pays où le droit du travail a été mis en pièce et où les droits des propriétaires déjà exorbitants sont devenus des liens serviles à une réaction du même ordre.

Il nous faut dépasser l'atonie, l'atomisation, le chacun pour soi et penser un rapport de force - car ce rapport, nous l'avons: sans notre travail, leur argent ne vaut rien alors que, sans leur argent, notre travail peut tout.

Bon courage à toutes et à tous.

http://www.diagonalperiodico.net/global/20753-ere-la-alemana-al-modelo-la-desproteccion-frente-al-despido.html

Petites nouvelles des usines récupérées en Argentine

Traduction et résumé de cet article en anglais (Resilience):

Dix ans après la Prise: reportage dans des usines argentines possédées par leurs travailleurs



 L'économie argentine est confrontée à l'inflation actuellement. Il est difficile d'y mener des affaires vu le manque de transparence des transactions monétaires. Cela rend la multiplication des entreprises possédées par les travailleurs d'autant plus remarquable. Le reporter, jeune étudiant activiste a voulu évaluer la méthode de résistance, il a voulu voir si elle était applicable à grande échelle.

Le mouvement de réappropriation a commencé lors de la crise économique en 2001. Les investisseurs étrangers fermaient alors les usines qui demandaient des millions d'emplois. Certains travailleurs ont continué à occuper leur poste de travail - ils en étaient capables -, à occuper leurs usines et à demander le droit de travailler, de redémarrer la production en tant que coopérative ouvrière. Ce mouvement a concerné plus de 180 coopératives employant plus de 10 mille travailleurs. L'idée était de garder la valeur ajoutée produite par leur usine dans leurs affaires et plus de l'emmener sous d'autres cieux. Pendant des mois, ils ont dû garder leur matériel, leurs usines pour empêcher les anciens propriétaires de saisir le matériel et de le revendre. Ces occupations ont été réprimées violemment par la police au début.

Ce moment a donné l'espoir à des travailleurs dans le monde entier, il a été résumé par The Take, sous-titré en français, le film de Naomi Klein. Ces usines après onze ans sont en voie d'institutionnalisation, elles accèdent aux marchés majoritaires. Témoignages.

À la Matanza, on est confrontés à de très vieux problèmes et on trouve de nouvelles solutions. Cette usine à écrou occupée depuis 2003 est gérée par neufs 'socios' (associés), la plupart âgé de soixante ans. Ils prennent des décisions horizontales, de manière collective avec les gens avec qui ils ont travaillé pendant longtemps.

Les affaires vont bien avec une clientèle stable et un 'retour' (ils n'appellent pas cela des salaires dans la coopérative) plus élevé que la moyenne. Leur travail est assuré mais, quand il y a une panne de machine, les retards peuvent s'accumuler: le matériel vieillit. D'autre part, certains travailleurs ont passé plus de temps dans ces entrepôts sombres qu'avec leur famille. L'usine a son prix.

À la SG Patria Grande, les travailleurs sont jeunes, ils sifflent dans une lumière brillante. La coopérative rêve d'utiliser une partie des fonds de leur distribution pour ouvrir une épicerie-restaurant d'aliments produits de manière responsable. L'entreprise d'emballage vit des déchets mais essaie d'offrir des produits à base de maïs.

L'ambiance est militante, on travaille réseaux courts, échanges, alternatives.

Mise en perspective:

Nous nous réjouissons de cette fenêtre hors de l'emploi traditionnel. Elle permet le travail hors exploitation, hors de la pression des actionnaires. C'est formidable mais la question à laquelle cet enthousiaste article ne répond qu'imparfaitement, c'est celle de la concurrence entre producteurs, c'est la question de savoir si, en dépit du mode de gestion en coopérative horizontale, les pratiques professionnelles ne doivent pas s'aligner sur celles de la concurrence, si les travailleurs ne se retrouvent pas à travailler dans des conditions aussi pénibles qu'auparavant, sans patron. La question, une fois l'usine réappropriée, est celle de l'effet de la concurrence sur les pratiques au travail.

En tout cas, la piste des coopératives est intéressante. À une échelle individuelle, on remarquera que les indépendants ne s'affranchissent pas de la logique de l'emploi: ils demeurent sous la pression de la concurrence, doivent donc produire plus vite, à moindre coût, ils doivent eux-mêmes organiser leurs tâches pour qu'elles soient plus efficaces en temps. Ils se retrouvent malgré eux corsetés dans le même type d'activité que les ouvriers.