Proposition de propositions

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Dans l'atmosphère de foire électorale en France, nous nous proposons de mettre notre grain de sel.

Bien sûr, l'abolition de l'emploi, de l'investisseur et de la propriété lucrative sont nos objectifs mais, si l'on prend le tout brut de décoffrage, cela peut paraître impossible au personnel politique. Nous avons donc dégagé des pistes, des propositions pour desserrer l'étau de l'emploi et de la dette, des embryons de commencement de début de quelque chose. Ces pistes ne constituent pas un horizon pour une démarche anti-employiste mais une simple possibilité d'avancer déjà un peu, de manière pragmatique, consensuelle. Elles sont un brouillon, une source de réflexion, un état de travail.

1. Abaisser l'âge de la retraite en augmentant les cotisations sociales à proportion (cinquante ans pour la retraite, ce serait déjà pas mal pour une augmentation des cotisations assez modérée à dix pour cent à peu près)

2. Socialiser une partie des salaires. Une partie du salaire pourrait être versée dans un pot commun - une nouvelle caisse de la sécu - et serait ensuite redistribuée à l'ensemble des salariés, avec emploi ou non. À titre d'exemple, on pourrait imaginer une cotisation de quarante pourcents supplémentaire qui diminue le salaire poche de trente pourcents et garantit, du coup, ce salaire poche à l'ensemble des salariés. L'augmentation de masse salariale pour l'employeur: dix pourcents.

3. Démocratiser la sécu. Les caisses de sécurité sociale doivent être gérées par les salariés. L'ensemble des salariés pourrait élire ses représentants auprès de ces caisses par voie directe. Les mandats seraient révocables. L'ensemble des salariés seraient appelé à désigner les gestionnaires de la sécu: les salariés en emploi, les retraités, les chômeurs, les précaires, les temps partiels, etc.

4. Créer une cotisation investissement de cinq pourcents du chiffre d'affaire et, avec cette cotisation, financer la recherche et le développement de pointe. Cette cotisation peut être amenée à augmenter progressivement et donne droit à l'accès libre au résultat de la recherche. Les chercheurs jouissent d'un statut de fonctionnaire. Les secteurs prioritaires (mais on peut en discuter) sont la recherche médicale, la transition énergétique, la chimie, l'agriculture sans pétrole, etc.

L'ensemble des cotisations supplémentaires et la socialisation partielle des salaires représenteraient à peu près un cinquième de la masse salariale des entreprises. Les cotisations investissement se substitueraient à des dépenses que les entreprises doivent de toute façon faire. La répercussion sur les prix d'une augmentation de vingt pourcents de la masse salariale est de l'ordre de trois pourcents dans l'immédiat et quinze pourcents à terme. Une augmentation des prix qui relancerait (insuffisamment) l'inflation.

5. Créer un salaire paysan et un salaire journaliste à la personne. Les paysans et les journalistes seraient salariés selon leur qualification en percevant une cotisation sur les prix de la presse, des nouvelles technologies de l'information et des aliments. Le salaire paysan permettrait la transition énergétique alimentaire et le salaire journaliste permettrait de garantir l'indépendance des journalistes vis-à-vis de leur employeur.

6. Étendre les prestations de la sécurité sociale à l'ensemble des travailleurs - indépendants et petits patrons aussi, donc - et harmoniser les taux de cotisation.

7. Pratiquer le protectionnisme amical (voir ici).

8. Résorber la dette. Pour diminuer une dette, il existe en économie trois remèdes simples (au choix)
- faire défaut: vu le niveau des dettes souveraines, le moindre défaut ferait exploser l'ensemble du système financier. Cette menace peut peser lors de négociations.
- faire tourner la planche à billets pour payer la dette
- faire jouer l'inflation
 9. Adopter le droit aux prestations de chômage inconditionnelles à vie.

10. Démocratiser l'entreprise en favorisant les reprises par les salariés en cas de fermeture, leur implication dans les choix industriels et commerciaux majeurs et leur contrôle du respect du droit du travail.

11. Encadrer la propriété lucrative en limitant les décisions des actionnaires, en ne reconnaissant pas de droit à la décision d'actionnaires éphémères, en limitant les rémunérations actionnariales. Il faut par ailleurs rendre les investissements et les salaires prioritaires sur les dividendes.

12. Interdire le dumping social et les délocalisations sous peine de saisie de l'outil de travail par les pouvoirs publics.

13. Favoriser la propriété d'usage des collectifs de travail. Si des actionnaires ferment un outil de production, le collectif de production doit en être propriétaire - et cela inclut la marque et les patentes - de droit.

Lohnarbeit

Ce qu'on traduit pas "salariat" en français vient du mot "Lohnarbeit" dans l’œuvre de Marx. Cette traduction permet de bien comprendre les propos du philosophe mais elle trahit un peu le fonctionnement du français et de l'allemand. La traduction change le sens et la portée du mot.

Le "Lohn" en allemand désigne l'indemnisation, le salaire. L'"Arbeit" désigne le travail. En formant un nom composé tel que "Lohnarbeit", l'allemand utilise un procédé auquel les francophones sont peu coutumiers.

Pour vous donner une idée de ce procédé, on peut évoquer un exemple qui n'a pas de rapport direct avec Marx. Dans une publicité récente, on parlait de beurre "frigotartinable". Cela signifie que le beurre peut être tartiné même quand il sort du frigidaire.

Les mots composés peuvent se former pour ainsi dire à l'infini en allemand. Par exemple, dans la citation ci-dessous, on utilise l'expression "formations sociales". En allemand, on les appelle les "Gesellschaftsformationen" ce qui serait l'équivalent français de "sociales-formation".

En allemand, on peut composer les mots les plus improbables en attachant autant de petits wagons que nécessaire. Le muscle squelettique du lapin devient le "Kaninchenskelettmuskel" ("lapin-squelette-muscle"), par exemple. En français, en espagnol ou en anglais on n'imaginerait pas qu'un tel mot existe (et en allemand on ne s'en sert pas tous les jours).

Le mot "Lohnarbeit" serait rendu par "salaire-travail" pourrait se traduire par "travail à salaire" ou "salaire soumis au travail". Dans les écrits de Marx, le problème décrit en termes bouleversants n'est ni le salaire ("Lohn"), ni le travail ("Arbeit") mais le fait que le premier soit conditionné au second et que, donc, pour survivre, il faille effectuer un travail pour un patron.

Ces discussions philologiques savantes peuvent sembler oiseuses. Mais l'enjeu est de taille. Si l'on entend dénoncer le salariat, on dénonce forcément le salaire lui-même alors que si l'on dénonce le Lohnarbeit, on dénonce la soumission du travail à celui qui détient le droit de distribuer ou non le salaire. Dans le premier cas, l'abolition du salariat mène à une société de la gratuité, dans le second cas, l'abolition du Lohnarbeit mène à une société où le salaire est indépendant du travail et où le travail est émancipé de toute conditionnalité, de la pression de l'aiguillon de la nécessité. 

Extrait
Nur die Form, worin diese Mehrarbeit dem unmittelbaren Produzenten, dem Arbeiter, abgepreßt wird, unterscheidet die ökonomischen Gesellschaftsformationen, z.B. die Gesellschaft der Sklaverei von der der Lohnarbeit.
Seule la forme sous laquelle [le] surtravail est extorqué au producteur immédiat, l'ouvrier, distingue les formations sociales économiques, par exemple la société esclavagiste de celle du travail salarié.
Le Capital, Karl Marx (trad. Jean-Pierre Lefebvre (dir.)), éd. Quadrige / PUF, 1993 (ISBN 2-13-045124-1), chap. VII (« Le Taux de survaleur »), Le degré d'exploitation de la force de travail, p. 242-243

Qui paie le violon choisit la musique

Nous rappelons à nos courageuses lectrices et nos courageux lecteurs que le patron ne paie ni les salaires, ni les cotisations sociales, ni les frais, ni les investissements, ni les dividendes.

Si c'était le cas, les patrons, notamment les gros patrons, seraient ruinés. Ils auraient des dettes astronomiques. Or les gros patrons sont souvent riches. C'est bien parce qu'ils ne paient rien de tout cela.

Ce sont les prix des marchandises achetées par les clients qui paient les salaires, les cotisations, les frais, les investissements et le reste. Mais les propriétaires lucratifs piquent une partie de la somme dans le processus, c'est ce qu'on appelle les dividendes (ou les intérêts des emprunts de l'entreprise).

L'employeur n'embauche pas par bonté de cœur, par magnanimité, par générosité, par idéal. Il embauche pour gagner de l'argent, pas pour payer quoi que ce soit. Il ne "paie" strictement rien, il organise le pillage du temps, de la qualification, de l'énergie des producteurs et de la richesse qu'ils créent. Par les producteurs en emploi et hors emploi, par les clients et leurs salaires, etc.
Donc, l'employeur, le propriétaire ne paient jamais rien. Ce sont les producteurs qui paient les propriétaires de leur temps, de leur liberté et de leur prospérité. Ce n'est pas l'employeur qui fait une fleur à l'employé. C'est l'employé qui se fait truander sa jeunesse, sa volonté et sa richesse par les employeurs.