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La science économique est une narration du monde qui revendique un caractère scientifique. La naturalisation d'une vision
économique du monde est de nature
religieuse, métaphysique.
Les
combats entre écoles économiques sont des débats de chapelles, de
coteries religieuses avec leurs anathèmes, leurs chefs religieux, leurs
hérésies. Derrière des enjeux qui peuvent sembler oiseux, la science
économique entend esthétiser la
violence sociale et, ce faisant, l'asseoir ou la mettre en cause.
De
ce fait, nous définirons l'économie comme l'ensemble des luttes
métaphysiques pour justifier l'ordre social ou justifier son
renversement et nous esquisserons ensuite les limites potentielles des
différents modèles en termes d'
employisme.
Nous pouvons dégager les écoles suivantes (sans prétendre être exhaustifs ou objectifs):
1. Le libéralisme
1.1.
L'école classique libérale se réclame de
Smith ou de
Ricardo (voir l'article "
libéralisme")
Cette
école entend justifier la violence sociale existante par le fait
qu'elle serait issue d'un marché à la main invisible qui guiderait
l'intérêt commun par la somme des égoïsmes individuels. Cette croyance
fait l'impasse sur quatre points de première importance quand elle
légitime l'ordre social:
- les coûts de production doivent être inclus dans le prix de la marchandise, ce qui contrevient à l'externalisation or la propriété lucrative pousse les entreprises
à délocaliser les coûts sur les collectivités et à socialiser les
pertes - dans les prix, il faut donc, pour un libéral, intégrer les
coûts de formation, les impôts, les cotisations sociales ou les coûts écologiques sous peine de tordre le principe de concurrence
- les avantages
comparatifs ne doivent porter en théorie que sur une concurrence entre
les lieux de production, pour que s'imposent les lieux de production les
plus pertinents - tels l'Angleterre pour la laine et le Portugal pour
le vin - mais cette concurrence ne peut s'appliquer sur les conditions de travail et sur les salaires sous peine de saper les bases de l'économie productive: la demande
- l'idéal libéral
se heurte au bilan de son application concrète: c'est par égoïsme, par
ensemble d'intérêts individuels que les actionnaires maltraitent les
employés et pillent les ressources utiles à tous. L'égoïsme n'est pas un
moteur pertinent pour gérer les intérêts communs au mieux de l'intérêt
général.
- pour justifier les échecs, les libéraux arguent invariablement que les expériences malheureuses incriminées ne sont pas vraiment libérales, qu'elles ne le sont pas intégralement.
1.2.
L'école néo-libérale ou néo-classique se réclame de Friedman
Cette école prétend abolir l'État dans la foulée des libertariens (voir notre article "
libertariens").
Il s'agit de tout privatiser et de fermer l'État, il faut que tout soit
privatisé et que toute propriété privée soit entre les mains d'un
propriétaire lucratif.
La
contradiction majeure de cette école, c'est qu'elle amène et justifie
des inégalités phénoménales (notamment via la théorie du trickle down mise en œuvre par le consensus de Washington)
or, pour pouvoir conserver de gigantesques fortunes à côté de
populations qui meurent de faim, il faut financer un attirail militaire
impressionnant (sans quoi, les peuples viennent chercher ce qu'il leur
faut avec de grands objets très pointus).
Appeler
cet attirail et son inévitable institutionnalisation "État", "milice"
ou "DisneyLand" est une question sémantique de faible importance. Pour
conserver leur fortune face au peuple affamé, il faut une armée, des
lois, des institutions, des juges (privés ou publics, peu importe) et,
surtout ... des impôts (privés ou publics, peu importe). Par ailleurs,
les infrastructures utiles à l'externalisation des coûts sont assumées
par ... des impôts (qu'ils soient publics ou privés). Cette
contradiction apparaît clairement dans les deux exemples historiques les
plus aboutis de cette acception sectaire du libéralisme: l'Angleterre
victorienne et le Chili de Pinochet, la première avec ses millions de
miséreux et le second avec ses prisons politiques et sa dictature
militaire.
1.3.
L'ordo-libéralisme
Ce
type de libéralisme prône un État régulateur. C'est la doctrine qui
prévaut actuellement sur le vieux continent sous l'influence du
gouvernement allemand. L'État doit
- empêcher la constitution de trusts
- laisser la création monétaire à la banque centrale
- surveiller les budget en bon père de famille
- réguler les rapports sociaux, négocier avec les
syndicats, etc.
La
contradiction de cette doctrine est évidente: elle ne se donne pas les
moyens de sa politique ou encore, elle se donne une politique dont elle
n'a pas les moyens. En se privant du levier monétaire et de la
possibilité de creuser du déficit ou de nourrir l'inflation, elle
s'empêche toute ambition économique, ce qui rend la régulation des
rapports sociaux impossible et la constitution de trust inévitable.
Comme une politique de la dépense et de la monnaie rares, elle induit
- une déflation salariale, c'est-à-dire une contraction du PIB (une crise de surproduction)
-
une diminution de l'activité réelle, c'est-à-dire des recettes de
l'État en chute libre, ce qui rend la politique de gestion du budget
nation du bon père de famille, sans déficit, de plus en plus difficile
-
une contraction de la demande, ce qui n'est tenable que si des
partenaires commerciaux maintiennent un déficit commercial dans le long
terme - ce qui induit des risque de tensions internationales et de
guerres
1.4
Le Keynésianisme (souvent aussi désigné par Roosevelt, le président qui a mis en œuvre une politique s'en inspirant)
Pour
résumer, le keynésianisme entend réguler la finance, limiter la
propriété lucrative, augmenter les salaires et relancer l'activité par
l'investissement public.
Cette politique semble pavée de bon sens pour les millions de
chômeurs européens , pour les millions de
précaires
dont les vies sont bousillées partout en Europe par l'ordo-libéralisme
pourtant il ne faut pas perdre de vue pourquoi le keynésiasme a cédé la
place à des formes (encore) moins justes du
capitalisme.
Le
taux de profit baissait dangereusement das les années 70 - voir
Luxemburg ci-dessous. Soit les investisseurs partaient dans des pays non
keynésiens ou ils jetaient leur dévolu sur l'immobilier ou sur des
produits spéculatifs, soit les politiques publiques ramenaient les taux
de profit à des niveaux élevés (c'est-dire qu'elles devaient ramener le
chômage de masse - voir le NAIRU
- baisser les salaires, dégrader les conditions de travail et sabrer
dans les salaires socialisés). Inutile de dire que les pays dits
développés ont eu droit à des politiques anti-keynésiennes et à
la fuite des investisseurs à l'étranger et dans les produits
spéculatifs. Le keynésianisme permet en tout cas de fonctionner sur le
moyen terme mais ne surmonte en rien les contradictions du capital:
- baisse tendancielle du taux de profit
-
prolétarisation de la production (le producteur est dépossédé de la
propriété puis de la connaissance utiles à la production ce qui empêche
le travail de jouer son rôle de singularisation, d'humanisation du
producteur): celui qui décide, c'est le propriétaire et le producteur
n'a de prise sur rien
- manipulation des affects dans la consommation de masse
- destruction des ressources communes
2. La destruction constructive (Schumpeter)
Pour
l'économiste autrichien, l'innovation est permanente dans le
capitalisme. C'est la révolution permanente, les anciens produits sont
chassés par les nouveaux, les anciens procédés de fabrication sont
emportés par les nouveaux, les anciens modes de
management sont remplacés par les nouveaux, etc.
C'est
par le marché et la concurrence que les anciens produits, les anciens
modes de fabrication et les anciens managements sont éliminés: les
marges des entreprises historiques diminuent et ces entreprises
s'adaptent ou disparaissent.
Le travail de cet économiste fait l'impasse sur une série de faits:
- les entreprises historiques bénéficient d'un capital sympathie, d'une clientèle captive
-
l'optimisation de l'utilisation des ressources et des humains impliqués
dans le processus de production ne correspond pas à la réalité
-
les entreprises en s'agrandissant tendent à établir des situations de
monopole. Dans une situation de monopole, l'innovation technique (mais
même managériale) tend vers le zéro. Pourtant, ces entreprises
monopolistiques écrasent la concurrence, maîtrisent le langage
publicitaire et gardent des marges féroces. Microsoft, Appel ou
MacDonald constituent à cet égard des exemples d'école.
3. Le communisme et les socialismes
Si les économistes
libéraux ont généralement une fonction de consécration, de
naturalisation de la violence sociale, les économistes non libéraux
appellent pour leur part à la transformation sociale radicale.
3.1.
les communautés économiques
On citera pour mémoire le phalanstère de Fourier ou l'île d'Utopie de More (voir notre article
ici) comme exemple d'appel à un autre mode de production et de distribution économique.
L'idée
des phalanstères idéaux est de produire une société idéale à petite
échelle, sans violence sociale. Les tentatives ont été nombreuses. Dans
une certaine mesure, on peut assimiler une partie du monachisme médiéval
à ces tentatives. Les communautés ont souvent connu trois évolutions
fatales:
- elles ont disparu sous la pression des tensions internes
- elles sont
devenus des acteurs économiques d'importance (Cluny) et ont reproduit en
leur sein de la violence sociale démonétisée
- elles ont été
absorbées comme des acteurs économiques quelconque et, par le truchement
de la concurrence, ont disparu en tant qu'expériences spécifiques.
Pour autant, la
communauté, l'aspiration à la communauté est une constante à travers les
siècles dont les formes changent, dont les discours métaphysiques,
politiques évoluent.
3.2.
Le socialisme utopique (Proudhon)
Il
dénonce toute forme de pouvoir, l'État, le parlement ou la propriété et
appelle à leur abolition au profit d'une société ouvrière libérée de
ces entraves (mais malheureusement, pas de l'anti-sémitisme ou de la
misogynie, semble-t-il). La dénonciation de la propriété est
fondamentale (et positive, de notre point de vue) même si une critique
de la propriété ne peut faire l'économie de la distinction entre la
propriété lucrative et la propriété d'usage, absolument nécessaire au
soin aux choses - voir notre article
propriété)
Cette idéologie de l'économie spontanée fait l'impasse sur la question de la violence sociale. Toute société organise
- le travail concret, les tâches, ce qui doit être fait. Pour ce faire, il n'y a pas per se de violence sociale à l’œuvre
- le travail
abstrait: la gestion sociale de la violence. Ce travail abstrait prend
la forme de reconnaissance économique, de rémunération, dans une société
capitaliste. Si on abolit la forme de violence sociale capitaliste, on
n'abolit pas pour le coup toute forme de violence sociale. C'est
dire que, en abolissant la violence sociale économique, on risque de se
retrouver avec d'autres formes de violences sociales ... telles celles
de l'ancien régime ou des sociétés totalitaires. L'abolition de la
propriété privée chère à Proudhon risque d'établir des sociétés à
gourou, à leader charismatique dans lesquelles les modalités de violence
sociale antérieures au capitalisme, les castes et l'organisation
sociale patriarcale par lignage finiront par prévaloir.
3.3.
Karl Marx
L'auteur du
Capital a mené une des analyses les plus décisives du système capitaliste (voir notre article
Marxisme).
Il décrit un système de violence sociale qui repose sur une égalité en
droit d'agents économiques inégaux en fait. L'un des nœuds de ce
système, c'est la propriété lucrative, c'est-à-dire la légalisation de
la distraction du fruit du travail des producteurs en plein respect du
droit. Marx a longuement expliqué le phénomène de prolétarisation, de
dépossession de la propriété de l'outil de production puis du savoir
relatif à la production et du pouvoir d'en décider par la logique
capitalistique. Il a décrit cette logique de l'
emploi, logique mue par la misère des producteurs, comme une logique criminelle et aliénante pour les producteurs.
Certaines
tendances marxistes (mais là, nous ne parlons plus de Marx mais de ses
séides!) ont eu tendance à valoriser le travail, les prolétaires en
général et les ouvriers en particulier. Il y a là une déviance: au nom
de la valorisation politique des prolétaires, leur travail est mis en
avant et, ce faisant, c'est l'esclavagisme des prolétaires qui est mise en avant.
Cette déviance
plus ou moins latente selon les secteurs, explique pourquoi une partie
de la gauche marxiste s'est fourvoyée dans l'employisme le plus
contre-productif qui soit. Demander un emploi, c'est, du point de vue de
Marx lui-même, se mettre la corde autour de cou, s'aliéner
volontairement sa liberté, etc.
Cette position
employiste - qu'elle soit reprise dans des discours lénifiants sur la
nécessité de réduire le temps de travail (lire, d'emploi), qu'elle soit
incarnée par un discours syndicaliste de soumission vociférante, qu'elle
soit le fait d'une nouvelle gauche conquise par les technologies et
l'économie du partage - amène les producteurs à demander de l'emploi. Si
l'on demande de l'emploi, le jour où l'on en obtient, il faut
logiquement dire merci à son employeur, il faut logiquement savoir gré
aux propriétaires lucratifs de leur geste, il faut se soumettre à la
classe possédante que les marxistes nomment bourgeoisie.
Bref, demander l'emploi au nom du progrès technique, au nom des innovations civilisationnelles ou au nom de la lutte de classes enterre de facto la
... lutte de classes. Cette demande soumet le prolétariat à la
bourgeoisie, elle castre toute puissance collective, toute aspiration à
la modification des rapports de force sociaux.
3.4.
Luxemburg
Il
est difficile de résumer l’œuvre d'une femme politique qui inspire le
respect tant par son courage que par son l'honnêteté et sa rigueur
intellectuelle. Trois points sont essentiels pour la théorie économique
(de notre point de vue):
1. La
baisse tendancielle du taux de profit
En reprenant les équations de Marx, Luxemburg découvre que le taux de profit des investisseurs diminue nécessairement dans le long terme à
mesure que la structure organique du capital se modifie. Cette théorie
n'a jamais pu être infirmée mais les crises financières et les guerres
semblent se charger de réduire l'accumulation du capital source de la
baisse du taux de profit à intervalles réguliers. La guerre comme
destruction de capital, comme moyen de récupérer le taux de profit perdu
avec le temps a fait dire à la brillante théoricienne que l'avenir se
jouerait entre le socialisme ou la barbarie.
2. L'impérialisme
La
nécessité de maintien du taux de profit pousse les différents pays à en
annexer d'autres pour en faire des marchés captifs et conserver de la
sorte à leurs entreprises des marges appréciables.
3. L'anti-autoritarisme
Luxemburg
s'est toujours opposée à la poigne soviétique. Elle prônait un régime
économique dit des conseils dans lequel les producteurs seraient
propriétaires de leurs outils de production.
Remarques
Le
luxemburgisme peut se fourvoyer dans l'anti-impérialisme.
L'impérialisme est consubstantiel au capitalisme mais le capitalisme
peut très bien fonctionner sans impérialisme. Le problème ne se situe
pas là (même si l'impérialisme est indéniablement une aliénation majeure
et inhumaine, même si les combats pour la libération contre des forces
coloniales d'occupation sont tous éminemment légitimes).
La théorie de la baisse du taux de profit correspond bien à la réalité. Mais les cycles
de crises et de guerre se chargent de rétablir ce taux de profit. C'est
dire que l'attente millénariste de la délivrance du capitalisme par la
baisse automatique et inéluctable du taux de profit demande beaucoup de
patience et amène peu de résultat. C'est le monde qui, au travers des
guerres et des crises, s'adaptent aux crises d'accumulation
capitalistiques sans que jamais le capitalisme lui-même soit remis en
question.
Les conseils
ouvriers, les coopératives, ont tendance à se conformer aux pratiques
économiques et sociales des entreprises avec lesquelles ils sont en
concurrence. De ce fait, le conseillisme risque d'apparaître comme un
mode de management efficace d'une production capitaliste alternative qui
aurait intériorisé l'aliénation.
3.5.
Polanyi
Polanyi analyse les conditions de la genèse des conflits dans
La Grande Transformation. Ce faisant, il dégage des traits récurrents remarquables dans le développement de l'économie capitaliste.
1. L'
enclosure
Le capital avance
à condition que les peuples soient dépossédés des communs (voir le
Black Act).
Pour que la force de travail soit disponible, il faut qu'elle soit
amenée à mourir de faim et, pour qu'elle meure de faim, il faut lui
enlever ses ressources ancestrales. Ce vol des ressources ancestrales
est ce que Polanyi nomme l'enclosure.
2. Le
revenu de base
Le
Speenhamland Act (1795-1834, en Algleterre) offrait un revenu à tous
les pauvres en taxant de manière forfaitaire les propriétaires terriens
via les
paroisses. Concrètement, il s'agissait d'entretenir un prolétariat lésé
par les enclosures, par la privatisation de ses ressources pour qu'il
soit prêt, le jour venu, à nourrir les rangs des ouvriers. Le jour où
les usines anglaises ont eu besoin de bras, le Speenhamland Act a tout
simplement été abrogé et les prolétaires ont dû vendre leurs bras à vil
prix. Les classes moyennes ont dû payer pour les pauvres, les riches ont
été pour ainsi dire exemptés de toute responsabilité.
3. La
guerre
La
guerre survient quand le taux de profit diminue et que les nations
cherchent à solvabiliser leurs marchés, à trouver des débouchés. Comme
tous les pays sont confrontés au même problème en même temps et qu'ils
doivent tous envahir et assujettir leurs voisins pour continuer
l'accumulation capitalistique, la guerre survient immanquablement. Les
guerres permettent une destruction de valorisation économique, ce qui
augmente mécaniquement le taux de profit et permet de relancer un cycle
économique.
Polanyi
n'offrait pas de perspective. Il a simplement décrit le fonctionnement
d'un système. Les réussites du keynésianisme nuancent un peu ses thèses
mais les nuances elles-mêmes sont nuancées par l'impossibilité du
keynésianisme à dépasser les contradictions de l'accumulation. Par
contre, Polanyi prouve que le capitalisme n'advient pas tout seul, sans intervention étatique et militaire mais
il affirme, par contre, que ce système est à bout de souffle. Cette
affirmation est malheureusement péremptoire si l'on admet que l'État et
la violence militaire interviennent dans le capitalisme; elle est par contre exacte si, comme les néo-classiques, on considère que le capitalisme apparaît tout seul, spontanément.