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Piaculaire

Se dit de ce qui a rapport à l'expiation, mais dans un sens plus large que la seule expiation des péchés. Durkheim utilise ce mot pour désigner les rites tribaux qui doivent racheter de mauvaises actions ou de mauvais sorts.

Les dettes au sens capitaliste s'inscrivent pleinement dans une logique piaculaire. Il s'agit, pour un privé ou pour un État endettés, d'organiser la production, les sacrifices, les discours et l'entéléchie communs autour de ce "rachat de mauvaises actions ou de mauvais sorts".



L'expiation des péchés antérieurs justifie alors des crimes, des sacrifices de sang. Graeber s'étonnait2 qu'une progressiste sincère jugeât normal de provoquer des milliers de morts faute de vaccin dans un pays pauvre puisque ce pays devait payer ses dettes.

L'emploi est également inscrit dans cette logique piaculaire: un employé est quelqu'un qui doit racheter son droit à vivre parce que lui-même ou ses ancêtres n'ont pas accumulé suffisamment de mérite. Pour racheter sa vie, l'employé doit la gagner auprès des puissances totémiques.

Les puissances totémiques piaculaires sont les propriétaires lucratifs, par délégation de la rationalité économique, c'est à eux que se paient les écots piaculaires, c'est à eux que se rachètent les droits à la vie et à la survie.

Les rites piaculaires employistes tournent autour de

- l'ascétisme (qui justifie les guerres contre le salaire dans le cadre de l'emploi piaculaire)

- la privation, le renoncement et l'interdit de certains gestes (l'ensemble de la socialisation des outils de production, en gros, correspond à un renoncement à la liberté de l'acte et à la construction de soi par l'acte du travail)

- la mutilation (de la liberté, du temps ou du corps: il est de bon ton de renoncer à des mesures de sécurité, de mettre sa santé en danger pour les employés pour faire montre de leur mérite à gagner leur vie)

Par contre, l'origine du mauvais sort qui frappe les employés, génération après génération, qui fait que plus ils travaillent, plus ils s'appauvrissent est facile à comprendre.

C'est l'ensemble des institutions de la propriété lucrative, de la pratique capitaliste de la valeur. Les rites piaculaires entretiennent donc, dans le cadre de l'emploi, la source du mauvais sort alors qu'il suffirait, pour se défaire de ce mauvais sort, de se défaire de la source de ce mauvais sort.



1 E. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, CNRS, 2007.

2 Dans l'introduction à D. Graeber, Dette : 5000 ans d'histoire [« Debt: The First 5000 Years »], Les liens qui libèrent,

Du droit

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Le droit, c'est l'ensemble des lois et des pratiques qui régissent, encadrent et affectent le vivre ensemble. C'est ce que Spinoza désigne par l'auto-affectation du corps social, c'est l'ensemble des principes par lesquels le corps social se contrôle en tout ou en partie.


Pour autant, les Lumières qui ont accouché de tous nos droits civiques, qui nous ont transformés en citoyen politique, nous ont laissés serfs dans l'entreprise.

Le droit comme guerre sociale


C'est une antienne connue et trop souvent vérifiée: la justice est une justice de classe. Si l'on se souvient du procès bidon des manifestants du Haymarket Square (des syndicalistes en lutte avaient été accusés, condamnés et exécutés pour un attentat sans aucune preuve), 

si l'on se souvient de la tolérance au XIXe siècle pour les coalitions patronales et de la répression impitoyable contre les syndicats ouvriers, 
si l'on se souvient de la sévérité des peines infligées aux travailleurs accusés d'avoir abîmé une chemise d'un contre-maître d'Air France et la mansuétude complice de la justice envers les patrons voleurs, envers les patrons fraudeurs, envers la fraude fiscale et l'"optimisation", 
si l'on se souvient du procès à charge de celui qui dénonçait les pratiques d'évasion fiscale au Luxembourg parce qu'il dénonçait ces délits
ou si l'on se souvient de l'impunité des policiers dans les quartiers et les ubuesques poursuites dont sont victimes les habitants desdits quartiers, 
on ne peut que souscrire à cette idée.



La justice a servi et sert souvent à diviser les producteurs et les productrices en lutte, elle sert souvent à casser leur combativité. C'est que, comme l'État a le monopole de la violence physique légitime, on craint son bras séculier qui a tendance à s'attaquer à des individus isolés. La justice censée être aveugle, la justice censée protéger se fait bras vengeur et auxiliaire de l'arbitraire du pouvoir.

Le droit comme dépassement du capitalisme

Quand les luttes ouvrières du dix-neuvième siècle et au-delà obtiennent
- une limitation de la durée légale du travail
- un encadrement des salaires, des barèmes, une qualification des postes de travail (puis des producteurs dans la fonction publique)
- une universalisation et une obligation des pratiques des caisses de secours ouvrier, de la sécurité sociale
- une définition des conditions de sécurité et de fonctionnement de l'entreprise,

elles limitent la propriété lucrative par l'avènement du droit social. Ce droit est le fruit d'un rapport de force, de luttes de classes. Il est sans cesse à construire dans la lutte sociale mais le fait même de son existence, le fait même que la propriété lucrative soit encadrée, limitée par le droit social, a été l'objet de débats et de combats homériques.

En ce sens, le droit comme obstacle à la propriété présente un intérêt potentiel énorme en terme de dépassement des institutions capitalistes1 par l'emploi puis de l'emploi par des institutions salariales2.



Globalement, le droit social comme limitation de la propriété lucrative se fait selon trois axes principaux:

  1. la création d'un statut du poste (l'emploi dépasse la vente de la force de travail) puis d'un statut de la personne, d'une qualification (la fonction publique dépasse l'emploi)
  2. l'encadrement des pratiques de travail concret dans l'entreprise, l'implication des producteurs dans les décisions et la création de normes de sécurité, de salaire et de pratique professionnelles font entrer le droit du travail dans l'entreprise
  3. la création de droits politiques du producteur dans la suite des caisses ouvrières de grève, de chômage ou de couverture santé par l'universalisation et l'obligation du salaire socialisé.

La hiérarchie du droit


Par ailleurs, l'enjeu de la hiérarchie des normes a clairement été posé lors de la malheureuse loi travail en 2016. Jusque là, les lois prévalaient sur les accords de branche et les accords de branche prévalaient sur les accords d'entreprise. Cette hiérarchie du droit permettait à une branche de faire mieux, d'obtenir davantage de droits que ce qui figurait dans la loi et à un collectif de travail de faire valoir davantage de droits que ce qui figurait dans l'accord sectoriel.

Source ici


Avec le renversement des normes (voir ici), ce sont les accords d'entreprise qui prévalent sur les accords de branche et les accords de branche qui prévalent sur les lois. Ceci met les producteurs dans un rapport de force au niveau de l'entreprise, ce qui les amène à se faire concurrence entre eux et à admettre des reculs du droit pour conserver leur poste de travail. Le chantage du chômage et l'asymétrie du rapport de subordination entre employé et employeur balaie les protections sociales du droit.

À terme, les emplois aidés et le recours au travail détaché obèrent les sources de financement des salaires socialisés.

Le travail-marchandise avant (ou après) le droit

Sur le marché des biens et des services, les choses s'échangent. On en discute le prix et une marchandise en surproduction voit sa valeur économique s'effondrer. Le fait que le capitalisme organise le travail abstrait, le travail socialement reconnu comme productif par un rapport de force des classes en présence, comme un marché du travail ou un marché de l'emploi et le fait que la valorisation du travail se fait par la quantité de temps, amène à vendre et à acheter le temps humain du travail, la force de travail, sur un marché comme on le fait des marchandises.

Cette façon de faire nie le fait qu'il ne s'agit pas de biens et de services mais de temps humain, mais de travailleurs. La négation de la spécificité humaine du travail et de la violence à mettre l'humain lui-même sur un marché est ce qui précède (ou suit) l'avènement du droit dans la sphère économique par les conquis de la lutte des classes. 



Avant le droit, cette violence se traduisait par le patron maître en son usine, maître pour faire travailler les enfants, les adultes sans conditions de sécurité, sans limitation de la durée de travail ou sans aménagement démocratique de la production. Cette propriété lucrative pure ramenait les ouvriers et les ouvrières à être de simples biens de consommation dont se servait l'employeur pour nourrir ses bénéfices.

Après le droit, dans l'infra-emploi, la violence du fait de ramener à un simple objet sur un étal les producteurs prend la forme de l'exploitation pseudo-moderne type Uber. Dans ce genre de mise sur un marché du temps humain, le producteur, la productrice est dépossédée de toute maîtrise de son temps, de toute décision sur la production (la moindre infraction aux règles est immédiatement sanctionnée par une suspension); l'employeur se défait de toutes ses obligations et achète le temps de celui ou celle qui le vend au moins cher dans une mise en concurrence perpétuelle des producteurs et des productrices.

Au-delà de l'emploi (Supiot)

Dans cet esprit mais avec une approche nettement juridique et sans prétendre dépasser l'emploi, Alain Supiot proposait un Au-delà de l'emploi dans son rapport à la Commission européenne3.

Il s'agit de fonder de nouveaux droits liés au travail, de nouveaux droits qui ne seraient pas inscrits dans l'emploi mais qui seraient attachés à la personne.

Sur base de la multiplicité des pratiques européennes, il constate
- une déconnexion du social et de l'économique par la proclamation de droits sociaux de l'individu déconnectés de l'économique, au niveau de la sécurité individuelle, de la dépendance ou du droit collectif.

- le développement d'une zone grise, entre formel et informel, entre travailleur dépendant et indépendant

et, au niveau européen, il propose
- de réaffirmer que la qualification juridique du travail n'est pas du ressort des parties [c'est-à-dire que le droit doit primer sur les accords d'entreprise]

-  d'élargir la notion de droit social pour englober toutes les formes de travail pour autrui

ce qui implique de
- définir la notion de travailleur salarié de manière commune (au niveau de l'Europe, donc)

- de maintenir le pouvoir de requalification du contrat de travail par le juge

- de consolider un statut spécifique de l'entreprise d'intérim, de développer la notion de coresponsabilité des employeurs

- d'appliquer certains aspects du droit à des travailleurs qui ne sont ni salariés ni entrepreneurs
Par ailleurs, il constate que le modèle fordiste, professionnel et fixiste, n'est plus applicable. Il propose donc

- de garantir une stabilité de trajectoire et plus une stabilité d'emploi

- de construire un statut professionnel détaché de l'emploi et lié au travail, à une obligation volontairement souscrite ou légalement imposée à titre onéreux ou gratuit, attaché à un statut ou à un contrat: il s'agit de réunir les garanties liées à l'emploi, le droit du travail lié à l'activité indépendante ou dépendante (sécurité, hygiène ...) et les droits liés au travail non professionnel (droit à la formation, charge d'autrui ...).

Il faut en outre développer une concertation double, celle du conseil d'entreprise et celle des représentations syndicales. Et développer les droits sociaux au niveau communautaire et élargir les droits liés au travail en élargissant la définition du travail [on imagine en ne le limitant plus à la valorisation du capital d'un propriétaire lucratif par la vente de la force de travail].

Pour émanciper le travail (Friot)

Pour continuer les avancées obtenues par la lutte des classes, pour approfondir ce que les productrices et les producteurs ont obtenu par leurs propres pratiques de l'économie, on peut dégager quelques éléments. Pour résumer Émanciper le travail de Bernard Friot4:
- on peut attribuer un statut à la personne, un statut de producteur irrévocable

- on peut remplacer la propriété lucrative des actionnaires par la propriété d'usage des productrices et des producteurs. Celles et ceux qui font tourner l'outil de production en disposent (éventuellement en concertation avec des instances politiques concernées)
mais, si l'on envisage un salaire à vie, au niveau du droit, il paraît clair que certaines évolutions doivent s'envisager:
- on peut faire entrer le droit dans la propriété d'usage des entreprises - qu'il s'agisse de la gestion de la carrière salariales des producteurs, qu'il s'agisse des normes de sécurité ou qu'il s'agisse de temps de travail

- on peut introduire du droit salarial dans les relations commerciales avec les partenaires économiques étrangers, en développant une sécurité sociale d'outre-mer, par exemple, par le truchement de cotisations sur les produits importés (voir ici)
En tout état de cause, il apparaît que l'émancipation, la mise hors tutelle des propriétaires lucratifs, de l'économie ne passe pas par une atrophie du droit mais bien par son développement. Sur des bases salariales. Mais ce développement interroge et met en cause une notion fondamentale en droit, celle de la propriété.

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1 Les institutions capitalistes identifiées par Bernard Friot sont: 1) la mesure de la valeur par le temps de travail 2) le marché du travail 3) le crédit 4) la propriété lucrative

2 Bernard Friot identifie les institutions salariales comme 1) la qualification à la personne 2) le salaire à la qualification 3) la mesure de la valeur par la qualification

3 Alain Supiot, Au-delà de l'emploi, Flammarion, 2016. Les mesures que préconise le groupe de travail dirigé par Alain Supiot se trouvent dans la conclusion du livre pp. 287-304.

4 Bernard Friot, Émanciper le travail, La Dispute, 2014.  

La propriété lucrative

Un justiciable qui enlève un enfant et le fait travailler de force se rend coupable de détournement de mineur et de travail forcé. Il encourt une peine de prison.

Un actionnaire d'une compagnie qui a recourt directement ou indirectement, via un sous-traitant, au travail forcé d'enfants captif ne se rend coupable de rien. Il est considéré comme un homme respectable. Sa richesse est légitime.

Pourtant, ils font exactement la même chose et s'enrichissent exactement de la même façon.

Un justiciable qui harcèle une personne, lui rend la vie impossible en l'assommant de remarques dévalorisantes de manière répétée se rend coupable de harcèlement psychique. Il encourt une peine de prison ou une amende. Si le harcèlement pousse au suicide, il s'agit d'un crime.

Un actionnaire d'une compagnie qui utilise régulièrement le harcèlement pour licencier ses collaborateurs, si cette compagnie pousse ses collaborateurs au suicide de cette façon, il ne se rend coupable de rien. Il est considéré comme un homme respectable. Sa richesse est légitime.

Pourtant, ils font exactement la même chose et s'enrichissent exactement de la même façon.

Un justiciable qui empoisonne l'eau de son voisin, qui détruit son champ, qui vole sa terre, qui accumule les déchets chimiques ou radioactifs sur son terrain se rend coupable d'une violation de la propriété privée et d'un dol sévère. Il encourt une peine de prison ou une amende et doit, de toute façon, réparer le dol.

Un actionnaire d'une compagnie qui accapare les terres, les empoisonnent, déverse des déchets chimiques ou radioactifs dans les rivières ou sur les terres ne se rend coupable de rien. Il est considéré comme un homme respectable. Sa richesse est légitime.

Pourtant, ils font exactement la même chose et s'enrichissent exactement de la même façon.

Une personne qui en agresse une autre sans égard pour elle, qui lui parle de manière méprisante, qui lui intime d'ordre de ce qu'elle doit faire et comment sans égard pour elle est un rustre. Si cette personne profite d'une position dominante, il s'agit d'un abus de pouvoir. Elle encourt une peine de prison ou une amende.

Un actionnaire qui détient une compagnie qui rudoie ses employés, les traite de manière méprisante, leur intime l'ordre de ce qu'ils doivent faire sans égard pour eux est un propriétaire responsable, un "bon père de famille". La compagnie profite pourtant d'une position de pouvoir puisque les employés sont contraints de vendre leur force de travail. Il s'agit d'un abus de pouvoir. L'actionnaire est considéré comme un homme respectable. Sa richesse est légitime.

Pourtant, ils font exactement la même chose, s'enrichissent exactement de la même façon.

Et si on appliquait la justice?
Et si la propriété lucrative était un déni de justice?

Appel

Le feuilleton grec continue.

Nous rappelons que les créanciers de toute dette ont prêté un argent qu'ils ont piqué d'abord. Non seulement, il n'y aucune raison pour leur rembourser le moindre centime mais il faut s'ingénier à éviter qu'ils ne nous piquent de nouveau notre argent pour nous le prêter avec des intérêts par la suite.
Nous appelons au défaut de la Grèce, nous appelons au défaut de tous les pays d'Europe. Nous appelons à laisser les banques et les bourses, nous appelons à récupérer les titres de propriété des bourses "à la pelle et au balais" comme le dit le sémillant Frédéric Lordon.

C'est la propriété lucrative, le droit d'accaparement de la valeur produite par autrui au nom de la propriété, qui permet aux voleurs d'opérer. Pour éviter les dettes, il est donc nécessaire d'abroger la propriété lucrative.

D'autre part, le peuple grec est martyrisé de manière scandaleuse. Ce sont nos sœurs, ce sont nos frères qui sont condamnés à la stagnation sociale, à l'inaction, à la misère, à la dégradation de leurs soins. Nous rappelons que les salaires - individuels ou socialisés par la sécurité sociale - sont à la source de toute richesse, comme, d'ailleurs, l'illustre tragiquement l'exemple grec puisque les salaires, les pensions ont fondu de la même façon que la valeur ajoutée créée collectivement.

Nous appelons à un investissement massif en Grèce (et en Europe, d'ailleurs) dans les salaires, notamment dans les salaires socialisés. Nous appelons à financer cet investissement dans un salaire universel grec (et européen) par la création monétaire et par la cotisation généralisée.

Nous appelons à la socialisation des moyens de production, nous appelons à la démocratisation de l'économie. Nous appelons à la suppression des institutions anti-démocratiques qui martyrisent le peuple grec et bafouent les principes de diplomatie, de respect entre les peuples les plus fondamentaux. Nous appelons à la démocratisation de la banque centrale, au débat public sur la création monétaire, sur l'inflation. Nous appelons à la fin des retraites par capitalisation et à l'universalisation de la sécurité sociale au niveau européen.

Nous saluons la résistance exemplaire des Grecs, que ce soit les instances dirigeantes, entre conciliation, implication des autres peuples européens et nécessités politique, sociale et économique intérieur.

Nous exprimons notre sympathie pour tous les peuples en souffrance sur notre vieux continent, pour les Grecs sans perspectives, pour les Allemands condamnés à travailler pour rien, harcelés, pour les Belges exclus des prestations chômage à l'heure où la conjoncture installe durablement le chômage de masse, pour les Anglais pris dans des contrats de travail esclavagistes, pour les Espagnol naviguant entre salaires de misère et chômage de masse, pour les Italiens et pour les Français qui voient leurs plus belles conquêtes, leurs plus belles luttes disparaître sous l'imbécile docilité de pouvoirs sans imagination et sans légitimité, pour les Européenne en général, pour les mères de famille célibataire, pour les pauvres, pour les déclassés, pour les lourdés, pour les fonctionnaires qui partout en Europe pâtissent de l'incurie des élites, de leur avidité, de leur promptitude à servir les puissants.

Nous appelons à la résistance, partout sur le continent, nous affirmons la légitimité de toutes les luttes pour le droit, pour la justice, pour le salaire et pour l'avenir. Cette résistance s'impose à l'heure où nos ressources sont menacées, où notre agriculture est menacée, où nos salaires et nos droits sont menacés.

Nous appelons à construire un monde ensemble. Nous appelons à nous unir, à croire les uns dans les autres. Nous appelons à notre monde. Du fond de la nuit, puissions-nous trouver le jour, inspirés par les ancêtres et leurs luttes courageuses, portés par l'impératif de justice et assurés de nos rêves.

Ils n'ont que l'argent. Nous avons les rêves, l'amour, le savoir-faire, les compétences. Nous avons le temps.

Lettre aux actionnaires

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(Extrêmement) chers actionnaires,

Vous touchez de l'argent en plaçant de l'argent. Cela vous paraît légitime, normal. Après tout, vous achetez des actions, des titres, des bons, des produits dérivés et, années après années, vous encaissez des dividendes, des plus-value. Tout cela vous paraît éminemment normal. Vous êtes payés parce que vous détenez des titres, parce que vous êtes propriétaire lucratif.

Vous détenez des titres, des avoirs que vous entendez "valoriser" parce que vous pensez que vous les méritez, que vous pourrez assurez vos vieux jours (ou ceux de vos descendants) comme cela. Bien sûr, le souvenir des krachs boursiers vous hante de temps en temps mais, avec des institutions publiques aussi solides que celles qui interviennent sur les places boursières, vous vous dites que vous ne risquez pas grand chose. Finalement, ce sont les institutions publiques qui vous rassurent sur l'existence de vos titres de propriété. Mais les institutions publiques sont rincées: elles ont payé les institutions privées que la loi du profit, la loi de la propriété lucrative justement, cette loi qui vous trouvez absolument normale, avait menées au néant.

Cela vous paraît peut-être tout aussi normal mais, dans les entreprises que vous détenez, ce ne sont pas les travailleurs qui décident ce qui est fait, comment c'est fait, par qui c'est fait, ce sont vos intérêts financier qui déterminent la nature de l'activité, ceux qui la mènent et comment elle est menée. Les travailleurs sont qualifiés, compétents, souvent intéressés par ce qu'ils font mais c'est vous, actionnaire en tant qu'être anonyme qui engrangez des profits qui n'y connaissez a priori pas grand chose, qui décidez. C'est la loi qui régit l'activité: le propriétaire lucratif, l'actionnaire décide de ce qui se fait et comment. Vous aurez remarqué que cette loi est protégée par un appareil d'État en déliquescence (parce que la dette de l'État fonctionne selon cette même loi: les créanciers décident de l'activité de l'État).

Quand une entreprise cherche à faire des bénéfices pour rémunérer les actionnaires, les propriétaires lucratifs, les créanciers, elle essaie de faire des économies en comprimant les salaires - ce qui, à un niveau macro-économique, sape la demande, la possibilité pour les entreprises de vendre leurs bidules puisque les clients-salariés se retrouvent sans argent quand toutes les entreprises compriment les salaires - ou en externalisant les coûts sociaux, environnementaux ou financiers. Externaliser, c'est faire payer par d'autres les coûts de l'activité dont on retire un bénéfice. L'externalisation est très anti-libérale mais c'est pourtant l'une des principales conséquences de la loi de la propriété lucrative, du profit.


Et puis, il y a bien quelque petits problèmes à cette loi de la propriété lucrative qui vous paraît pourtant si naturelle, si normale. Le chômage s'étend, les emplois s'apparentent de plus en plus à une insulte à la dignité humaine (voyez vos petits enfants, vos amis d'enfance ...), les ressources naturelles dont les humains ont besoin s'épuisent, la qualité des marchandises se dégrade, le discours publicitaire, vulgaire et tapageur, sature l'espace public. Ce sont là des inconvénients mineurs, me direz-vous, mais ces inconvénients sont directement liés à cette loi du profit, à cette loi de la propriété lucrative que vous trouvez si naturelle.

Alors me direz-vous, au bout de ce bref inventaire, cette loi du profit, de la propriété lucrative, a certes quelques menus défauts mais elle vous permet de continuer à payer vos factures, elle vous permet de dépenser votre argent dans des dépenses somptuaires qui vont donner de l'emploi aux gens sans argent. C'est la théorie du trickle down, du ruissellement: l'enrichissement des riches enrichit les pauvres. Cette belle théorie ne s'est jamais vérifiée - pour enrichir les pauvres, il a toujours fallu appauvrir les riches et les pauvres ne se sont jamais enrichis parce que les riches devenaient plus riches - mais cette théorie a l'avantage de faire passer le riche actionnaire qui tire son argent du travail du pauvre pour quelqu'un de bien, pour quelqu'un de bon, pour quelqu'un d'utile. Mais, vous savez, vous pouvez devenir quelqu'un de bon, d'utile si vous valorisez non vos misérables titres de propriété mais vos aptitudes, votre soif de la vie, votre capacité à aider votre prochain, à inventer, à découvrir, à devenir.

On peut même expliquer pourquoi la théorie du ruissellement n'a jamais fonctionné: les pauvres dépensent tout leur argent alors que les riches accumulent le leur à l'infini. C'est dire que l'argent gagné par les pauvres, les salaires, retourne immédiatement dans l'économie alors que l'argent des riches est retiré de l'économie et remplit des comptes off-shore qui ne servent pas à grand monde.

Cette loi vous permet donc de gagner de l'argent et de le retirer de l'économie en pourrissant les ressources dont vous avez besoin, en sapant les bases de l'État qui protège votre propriété lucrative, en dégradant au passage les infrastructures publiques, le niveau de formation des travailleurs, la qualité des marchandises, etc.

C'est une loi qui risque de ne pas vous nourrir longtemps. Si cette loi ramène l'Europe à l'âge de la pierre, vos titres, vos avoirs, vos actions, vos lingots, vos obligations n'auront plus le moindre sens. Avec ces tas de papier, avec ces tas d'or, vous ne pourrez pas vous nourrir, vous ne pourrez pas vous chauffer, vous ne pourrez pas vous loger. Vous me direz que l'apocalypse économique ne vous touchera pas vous directement. Effectivement, l'apocalypse économique est une quasi certitude si l'on ne touche pas à la loi du profit, de la propriété lucrative, mais elle ne vous touchera peut-être pas directement. Elle touchera vos enfants.

Cette loi que vous croyez normale, naturelle, cette loi de la propriété lucrative est humaine. Elle a un coût démesuré par rapport à ses bénéfices. Par contre, la question de la permanence de vos revenus, de la certitude d'avoir de l'argent pour vos vieux jours est une vraie question. C'est une vraie question, une vraie angoisse que la propriété lucrative, que cette loi humaine d'airain, ne résout pas. Ce qui apaise cette peur lancinante du lendemain, c'est la société, c'est le politique, c'est le vivre ensemble. Demain, d'autres humains produiront, travailleront, laboureront, inventeront, créeront, fabriqueront ce qu'il faut pour tous. Il s'agit de traduire cette solidarité de société, il s'agit de traduire le social et le politique dans l'économique. Il faut que l'économique soit traduit en termes sociaux et politiques qui permettent à chacun de mener librement ses activités et de rencontrer ses besoins.

Dans le royaume de la propriété lucrative, quand vous serez âgé, vous serez parqué dans une maison de retraite. Dans cette maison de retraite, les actionnaires auront tout pouvoir. Les frais de personnel seront donc réduits. Le personnel n'aura, par exemple, pas le temps de s'occuper de vous, il vous laissera sans vous changer pendant des heures si vous faites vos besoins dessus, il devra adapter vos horaires à la rapidité des actes à poser. Bref, riche ou pauvre, en maison de retraite sociale ou en maison pour milliardaires, vous serez maltraités. Pour être bien traité quand vous serez en maison de repos, il faut que les travailleurs soient libres de vous consacrer le temps dont vous aurez besoin. Il faut qu'ils ne soient pas contraints de produire du profit en travaillant au plus vite.

Si vous ne voulez pas être maltraités pendant vos vieux jours, si vous voulez aussi que vos enfants aient le temps de venir vous voir, qu'ils ne soient pas mis sous pression par un employeur chronophage qui cherche le retour sur investissement, il serait bon de remettre en cause cette loi que vous trouvez peut-être encore si normale, si naturelle, la loi de la propriété lucrative.

Mais, ne vous inquiétez pas, tout n'est pas perdu, pour la mise en cause de la propriété lucrative, nous regorgeons d'idées.