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Échographie d'une classe

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Méthode


Cet article synthétise l'ensemble des notes de lecture sur l'histoire de la sécurité sociale, ses acteurs et sa genèse que nous avons publiées sur ce site.

La synthèse s'appuie sur des documents de deuxième ou de troisième main. Il ne s'agit donc pas d'un travail d'historien mais d'un travail de journaliste. Tous les documents auxquels il est fait référence sont sourcés dans les articles les résumant.

Thèses


1. La sécurité sociale est une pratique salariale de la valeur qui s'oppose à la pratique capitaliste de la valeur. Comme la bourgeoisie s'opposait économiquement aux pratiques de la noblesse au moyen âge, les producteurs s'opposent économiquement aux pratiques capitalistiques par leurs propres institutions

2. Cette pratique tend à s'imposer à l'ensemble de l'économie. La sécurité sociale régime général en France ou le régime interprofessionnel en Belgique sont des jalons de cette conquête inscrite dans le temps long.
3. Les institutions capitalistes sont: la rémunération par le temps; le marché de l'emploi; la propriété lucrative et la dette.

4. Les institutions des producteurs sont la cotisation comme pratique universelle, la prestation comme droit personnel, la construction d'une base matérielle pour la grève, pour la santé, pour le chômage et pour la retraite. Ces pratiques sont susceptibles de permettre l'activité économique sans propriétaire et sans employeur.


Synthèse


Nous avons en tout cas relevé les faits suivants dans les documents recensés:

1. Au XIXe siècle, les ouvriers organisent des caisses de grève pour éviter la misère en cas de conflit social.
Ces caisses se construisent à mesure que le prolétariat ouvrier s'éloignent matériellement de toute base agricole (voir ici).


2. Les femmes ont créé des caisses en fonction de leurs besoins spécifiques, ce qui permettra d'intégrer la politique familiale ou l'assurance santé dans les caisses de sécurité sociales (voir ici).

3. [supposition logique] Les grèves des hommes n'ont pu tenir que parce qu'elles étaient soutenue par les femmes; les caisses de grève des hommes n'ont pu être alimentées que parce que les femmes donnaient leur accord. De même, les grèves de femme et les cotisations de femme n'ont pu être victorieuses que parce que les hommes les soutenaient ou les acceptaient.
Des tensions au sein du ménage sur un sujet aussi grave condamnaient toute grève à l'échec et, donc, toute grève victorieuse ne l'a été que parce que les membres du ménage ont fait montre de solidarité entre eux.

4. Sous la pression des caisses de grève et des caisses de secours mutuels, les pouvoirs publics en Belgique, après avoir interdit les caisses de secours mutuel, les tolèrent et les encouragent.
Pour les pouvoirs publics, les caisses de secours mutuelle concurrencent les caisses de grève et, pour le faire efficacement d'un point de vue patronal, elles doivent offrir des prestations de qualité et, surtout, ne pas intervenir en cas de grève. C'est donc sous la pression de ces caisses de grève, de cette pratique de la valeur spécifique par cotisation liée à la lutte de classe que la pratique de la valeur par cotisation se généralise (voir ici). De même, en Allemagne, c'est sous la pression de la montée du mouvement socialiste que le Bismarck crée une pratique de la valeur par cotisation et en Angleterre et aux États-Unis, c'est sous la pression du mouvement syndicaliste que l'État se met à intervenir dans le secours ouvrier (voir ici).

5. Alors que,
en France, c'est le principal syndicat prolétaire et l'ensemble de ses membres (de quelque sensibilité politique que ce soit) et les relais prolétaires communistes (Croizat, notamment) dans le monde politique qui mettent en œuvre le régime général obligatoire de la sécurité sociale à la Libération (voir Bernard Friot, La Puissance du salariat, La Dispute, 2012),


en Belgique, la sécurité sociale naît de la concertation sociale entre partenaires (voir ici). Ces partenaires (patrons et ouvriers) s'inquiètent de la paix sociale. Mais ces négociations ont lieu sous la pression de grèves massive pendant et après la guerre, alors que les grévistes engagés dans la résistance sont massivement armés (et que la gendarmerie est désarmée). Elle se fait dans le cadre d'un rapport de force très favorable aux prolétaires. La "paix sociale" est surtout inspirée par la crainte des possibilités qu'ouvrent ces mouvements sociaux puissants et décidés (voir ici). Par la grève de 1936, les producteurs ont obtenu des augmentations de salaire, des augmentations substantielles des allocations familiales et des congés payés (voir ici).

6. En tant que pratique de la valeur spécifique, la sécurité sociale a fait l'objet d'attaques de la bourgeoisie incessantes depuis la Libération que de défenses et de conquêtes de la part du prolétariat.
Du côté défensif, on citera les mouvements contre les réformes des pensions en France ou la forte mobilisation actuelle contre la sape des cotisations sociales en Belgique. Du côté offensif, on citera l'extension du filet de la sécurité sociale, l'existence (maintenant supprimée) à un moment donné d'un salaire-prestation chômage à vie en Belgique ou les embryons d'organisme publics de recherche financés par la cotisation.

7. En Belgique, l'émergence de syndicats unitaires à la Libération a permis aux factions favorables à la collaboration de classe de marginaliser les syndicats les plus combatifs. Ces syndicats unitaires ont pratiqué la cogestion.
Cette attitude a depuis lors souvent créé des tensions entre les producteurs représentés et la ligne politique et sociale de leur représentants. À la Libération, la FGTB s'inquiétait qu'on pût donner de l'argent à des chômeurs qui ne travaillaient pas - ce qui constituait, dès l'origine, une rupture assez violence avec le marxisme dont se réclame ce syndicat puisque Marx considérait le travail à gage comme une forme d'aliénation esclavagiste (voir ici).
8. Le fait que les institutions syndicales ouvrières soient actives dans l'extension de la pratique salariale de la valeur (comme en France, dans le cas de la CGT) ou qu'elles soient moins engagées (comme en Belgique) ne change pas le fait que, dans les deux cas, la création de valeur économique par cotisation-prestation à la personne, la pratique prolétaire de la valeur s'impose par le biais ou en dépit des institutions censées représenter les producteurs.
C'est la force même de cette pratique économique et de la classe qui la porte qui s'impose - que ce soit par les pratiques coopératives, par la sécurité sociale, par les caisses de grève, par les soupes communistes ou par la lutte comme mode de création de valeur ajoutée salariale.
9. Comme la pratique économique de la bourgeoisie s'est imposée au fil du temps sur les pratiques antérieures de la noblesse, la pratique économique prolétaire tend à terrasser en terme d'efficacité la pratique économique propriétaire. Les coopératives résistent mieux à la crise, les pays à sécurité sociale bismarkienne résistent mieux à la crise et, même, en termes capitalistes, les pays les plus productifs sont ceux où la pratique prolétaire de la valeur est la plus avancée, la plus étendue.

10. Dans l'émergence de la pratique prolétaire de la valeur, l'État joue davantage comme une courroie de mise en droit du mouvement, comme une machine enregistreuse des acquis que comme force de création de ladite pratique prolétaire.
L'étatisation de la sécurité sociale aux États-Unis et en Angleterre est liée avec une grande faiblesse des prestations et de la force matérielle de cette pratique. Par contre, dans ces deux pays, des caisses de grève et des pratiques de solidarité concrète entre producteurs sont monnaie courante dans les situations de conflit.

Actuellement, en Europe continentale, le personnel politique est hostile aux pratiques prolétaires de la valeur et tend à les étatiser pour mieux les enterrer. En Allemagne et en Belgique, c'est un tiers du financement de la sécurité sociale qui dépend déjà des impôts. Cette tendance légitime l'interventionnisme de l'État dans les salaires mutualisés des producteurs et constitue, de fait sinon de droit, un vol.

Par ailleurs, le mouvement d'étatisation de la sécurité sociale, de vol de salaire commun, de recul par rapport à une pratique prolétaire de la valeur se fait toujours au nom du combat contre la "pauvreté". Ces discours nient les producteurs comme classe et les réduisent à une condition, à une adversité. La classe-sujet de l'histoire, la classe qui invente une nouvelle pratique de l'économie est réduite à un objet sur lequel les "bonnes âmes" s'apitoient.
11. L'avènement de la sécurité sociale en Belgique montre une unité et une universalité de financement remarquables. L'avènement de la sécurité sociale en France montre un engagement remarquable des représentants de la classe ouvrière.
Mais, dans les deux cas ainsi que dans le cas de l'émergence d'une sécurité sociale en Allemagne ou en Angleterre, la détermination des prolétaires leur a donné un rapport de force permettant l'impossible (voir pour la Belgique ici et ici et, pour la France le film La Sociale).

Conclusion


La pratique prolétaire de la valeur est une pratique de l'économie qui se défait de l'employeur et du propriétaire. La valeur ajoutée est créée par le salaire attribué à la personne sur la base d'une caisse alimentée par des cotisations.

Cette pratique de la valeur permet de répondre aux défis de la crise écologique et de la crise anthropologique du travail actuels. Elle répond à des besoins et à des nécessités qui peuvent la rendre incontournable ... à condition que les producteurs s'assument comme sujet et non comme objet.

Quant à la faisabilité de la chose, les anciens (et les camarades qui se battent partout dans le monde - que l'on pense au courage et à la combativité des mouvements contre la loi travail en France ou pour les 15$ aux États-Unis) nous ont prouvé et nous prouvent tous les jours que rien n'est infaisable.

Dont acte.

La SECU

Face à l'impasse économique et politique de l'Europe, nous avons une piste intéressante garantie 100% sans emploi.

Il s'agit d'une idée déjà appliquée aux États-Unis d'Amérique (si, si) dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ceux qui connaissent le Magicien d'Oz ont en fait été confrontés à une série d'allusions littéraires à cette innovation monétaire fulgurante. Les autorités des différents états puis les autorités fédérale ont imprimé des billets à partir de rien, sans aucune contre-valeur (genre avoirs, pétrole, or, devises étrangères ou terrains) et les ont distribués sous forme de salaires pour équiper le pays.(1)


Si l'on néglige le court épisode de la Guerre de Sécession, forcément inflationniste, cette création monétaire salariale n'a générée rigoureusement aucune inflation. Cette monnaie s'appelait le Greenback, elle était entièrement maîtrisée par les autorités publiques et était créée sans impôt et sans crédit.


Nous pourrions faire la même chose au niveau européen. Nous pourrions inventer la Social Exchange Currency Unit ou, pour les familiers, la SECU. Le principe serait tout simplement pillé aux ancêtres de nos amis états-uniens avec, bien sûr, une touche bismarckienne qui rendrait cette intéressante pratique 100% anti-employiste.

La création monétaire salariale du Greenback se faisait par l'État qui demandait, à l'occasion de la distribution monétaire, une contrepartie. Mais il existe en Europe contemporaine une pratique salariale sans contre-partie: la sécurité sociale.

On pourrait imaginer une création monétaire à partir de rien (l'informatique nous épargnerait même les frais d'impression) sur une base salariale sans passer par l'emploi, c'est-à-dire une base salariale fondée sur la qualification individuelle. Les salaires universels que recevraient les salariés européens seraient dévolus à la satisfaction de leurs besoins et de leurs envies alors que le temps des salariés serait utilisé à leur guise pour produire comme ils l'entendent, pour participer aux collectifs de production selon leurs propres affinités.

Notamment, pour répondre aux nombreux besoins collectifs auxquels l'emploi empêche de répondre. Par exemple:

- l'éducation des enfants
- la formation des adultes
- la culture au sens large
- la rénovation des infrastructures
- la souveraineté alimentaire
- la transition énergétique
- l'aménagement de nos villes
- l'amélioration des offres de services publics dans les campagnes

etc.

L'idée vous paraît délirante? Non seulement elle a été appliquée aux États-Unis pendant une quarantaine d'années, inspirant un parti politique alors fort populaire mais, si l'on examine la création monétaire actuelle, le quantitative easing, pratiqué par la Banque Centrale Européenne pour sauver les banques, on voit que l'idée n'est même pas impossible.

On consacre 80 milliards d'euros par mois pour sauver les banques. Un salaire de 2000 euros par Européen représenterait une création monétaire de 800 milliards par mois. Or, la création monétaire pour sauver les banques ne crée manifestement pas d'inflation (sauf sur les avoirs financiers et immobilier, ce qui est loin d'être négligeable).

Mais cette mesure, pour intéressante qu'elle semble ne suffit pas. Nous avons produit l'ensemble des outils de production par notre travail. Il faudrait qu'on nous les rende pour que nous puissions avoir les moyens de nos ambitions.

(1) Voir l'excellent: E.H. Brown, The Web of Debt, Third Millenium Press, 2008,
pp. 11-23 pour les allusions littéraires du Magicien d'Oz
pp. 35-47 pour l'expérience du Greenback.

Wall-Mart et revenu de base

En regardant récemment un documentaire sur les pratiques de Walmart (voir ci-dessous, en anglais), il nous est apparu que, dans certaines conditions le revenu de base pouvait être une catastrophe sociale.


L'entreprise américaine externalise tous ses coûts: les coûts d'infrastructure auprès des collectivités locales, les coûts de pollutions industrielles et, surtout, les coûts de main d’œuvre. Les salaires sont assumés en partie par ce qui sert de sécurité sociale aux États-Unis de la plus simple des façons: les employés sont inscrits dans des programmes d'aides alimentaire ou médicale pour nécessiteux. Walmart paie ses employés tellement peu qu'ils doivent s'approvisionner en tickets alimentaires.

La sécurité sociale et les collectivités assument donc une partie importante du salaire (et des frais de production) des employés de Walmart par le truchement de l'impôt. Un revenu de base qui ne changerait en rien les relations d'emploi actuelle, un revenu de base qui contraindrait de toute façon les récipiendaires à travailler en emploi pour compléter leurs revenus comme c'est le cas pour les travailleurs de Walmart n'émanciperait en rien les travailleurs. Les récipiendaires de ce genre de revenu de base se retrouveraient dans la même situation que les employés de Walmart et les contribuables qui financeraient ce genre de revenu de base seraient essorés comme l'est la classe moyenne aux États-Unis.

Que l'on en juge: selon la vidéo sus-mentionnée, les travailleurs de Walmart

- subissent un management sexiste et raciste

- sont contraints de prester des heures supplémentaires gratuites

- sont sous-payés

- sont soumis à une pression managériale au rendement

Par ailleurs, l'entreprise se distingue par la maltraitance de la main d’œuvre du tiers monde et de Chine, par sa propension à polluer l'environnement, par la pratique du dumping social, etc.

Notons que, dans les quartiers où s'installe Walmart, tous les petits commerçants disparaissent et que les prix immobiliers s'effondrent du fait des chancres urbains que les magasins en faillite laissent derrière eux et du chômage que provoque ces faillites.


1.557.000.000$ aides sociales aux employés de Walmart
pour 1.200.000 de salariés, soit l'équivalent d'un revenu de base de 1300$ par an
En Géorgie, 10.261 enfants d'employés aidés par des programmes sociaux
En Arizona, 2.700 employés sous aide médicale d'État
Au Texas, 4.363 enfants d'employés sous aide alimentaire
 etc.
fait baisser les salaires du commerce de détail de 3.000.000.000$ par an aux États-Unis
soit, donc, pour un revenu de base individuel de 1300$ par an, une ponction salariale de 2.500$ par an
 Dans ces conditions:
- le revenu de base coûte plus de deux fois plus aux salariés qu'il ne leur rapporte en espèces

- ce revenu de base n'affranchit en rien le travail

- ce revenu de base appauvrit la classe moyenne (mise au chômage et lourdement imposée), il provoque du chômage et des conditions de travail misérable dans le tiers monde

- ce revenu de base a un bilan écologique désastreux

- les profits et la propriété lucratives demeurent tels quels, les liens de subordination de l'emploi sont aggravés par le chômage local qu'implique cette application entreprenariale du revenu de base.
En conclusion, si toutes les formules des revenus de base ne s'inscrivent pas dans la démarche de Walmart d'externalisation des coûts de production, un revenu de base qui s'inscrirait dans cette formule a toutes les chances de provoquer les mêmes dégâts.

Le premier mai

De notre point de vue, le premier mai est la fête des travailleurs, non la fête du travail, même si nous promouvons le travail débarrassé de l'emploi.

Cette fête concerne indifféremment les travailleurs sous le joug de l'emploi que ceux qui ont pu s'en défaire. C'est le salaire qui est le fondement de la création de valeur ajoutée, de valeur économique - que ce salaire soit celui d'un fonctionnaire, d'un employé ou d'un retraité n'a pas d'importance.

Les revendications historiques du premier mai ont toujours tourné autour de

- la réduction du temps d'emploi
- le maintien ou l'augmentation des salaires.

Nous adhérons pleinement à ces revendications (et même à la suppression de l'emploi). Nous rappelons qu'elles sont totalement étrangères au ralliement à des partis employistes plus ou moins bourgeois, que l'appel à voter PS de la FGTB en la circonstance est non seulement incongru mais obscène.

Historiquement, le premier mai commémore une manifestation nationale qui eut lieu à travers les États-Unis en 1886. Il s'agissait de lutter contre l'emploi en réduisant la journée d'emploi à huit heures (durée qui ferait rêver pas mal de cadre, d'ouvriers de la construction ou de caissières, de nettoyeuse à horaire coupé). À l'appel des anarchistes, la mobilisation eut un succès impressionnant, elle rassembla plus de 300.000 participants.
À Chicago, la grève se prolonge et sa répression se solde par des morts. Une bombe explose ensuite qui tue quelques policiers et, par représailles, les autorités vont condamner à mort cinq syndicalistes anarchistes sans la moindre preuve.

Daniel Mermet a emmené ses auditeurs à Chicago pour la circonstance (voir l'émission de radio Là-bas si j'y suis ici).

À l'occasion du centenaire de la Révolution française, depuis 1889, cet événement est commémoré dans le monde entier sous le nom de fête des travailleurs (et non, comme veulent le faire croire les employistes, de fête du travail).

À Fourmies, dans le Nord de la France, le premier mai 1891, les policiers tirent sur les manifestants et font neuf morts.

Le courage de nos glorieux ancêtres, l'intégrité de leur lutte et de leur décision sont des sources d'inspiration pour nous.