Au nom de l'emploi

Au nom de l'emploi, 

Ils ont d'abord saisi les terres qui nourrissaient mes ancêtres,
Ils ont envoyé les survivants travailler dans des usines dans des conditions atroces,


Ils ont conquis les terres les plus lointaines pour que mes frères, pour que mes soeurs subissent à leur tour le sort de mes ancêtres,
Ils ont exploité les enfants et les malades,
Ils ont volé le savoir-faire, le talent, la qualification de l'artisan, du paysan, du ménage,
Ils ont régi notre activité, nous ont planifié des loisirs quand nous avions du temps ensemble,
Ils ont contrôlé nos mouvements, nos activités, ils ont interdit la fatigue, le partage puis la gratuité,
Ils ont mis des guérites, des surveillants, des barbelés devant tous les biens communs,
Ils ont acheté et étouffé toute créativité, toute imagination,
Ils ont régulé toute faiblesse humaine,
Ils ont interdit mes frères et mes soeurs, ils ont rendu leur existence illégale, ils les ont stigmatisés, conspués, désignés à la vindicte publique,
Ils nous ont rendus étrangers à notre créativité, à nos talents, à notre capacité de partage et de devenir commun, ils nous rendus étrangers à nous-mêmes,
Ils nous ont déracinés, sur la terre entière, alors même que notre terre nous berçait, nous couvait, nous entourait, nous éduquait
Ils nous ont empoisonnés, nous, nos frères, nos soeurs et notre terre,
Ils nous ont violéEs, nous ont contraintEs à accepter les yeux aguicheurs, le droit de cuissage, les heures sup' gratuites, les frais à nos frais,
Ils nous ont rendus aussi tristes que le monde que construit leur emploi,
Ils nous ont rendus anxieux, malades, inquiets, préoccupés, angoissés quand nous étions fiers,



Ils ont faits de nous des solitaires mal assurés quand nous étions des peuples orgueilleux, fiers, généreux,
Ils ont généralisé la veulerie, l'esprit de lucre, de gain et la mesquinerie boutiquière quand nous étions panache, quand nous étions temps sacré, quand nous étions temps commun, quand nous étions nôtres,
Ils nous ont surveillés, fliqués, contrôlés, harcelés administrativement,
Ils ont considéré que nous étions suspects, fraudeurs, voleurs, menteurs quand nous obéissions à notre devoir sacré de survivre et de faire survivre les nôtres par tous les moyens,
Ils nous ont fait payer ce qui était des droits,
Ils ont envoyé une partie d'entre nous dans des camps de redressement, des asiles ou des camps de travail forcé,
Ils nous ont exilés, envoyés dans des terres inconnues où nos origines visibles nous condamnaient à la marginalité,
Ils ont sacrifié le sens de nos dieux, de nos spiritualités, de nos rites, de nos prières ou de nos moments partagés,

Et maintenant,

Ils bazardent nos droits sociaux, nos salaires, notre droit au repos, à la maladie,
Ils nous font travailler à la journée, sans sécurité, sans perspective d'avenir,

Et ils nous regardent, étonnés de notre servitude, de notre asservissement, chercher un emploi.



Patience, ils craignent la nuit alors qu'elle nous berce dans notre ultime liberté, inviolable, répare le jour qui fut et prépare celui qui vient.