L'emploi et le salaire (1)

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Nous avons imaginé ce que deviendrait toute une série de métiers si le salaire était un droit politique et si la propriété lucrative était abolie.

  • 1. Un agriculteur

En emploi et en dette

Dominique, agricultrice, est soumise à la concurrence. Elle doit donc produire le plus possible à moindre coût. Pour ce faire, elle s'endette et fait des économies d'échelle en agrandissant son exploitation et en s'équipant en matériel lourd.

Elle, sème des semences OGM (plus stables) dans des champs immenses. Elle produit une nourriture au mieux immangeable, au pire toxique. Elle, s'empoisonne et empoisonne ses clients. Son travail est répétitif, angoissant, toxique et ennuyeux.

Avec un salaire paysan garanti

Claude, agriculteur, peut se consacrer à une petite parcelle puisque son salaire est garanti. Il peut faire des essais de permaculture, il peut tenter des associations de culture, des techniques. Il a intérêt à ne pas s'empoisonner, il se tourne naturellement vers des techniques agricoles moins polluantes, moins onéreuses, moins toxiques.

Son métier est intéressant - trop: sa vie de famille en pâtit. Le soir il retrouve ses pénates préoccupé par les défis que pose sa micro-exploitation, crotté et le sourire jusqu'aux oreilles.

Il produit de la nourriture de qualité, avec ses nombreux collègues, il apprécie d'être reconnu par ses clients. Il jouit d'un grand prestige - on lui demande des conseils pour les jardins. Sa terre ne lui appartient pas mais il a l'usage exclusif de l'ensemble des terres qu'il utilise.

  • 2. Un(e) aide-soignant(e)

En emploi

Claude travaille dans une maison de repos. Il faut aller vite pour arriver à faire tout ce qui doit être fait. Quand un patient a besoin d'aide, de compagnie, il ne peut rien faire pour lui: il n'a pas le temps.

Les patients se plaignent de maltraitance institutionnelle mais leurs enfants qui les envoient là ne mégotent pas: c'est ça ou leur parent habite chez eux. Alors, ils ne discutent pas.

Claude est mal payé. Son boulot n'est pas reconnu et ce qu'il doit effectuer comme travail, c'est de la maltraitance.


Avec un salaire aide-soignant(e) garanti

Dominique travaille dans un habitat groupé. Elle supervise ses chères têtes grises. Elle passe le temps qu'il faut avec qui il faut. Elle donne des tuyaux, surveille l'utilisation de la cuisinière, veille sur les courses et, surtout, prodigue des soins - des massages, des papotes, des excursions en ville ou à la campagne et des soins infirmiers.

Elle se fait régulièrement happer par le rituel des tisanes mais elle doit se surveiller: les gâteaux menacent sa ligne.

  • 3. Un(e) journaliste

En emploi

Les places sont chères. Pour avoir le droit d'être embauché, il a fallu prester 18 mois de stages gratuits, accepter ensuite un contrat précaire et être payé depuis à temps partiel, moins que le SMIC pour un travail effectif de plus de quarante heures par semaine.

Les sujets doivent être réalisés rapidement. Ils sont bâclés, reprennent les dépêches. Les commentaires sont orientés de telle sorte qu'ils correspondent à l'orientation de la boîte, aux opinions de l'employeur, du propriétaire lucratif.

Dominique se rêvait en Woodward et elle se retrouve tâcheron. Employée d'un groupe du BTP/d'un marchand d'armes/d'un conglomérat financier, elle doit faire bonne impression, dire ce qu'attend l'employeur, se montrer docile. Il faut enterrer les sujets qui fâchent et exhiber ceux qui ne posent pas problème. Elle n'a pas fini de faire des unes sur Le Pen, de commenter des sondages bidons. Elle ne parlera pas d'une politique économique différente, couronnée de succès à l'autre bout du monde alors que la crise s'installe ici, elle n'invitera pour commenter que des "experts" ultra-réactionnaires employistes, elle coupera la parole aux syndicalistes de base et recevra dans ses émissions les artistes, les PDG, les énarques, etc.

Avec un salaire journaliste garanti

Claude se consacre aux sujets qui l'intéressent. Il prend le temps d'aller sur le terrain, d'aller trouver les intéressés. Il est libre de dire ce qu'il veut puisque le salaire est garanti (les médias sont à la recherche de reportages).

Il s'inquiète de trouver un public en début de carrière. Certains collègues doivent abandonner faute de public mais, généralement, quand on a la vocation, on trouve, à force de persévérance, le ton, l'engagement, le regard qui convainquent. C'est à ce moment-là une consécration permanente, un public qui se fidélise (et peut ruer dans les brancards ou interpeller). Une vie foisonnante, instable mais passionnante, un défi permanent.

Les reportages sur les malversations d'un marchand d'arme ou du patron du BTP à l'autre bout du monde ou les reportages qui égratignent les dirigeants politiques au pouvoir passent sans problème (les médias se les arrachent): le public apprécie un ton exigeant sans compromis. Les reportages spécialisés sur la nouvelle distribution de Linux, sur l'espionnage industriel, les confrontations de points de vue dans un conflit armé à l'étranger ou sur les techniques agricoles zen trouvent aussi leur public.