Extrait pour vous mettre en bouche:
Aujourd'hui, du cadre d'entreprise à l'employé administratif, de l'assistante sociale au salarié d'Orange, de l'infirmière à l'informaticien, tout le monde ou presque est sommé de concilier l'inconciliable. Au point que ces injonctions paradoxales pourraient bien finir par rendre tout le monde malade.
« Comment lutter contre ses pulsions schizoïdes et paranoïdes dans un contexte qui sollicite des comportements pervers ? », se demandent ainsi les sociologues Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique Tdans leur dernier essai, Le Capitalisme paradoxant. Fou, il y a de quoi le devenir. Les lieux de travail fourmillent d'équations inextricables à se taper la tête contre le bureau.
« Dans un centre d'appel d'une grande entreprise du secteur banque-assurance où nous avons enquêté, on demande au salarié de répondre très vite aux appels : le temps écoulé défile sur un bandeau. Et en même temps, il doit fournir un travail de qualité, répondre à fond à la question, donner satisfaction au client, alors qu'il n'a même pas accès aux dossiers », raconte par exemple la sociologue Dominique Méda. Fiabilité et rapidité, coût et sécurité, qualité de la relation client et productivité…
Le maniement du paradoxe
Révélé par des psychologues de l'école de Palo Alto, en Californie, le maniement du paradoxe, d'abord cantonné aux multinationales, a fini par s'immiscer partout, jusque dans les institutions publiques – à l'université ou à l'hôpital, dans la police ou la justice. « Cette situation, nous l'avions diagnostiquée à IBM dès les années 70 », précise Vincent de Gaulejac à propos de « l'autonomie contrôlée », notion aussi ancienne qu'usée à force d'avoir été pointée.
« On demande aux individus d'être des canards sauvages apprivoisés ! Ils doivent être créatifs tout en étant conformes à ce qu'on attend d'eux. » Ce mode de gestion né aux Etats-Unis s'est propagé en France dans les années 90, avant que le débat ne prenne récemment une tournure plus politique.
A l'heure des restrictions budgétaires, l'Etat lui-même impose à ses agents des orientations conçues par des « planneurs » mandatés pour produire des PowerPoint et raisonner en plans abstraits. Les nouveaux donneurs d'ordres, ce sont ces consultants extérieurs. Du coup, les conflits peinent à s'exprimer entre salariés et supérieurs hiérarchiques dans l'enceinte de l'entreprise.