Un chrétien de gauche

13 août 2013, 11:07

Il s'agit d'une interview parue dans l'Info, journal d'information de la CSC, le syndicat chrétien (de gauche) belge parue dans le numéro 46 de novembre 2010. Disponible sur la toile à
Info CSC - La solidarité

Benoît Constant, le représentant des jeunes CSC, développe son point de vue sur la solidarité dans le cadre d'une action de sensibilisation. Il présente la solidarité comme souhaitable, comme - si je puis m'exprimer comme cela - planche de salut. Cette planche de salut n'est pas là, elle doit advenir.

Ce paradis tourne autour de cinq axes:

- la solidarité internationale. Dans le monde souhaitable, le Nord est solidaire du Sud, c'est-à-dire que les consommateurs sont solidaires des producteurs du coltan de leur téléphone portable. La forme que doit prendre cette solidarité demeure mystérieuse. Par contre, cette présentation d'une solidarité idéale fait l'impasse sur une solidarité effective: les producteurs du Sud manifestent une solidarité (un peu contrainte, certes) extrême envers les consommateurs du Nord puisqu'ils leur fournissent le coltan de leurs téléphones alors que les consommateurs du Nord ne leur fournissent rien du tout.

- la solidarité entre les générations. Les consommateurs présents doivent éviter de piller les ressources des générations futures. De nouveau, on est dans le registre de la morale, du souhaitable, des voeux pieux. Par contre, de nouveau, on inverse la solidarité effective: ce sont les générations futures qui paieront, d'une manière ou d'une autre, le pillage actuel des ressources. Ce sont les générations futures qui seront solidaires (de manière un peu contrainte) des générations actuelles et non l'inverse.

- par contre, ce qu'ils nomment la solidarité chaude est fait des liens, des échanges 'non utilitaristes' dans des collectifs dans le présent. Ceci appelle deux commentaires: d'une part les autres types de solidarité sont forcément des solidarités froides par opposition et, d'autre part, les autres types de solidarité se distinguent de la solidarité chaude par leur utilitarisme et leur aspect non communautaire. De nouveau, peu de choses concrètes, incarnées se dégagent de la bonne volonté de bien faire.

- la solidarité intergénérationnelle (à ne pas confondre avec la solidarité entre les générations). Nous avons un renversement du renversement: ce sont les vieux qui sont solidaires des jeunes car ils racontent des contes aux enfants et qu'ils paient les voyages des militants. Mais ce renversement sonne comme la confirmation du premier renversement, du genre, 'il est évident que les jeunes sont solidaires avec les vieux mais, vous savez, ils le sont aussi avec les jeunes' et de citer de très petits actes. De nouveau, la formulation de cette solidarité fait l'impasse sur la solidarité effective des vieux avec les jeunes. Elle assimile les personnes âgés aux autres profiteurs (consommateurs, actionnaires, etc.) qui doivent se donner bonne conscience. Dans le passé, ce sont les vieux actuels qui ont construit tout notre appareil productif, ils ont bâti nos maisons, ils ont fait nos routes et nos trains et, surtout, dans le présent, ils sont extrêmement productifs en tant que travailleurs hors emploi. Cette façon de présenter les choses (vous savez les vieux sont utiles quand même) fait l'impasse sur l'utilité effective (et cruciale d'un point de vue économique) des personnes âgées.

- la solidarité entre les revenus mêle la fiscalité et la sécurité sociale. Les amateurs de Friot savent que ces deux choses n'ont rien à voir: la fiscalité redistribue une valeur ajoutée et entérine son fonctionnement alors que les cotisations sociales constituent un salaire formidable (et très productif) puisque déconnecté de l'emploi, les cotisations sont une distribution primaire de la valeur ajoutée, un enjeu de lutte de classe. Cette formulation fait également l'impasse sur la solidarité contrainte principale: les revenus des producteurs sont ponctionnés par les propriétaires; les producteurs sont solidaires (malgré eux) des actionnaires. Par contre, via l'impôt, les jeunes appellent de nouveau à la solidarité des propriétaires envers les producteurs par un retournement dont nous sommes maintenant coutumiers.

On peut résumer la Weltanschauung des jeunes CSC, leur représentation des choses, par un retournement de la solidarité: sont solidaires ceux qui sont en fait bénéficiaires d'un système. Ce système contraint en fait - par la violence éventuellement - ceux dont il faut être solidaires à donner énormément à ceux qui sont censés être solidaires. On voit apparaître des actionnaires solidaires de leurs ouvriers à qui ils prennent 15% de marge brute, des consommateurs de coltan solidaires (mais comment?) des mineurs en train de crever doucement mais sûrement pour leur fabriquer leur machin, on y voit des vieux (mais là, c'est le plus vicieux) mis dans ce rôle de profiteurs généreux alors que les usines, ils les ont construites, les gosses, ils les gardent, les adultes, ils les ont élevés, etc.

Ce retournement permet de rendre la position de profiteur (actionnaire, Occidental, pilleur écologique ou, de manière particulièrement pernicieuse, vieux) habitable, justifiable. Le téléphone portable pille l'Afrique mais il devient honorable parce que solidaire, les actionnaires deviennent honorables parce que solidaires, les personnes âgées deviennent honorables parce qu'elles donnent la pièce à Noël.

Ce qui permet de continuer à fonctionner de la même façon. L'appel à l'avènement d'un idéal cache le souhait de continuer en l'état, ce qui rend ce discours inaudible. Comment mobiliser au changement pour le même?

Pourtant il y a largement de quoi changer le monde dans les paroles du Christ (ou de Mohammed ou de quelque religion que ce soit).
Pour rappel:
- le temps appartient à Dieu, il ne peut créer d'argent
- lenteur et méditation sont les voies de Dieu, le non faire est toujours valorisé
- le royaume de Dieu est inaccessible pour les riches
etc.

Mais, derrière la solidarité, il n'est nullement question de cela, de ces considérations de justice ou d'humanisme. La solidarité ne serait-elle qu'un totem pour évacuer ces lancinants enjeux et demeurer dans le même?