Goblet prélève les cotisations

Article disponible en PDF ici

Un internaute a bien voulu transcrire les propos du secrétaire général de la FGTB (voir Anne Demelenne ici). Il s'agit d'une interview du journal Le Soir (ici, en français). Nous n'avons pas accès à l'édition abonnés donc, si l'internaute avait commis quelque imprécision dans sa citation, merci de nous le signaler. Le texte cité est décalé et en caractères distincts, nos commentaires sont dans la même police que le paragraphe que vous lisez.

A l’origine, le chômage est une assurance, qui comble un accident de la vie. Aujourd’hui, on se dirige vraiment vers un système d’assistance. Et c’est contraire à la philosophie de la Sécurité sociale. A l’origine, on a prélevé une partie du salaire (les charges sociales) pour les reverser en cas de coup du r de la vie, c’est un salaire différé. En faisant de l’assistance, on casse cette philosophie et on s’en prend à la cohésion sociale.

À l'origine, la sécurité sociale a été un compromis entre les travailleurs en emploi qui ne voulaient plus du capitalisme et des patrons qui ne voulaient pas de révolution. Les travailleurs à la Libération étaient armés contrairement aux autorités civile. La sécurité sociale n'est donc nullement "à l'origine" une assurance mais c'est une conquête des travailleurs avec un rapport de force à leur avantage. Le système d'assurance est le modèle qui prévalait avant la seconde guerre mondiale; c'est ce modèle que la sécurité sociale a rendu heureusement obsolète. Les allocations de chômage ne devaient pas être une "assurance contre les accidents de la vie" mais bien un élément décisif dans le rapport de force entre les travailleurs et les patrons.

Le fait qu'un représentant d'un syndicat pourtant largement impliqué dans les luttes et les conquêtes de la Libération fasse l'impasse sur ces faits historiques atteste son malaise par rapport à la lutte de classe, à la conflictualité ou au rapport de force. Le secrétaire général craint le rapport de force ou - pour le dire plus clairement - la victoire sociale et politique sous quelque forme que ce soit. Il aurait besoin de régner sur une armée de vaincus qu'il ne dirait pas autre chose.

A l’origine, on a prélevé une partie du salaire (les charges sociales [sic!]) pour les reverser en cas de coup dur de la vie, c’est un salaire différé. En faisant de l’assistance, on casse cette philosophie et on s’en prend à la cohésion sociale.

Cette fable reproduit les chansons patronales mot pour mot. Après avoir conjuré la conflictualité, le secrétaire général reprend la version de l'histoire patronale à son compte. Les cotisations de la sécurité sociale n'ont jamais été prélevées sur les salaires, elles ont été ajoutées aux salaires. Le fait de reprendre la version patronale fait croire que les salariés sociaux, les chômeurs, les retraités, les invalides, coûtent aux autres travailleurs, ce qui est une aberration comme nous l'avons prouvé ici. Il nomme d'ailleurs la partie de la valeur ajoutée que créent les salariés sociaux, des "charges" comme le font les patrons. En réalité, ces cotisations se sont ajoutées aux salaires au terme de luttes sociales. En faisant passer une partie des producteurs, les salariés sociaux, pour des coûts pour les autres producteurs, ceux qui sont en emploi, le syndicaliste divise sa base sociale. En divisant sa base sociale, il la rend impuissante mais peut lui vendre facilement une colère sans objet, une frustration, une rancœur aux origines obscures.

D'autre part, en qualifiant les salaires socialisés de salaires différés, le secrétaire général légitime le recours à la personnalisation assurantielle patronale. Il justifie ce qu'il prétend dénoncer - ce qui lui permet, effectivement, de continuer à dénoncer toute sa vie sans que rien ne change.

Le paradoxe, c'est que Goblet accuse le patronat de faire ce que lui fait. Il casse la "cohésion sociale" en prétendant que les salariés sociaux sont des coûts. Il y a mieux. La définition de la valeur économique est l'enjeu d'une lutte de classe. En reprenant telle quelle la définition des patrons, le secrétaire général fait l'impasse sur les enjeux politiques de cette définition. Pour lui comme pour les patrons, ce qui crée de la valeur, c'est l'emploi, c'est le travail soumis à des propriétaires lucratifs qui veulent générer du profit. Pour eux, le reste est certainement utile, mais n'est assurément pas du travail. On voit bien la violence de ce genre de vision du monde qui soumet la reconnaissance de l'utilité sociale a bon vouloir tout puissant des actionnaires.

Une fois de plus, le secrétaire insiste sur la nécessité de la "cohésion sociale", c'est-à-dire de l'absence de conflictualité.

On parle d’une baisse de la norme de norme de croissance des soins de santé, qui module les hausses budgétaires de la Sécurité sociale. Certains font passer ces réformes pour anodines, mais on touche aux fondements ! Il suffit de se rendre sur le terrain. Et que voit-on ? Que de plus en plus de gens vont à l’hôpital pour un diagnostic, puis reportent les soins parce que cela leur coûte trop cher. C’est ça la réalité. Et c’est inquiétant : ce n’est pas digne d’un pays qui se déclare à la pointe dans ce domaine-là.
Je tenterai d'être court pour gloser ce dernier extrait. Essentiellement, implicitement, le droit moral qui évoqué pour dénoncer les mesures du gouvernement (que nous dénonçons avec lui, bien sûr) est fondé sur des considérations qui réduisent les travailleurs à des êtres de besoin. Inutile de dire que cette façon très "dame patronnesse" de se représenter la société nie toute conflictualité, de nouveau et, surtout, tue dans l’œuf toute aspiration à la dignité, à la justice et à la liberté. C'est que, ces notions transposées dans le monde de l'emploi interrogent le pouvoir des propriétaires lucratifs, cela interroge le fait qu'il faille s'ennuyer toute une vie active durant pour obéir à des patrons qui veulent gagner de l'argent. Les êtres de besoin ne se posent pas la question de la légitimité de l'emploi, du cadre de travail, du mode de salaire, de qui décide qui fait quoi, quand et pour quoi. Il est vrai qu'une carrière entière vouée à sacrifier l'ouvrage, l'art, la créativité, l'humour, l'amour au seul impératif de soumission aux puissances de l'argent pousse les employés à se précipiter vers les syndicats.