Retour à la chose

Nous ne résistons au plaisir de vous traduire, de vous partager cette réflexion d'Antonio Caro (dans Diagonal, ici, en espagnol).

Traduction (presque) fidèle
On a besoin de choses mais on consomme des signes. Dans la plupart de nos comportements de consommation, nous cherchons un produit qui satisfasse une nécessité spécifique mais, le plus souvent, la satisfaction de cette nécessité passe par le truchement du supersigne qui, comme l'appelait Baudrillard, constitue la marque.
Sauras-tu retrouver la marque?
La marque, en principe, nous oriente dans la forêt des objets. Quand on trébuche dans notre course à travers le supermaché ou l'hyper sur une marque connue, dont on a une image positive, on respire tranquillement. Notre tâche se réduit à sélectionner ce produit signé par une marque de confiance qui nous procure la tranquillité de réaliser un bon choix.

Mais quand on se comporte de cette façon, nous ignorons l'essentiel. [À savoir] que la marque est avant tout et comme les professionnels le savent très bien, une construction publicitaire. Que rien ne garantit que la qualité d'un produit signé par une firme de prestige soit de meilleure qualité que ses concurrents. Que, comme l'a révélé l'essor des marques blanches, la différence entre un produit qui affiche une première marque et un autre de marque bon marché se réduit bien souvent au prix.

En réalité, sous le clinquant des marques les plus prestigieuses se cachent toutes les misères du capitalisme présent. Par exemple, l'obsolescence programmée qui nous contraint à changer de produit quand il est encore en condition d'être utilisé. Par exemple, les activités de marketing sont soigneusement programmées pour que le même  produit soit adressé à deux segments distincts du marché en fonction du nombre, de l'emballage, du prix et du processus de transmutation en produit de marque. Par exemple, des mécanismes manient dans l'ombre les prédispositions qui orientent la consommation et décrètent qu'un produit est devenu vieillot, indépendamment de son état matériel, parce qu'il n'est plus à la mode.

Mais il y a beaucoup plus que cela. La marque constitue le terme ultime, la plateforme de signes qui nous isole du produit. Quand on contemple un produit à travers le prisme publicitaire, nous ne sommes généralement pas conscients à quel point ces images fascinantes, ces constructions imaginaires qui essaient de se connecter avec ce qu'il y a de plus profond en nous, ne sont, en définitive, que des courts-circuits qui nous bloquent l'accès à la matière du produit qui est, nous le verrons, inévitablement conditionnée par ce prisme publicitaire.

C'est précisément la raison pour laquelle la publicité fait appel de plus en plus à nos émotions. Il n'existe aucun type de rationalité dans le fond ni dans la forme de la logique publicitaire. Les émotions que mobilise la publicité constituent en pratique le procédé pour nous isoler face à la réalité du produit, laquelle paraît tissée à partir de ce moment-là par ce filtre d'émotivité que la publicité construit en écho à la marque.

Émotivité et plus-value

La conséquence est évidente. Dans la mesure où la marque édifie cette plateforme de signes qui nous isole du produit, elle constitue le principal instrument par le biais duquel, dans nos sociétés de consommation dans lesquelles nous vivons et que bien que peu d'analystes sociaux semblent avoir pris en compte jusqu'ici, le capitalisme génère de la plus-value. Le procédé est très simple: j'entoure le produit d'une panoplie de signes qui empêchent le consommateur d'avoir accès à sa réalité spécifique [du produit]. En faisant cela, je dispose d'une autonomie qui met le produit au service de la valorisation du capital et nos de la satisfaction de la nécessité à laquelle il semble en apparence destiné. Le résultat? Quand on consomme des signes-marques, quand on se laisse porter par cet effluve d'émotivité que la publicité construit autour des marques prestigieuses, on travaille pour le capial et contre nos intérêts spécifiques.
Sauras-tu retrouver l'ouvrière?
C'est pour cela que le retour au produit est si essentiel. C'est pour cela qu'il devient urgent d'échapper à cette atmosphère fascinante dont nous enveloppe la publicité et qui, loin d'être une nuisance contre laquelle nous nous battons chaque jour, représente le mécanisme par lequel les maîtres du capital nous sucent de la plus-value dans chaque acte de consommation, en apparence banal, que nous effectuons tous les jours.

Naomi Klein a posé le diagnostique il y a des années: "À mesure que les secrets qui reposent derrière le réseau mondial des marques seront connus par une quantité toujours plus grande de personnes, leur exaspération provoquera le grand choc politique du futur qui prendra la forme d'une grande vague de rejet frontal des entreprises transnationales et particulièrement celles dont les marques sont les plus connues."

Nous vivons aujourd'hui les premiers symptômes de ce choc. Et ainsi, chaque fois que quelqu'un examine attentivement l'étiquette d'un produit du supermarché, essayant de dévoiler la réalité du produit sous l'apparence de la marque; chaque fois qu'un participant du mouvement maker élabore un produit en valorisant ses propres aptitudes ou lieu de l'acquérir dans la grande valse des stocks, ils participent probablement sans le savoir à ce grand choc politique dont parle Klein. [Ce choc] passe, de manière inévitable, par la récupération du produit et, avec lui, du royaume de nos nécessités, face au voile imaginaire dans lequel la publicité l'emballe sous forme de marque.