Le salaire est un coût - exégèse de 6-9 Connexions (RTBF) du 5 août 2014

Cet article est disponible en PDF ici

Nous vous partageons une exégèse, un commentaire sacré, de l'émission de radio de Robin Cornet (RC), 6-9 Connexions" du 5 août dernier (accessible ici en français mais pas pour longtemps).

Il recevait un économiste (un chrématisticien, en l'occurrence) Guiseppe Pagano (GP)).

Les extraits de l'émission sont retranscrits en retrait et nos commentaires en pleine page.

Le dispositif: un invité unique et le présentateur qui l'interroge comme personne ressource. Ce qu'affirme ce dispositif, c'est le côté soi-disant neutre de l'intervenant au nom de son expertise. Il ne s'agit pas d'une religion, d'un point de vue métaphysique mais d'une objectivité scientifique indiscutable. Notre point de vue anti-employiste rend pourtant la crypto-religion-pseudo-science de l'intervenant très discutable et, dans le concert des réactions des auditeurs, nous constatons avec plaisir que nombre d'entre eux partagent à leur niveau notre hérésie schismatique.

« les charges sur le travail sont-elles trop importantes en Belgique » (RC)

Ce n'est pas présenté comme une question mais comme une évidence indiscutée : il y a des choses qui « pèsent » sur le travail. Pourtant, même les investisseurs ne se préoccupent que de retour sur investissement et non de "coût du travail": ils embauchent plus volontiers en Finlande qu'en Érythrée.

D'autre part, dans cette affirmation sous forme de question, l'emploi est confondu avec le travail concret. Le coût du travail est le coût de l'emploi. Le coût de l'emploi est le salaire et, comme nous allons le voir, le salaire n'est en fait pas assimilable à un coût.

Le présentateur parle des fonctionnaires et des prestataires sociaux comme des charges, des coûts, ils sous-entend qu'ils ne produisent rien (ce qui est une hérésie économique, comme nous l'avons prouvé dans l'article ici)

« comment compenser le manque à gagner de l'allègement des charges ? » (RC)

Les dispositifs de cotisation créent la valeur économique alors qu'ici, leur suppression est présentée comme un manque à gagner.

« économiser 17 milliards d'€ [en « allégeant les charges »] » (RC)

C'est de la propagande. Toute diminution de « charge » disparaît du PIB mécaniquement, la diminution des prestations sociales est un manque à gagner pour les entreprises puisqu'elle dégonfle mécaniquement leur cahier de commande.

« tax liberation day » (RC)

Les taxes (confondues avec les prestations sociales pour le coup) ne sont pas libératoires, elles (?) : les routes, les hôpitaux, les médecins, les infirmières, les enseignants, les pompiers les policiers (et les hommes politiques, il faut le dire) ne sont pas des services, des prestations. Les prestataires sociaux ne servent pas l'économie, ce ne sont pas des clients qui permettent aux entreprises d'écouler leur production, non, ce sont des entraves.

Qui est entravé, qui doit être libéré ? Un esclave, une victime. Donc, le patron, l'employeur est victime, est rendu esclave du fonctionnaire et du chômeur – pas l'inverse. C'est le riche qui est victime du pauvre, le propriétaire lucratif est victime de ceux qu'il condamne à l'inactivité ou à l'activité aliénée par sa course permanente au profit.

La pensée victimaire qui caractérise les employeurs, le fait de se présenter comme victimes des agissements d'autres « méchants » justifie les actes les plus répréhensibles. Pour mémoire, Hitler se présentait comme « victime » de complots juifs ; les Américains étaient « victimes » des armes de destruction massive irakiennes ; Orban est « victime » des Roms ; Sarkozy est « victime » des rmistes, etc.

« indice contesté » (RC)
L'honneur est sauf, le présentateur l'aura tout de même dit: l'indice du Tax Liberation day est profondément idéologique, il est construit par des think tanks états-uniens libéraux. Ouf.

« la Belgique n'arrive pas en haut de la pression fiscale » (RC)

Étonnant : l'Érythrée ou Haïti sont « libérés » fiscalement (très tôt – en janvier) alors que le Danemark ou la Finlande sont libérés très tard. Quels sont les pays développés, quel est le modèle économique que l'on veut incarner, et, surtout, quel est le sens de cet indices sachant que toute baisse d'impôt ou de cotisation disparaît du salaire et du PIB et ne profite guère au travailleur.

Mais le présentateur néglige de partager ces quelques considérations et développe ce qu'il reconnaît lui-même être de la propagande patronale. Utiliser l'outrance patronale pour faire passer un point du vue inacceptable (mais moins outrancier) : le salaire est un coût.

Exemple : votre maison brûle ... non, je vais juste vous prendre 1000€.

« comment compenser le coût » (RC)

De nouveau, l'affirmation est une opération idéologique. Elle sous-entend que le coût du travail doit être compensé, que c'est un handicap, pas une richesse. Mais le coût du travail, c'est le salaire. Donc, le salaire est un handicap, une faiblesse à compenser

- « réduire les dépenses publiques »

- « réduire les remboursements des soins de santé » (GP)

alors ça va coûter aux citoyens » (GP)

Oui : il s'agit de déflation salariale, de guerre au salaire, une politique couronnée de succès dans les années trente. Une politique qui s'inscrit pleinement dans le consensus de Washington, dans l'ensemble des mesures anti-salaire mises en œuvre dans les pays surendettés avec un insuccès jamais démenti.

Les auditeurs interviennent alors dans l'émission radio : alors qu'une série d'entre eux évoque des problèmes très intéressants (y compris un indépendant qui, tout en se plaignant du coût du travail parle tout de même des aléas du carnet de commande – c'est-à-dire des indispensables salaires) le présentateur recadre sur la seule question du « coût » du travail : pour lui, le problème, c'est que le travail coûte.

Rappelons que, du point de vue de l'investisseur, seul compte le retour sur investissement, le « coût » du travail n'a aucune importance. Pour avoir un bon retour sur investissement, il faut un carnet de commande bien rempli avec des clients pleins aux as. Pour avoir des clients pleins aux as, le salaire (qu'il soit salaire poche, salaire de fonctionnaire ou salaire de prestation sociale) est déterminant. Pour l'investisseur – en dépit de l'antipathie anti-employiste qu'il nous inspire – le salaire n'est pas un coût mais la promesse de chiffre d'affaire plantureux.

Guiseppe Pagano « oublie » que les aides aux employeurs représentent déjà 11 milliards par an (voir notre article ici), que l'auditeur ne fait pas allusion aux nouvelles aides éventuelles mais à la suppression de celles existant. Mais nos aimables compères continuent leur délire victimaire.

Pour l'emploi, pour Pagano : deux leviers, la formation et le « coût ». Ces deux leviers à eux seuls, par la servilité et l'appauvrissement qu'ils impliquent, suffisent à discréditer la logique de l'emploi.

La valeur économique est créée par les salaires (pas par l'emploi, par les salaires : les fonctionnaires et les retraités touchent des salaires). La formation est une course à l'échalote. Il y a un décalage entre les offres d'emploi et les demandes d'emploi. Ce décalage n'est pas affecté par la formation. Par contre, le fait de former des employés à la place des employeurs permet de décharger l'employeur de ses responsabilités et de fiscaliser le salaire.

« est-ce que ça crée de l'emploi ? » (RC)

Quel est l'intérêt de créer de l'emploi? Le présentateur prône, au nom de l'emploi la fiscalisation de la sécu, c'est-à-dire la guerre aux salaires réels.

Comme tous pays diminuent leurs « coûts » du travail (fiscalisation de la sécu, aides aux employeurs, diminution des prestations), l'effet concurrentiel est nul au final sauf que ... les carnets de commande se sont vidés.

« la Belgique est un petit pays, les frais fixes sont répartis sur moins de citoyens ». « le coût d'une administration c'est le personnel » (GP)

Il reprend l'antienne ultra-patronale : le salaire est un coût. Accessoirement, il faudrait prévenir les micro-États genre Monaco, Luxembourg, qu'ils sont au bord de la faillite si l'on suit cette intéressante logique.

Un auditeur intervient alors et débite les mesures les plus libérales possibles. Il pousse la logique patronale dans ses derniers retranchements en partant du principe qu'on ne peut augmenter nos impôts. Il propose assez logiquement:
- une augmentation de la TVA, 
- un « alignement » des pensions du public sur le privé (mais pourquoi pas l'inverse, pourquoi condamner à la misère tous les retraités?)
- le plus délirant, la suppression des subventions à la SNCB :
c'est vrai que la route coûte infiniment moins cher au contribuable! - ce qui n'a pas échappé à Pagano d'ailleurs)
En conclusion, que des travailleurs de la fonction publique, de la télévision publique soient payés pour diffuser la propagande patronale, l'idée que le salaire est un coût, c'est normal: tout point de vue a voix au chapitre dans une démocratie. Mais il y a deux conditions: 

- que des voix différentes soient invitées à s'exprimer de la même manière, sans contradicteur pendant une demie heure
 - que l'émission religieuse anti-salariale soit consacrée comme émission religieuse et indiquée en tant que telle.

À ce moment-là, le travailleur du service public n'en aura que plus de mérite de défendre un point de vue opposé à ses intérêts de salarié.


Suite à notre exégèse sur l'émission de la RTBF de robin cornet, le journaliste nous a répondu. C'est avec grand plaisir que nous publions un résumé de sa réaction - avec son accord. Nous le remercions chaleureusement - notre anti-employisme est en effet trop souvent snobé par les gens importants que nous n'épargnons pas, il est vrai.
""""""""""
Robin Cornet tient d'emblée à préciser que les invités sont engagés dans différentes organisations, qu'ils assument un point de vue nullement neutre ou scientifique.

C’est pour cela que la première chose qui leur est demandée, dans l’introduction, c’est de se positionner par rapport à la question de départ, dans un souci de transparence vis- à-vis des auditeurs. Nous essayons d'avoir un équilibre global des invités (gauche/droite ou selon d'autres clivages) sur l'ensemble des rendez-vous de la chaîne et au fil du temps sur Connexions.

Pour le journaliste, les questions ne sont pas une manière de cadrer le débat. Elles sont 

parfois volontairement provocatrices, à la fois pour faire réagir les citoyens, mais également parce que le rôle d’avocat du diable fait partie de l’exercice de l’interview.
Les thèmes choisis et la façon de les cadrer ne correspondent pas à un choix éditorial collégial mais à une volonté d'apporter de la diversité sur la Première (RTBF Radio).
Le présentateur précise qu'il ne pense pas que les fonctionnaires et les chômeurs ne produisent rien. Dont acte. Il préfère d'ailleurs le mot ‘cotisation’ au mot ‘charge’ qu'il a utilisé pour désigner les salaires socialisés. 
Les 17 milliards d'€ dont il est question ne sont pas des réductions de cotisations sociales mais des diminutions du budget de l'État. Ces 17 milliards peuvent provenir d'impôts nouveaux ou de réductions de dépenses. 
Robin Cornet distingue bien les cotisations sociales et les impôts même si nous n'avons pas perçu ce distinguo dans l'émission. Nous reconnaissons que l’émission n'a pas été le relais de la pensée patronale victimaire (les patrons sont victimes du coût des employés). Dans notre exégèse, cette considération n'engage que nous. 

Le journaliste admet que le thème de l'émission était le coût du travail mais en ayant précisé que les thèmes sont choisis dans un souci de variété et avec un esprit de provocation. Il reconnaît avec nous que Monsieur Pagano a souligné le côté absurde de la proposition de ne plus subventionner le train (la route revient plus cher) et il termine en insistant sur l'ouverture de l'émission: 
  L’émission dure de 15 à 20 minutes intro comprise. Elle est ouverte à tous. A vous aussi. 
Ont la parole tous ceux qui veulent la prendre, de la gauche radicale aux libertariens, toutes les opinions sont bienvenues (à part évidemment les messages haineux, racistes etc. Et les attaques contre la RTBF. même si je les trouve parfois justifiées... mais voilà, nous sommes quand même sur ses ondes). Vu le format, et pour pouvoir entendre plusieurs points de vue, les interventions des auditeurs sont limitées (30 à 50 sec. généralement, légèrement plus en direct).
Nous ne manquerons pas de répondre à son invitation à faire valoir des points de vue, notamment anti-employistes.
Enfin, pour revenir brièvement, sans entrer dans le détail de l’analyse, sur le fond du problème, il nous semble que poser la question de savoir quelles sont les mesures pertinentes pour réduire le coût du travail, c’est poser implicitement que le travail est un coût alors qu'il constitue, de notre point de vue, non seulement un investissement mais surtout une production.