Histoire des luttes de chômeurs - 1. Glaverbel

Histoire des luttes de chômeurs

 Cet article est le premier d'une série qui doit nous amener aux luttes de chômeurs actuelles en Belgique. Il est rédigé en coopération avec le collectif Riposte.CTE, collectif de réflexion et d'action autour du chômage.

 Glaverbel 1975-1981

Le premier article nous emmène à la fin du plein emploi, juste après la crise pétrolière, au moment où le taux de profit atteignait un plancher historique et que les investisseurs commençaient à se sentir des envies de laisser leurs capitaux se balader sur la terre entière.

Dans ce contexte, une entreprise ferme alors qu'elle est bénéficiaire. C'est un des premiers licenciements boursiers connus de l'ère contemporaine. Mais les résistances ont créé des brèches intéressantes, comme cette histoire de conserver un statut de travailleur, un contrat de travail et un salaire alors que l'usine est fermée. Récit.

 I. Contexte: la fermeture de l'usine (1975)


 Présentation du film de Manu Simon, Gilly pour tous (tous avec Gilly).

Les ouvriers refusent l'extinction du four de l'usine de Glaverbel (Charleroi). Ça se passe en 1975. Un comité de grève se constitue, la lutte est lancée. C'est une lutte contre les licenciements, contre le démantèlement de l'usine, contre la fuite des capitaux et les manoeuvres des multinationales qui licencient pour faire plus de profits. L'usine de Glaverbel est occupée et placée sous contrôle ouvrier. Une lutte exemplaire.

La CSC annonce une confiscation de fait des entreprises qui ferment ou qui licencient. La FGTB exige la nationalisation. "Les ouvriers se lèvent comme un seul homme et disent: Capitalistes, nous en avons assez, laissez la place à nous, s'écrie André Henry, figure emblématique de la grève. Après sept semaines, les grévistes font plier la multinationale et obtiennent gain de cause. Aucun licenciement, maintien du salaire. Cette victoire reste encore aujourd'hui un modèle d'un combat ouvrier.
Pendant l'année d'occupation d'usine, les ouvriers ont continué à produire le verre - un arrêt du four lui eût été fatal - et se sont chargés eux-mêmes de commercialiser ce qu'ils produisaient. Ils ont alors démontré (si besoin était) que les travailleurs pouvaient se passer de patron et d'employeur.
  • L'accord Glaverbel

Les ouvriers n'ont pas obtenu la nationalisation mais ils ont obtenu le maintien du salaire, la prépension à 95% du salaire à 58 ans et le retrait de la plainte de l'usine pour vol. Un fonds social est constitué. Il est alimenté à un tiers par Glaverbel et à deux tiers par l'État: il indemnise les anciens travailleurs, appelés les excédentaires, sans emploi à 100% de leur salaire.

Les patrons avaient porté plainte pour vol parce que les ouvriers avaient continué à vendre le verre pendant la grève et l'avait vendu pour leur compte (cf: Lip).

  • La contre-offensive du gouvernement et des hauts responsables syndicaux

Après cette victoire, ça a été la grande contre-offensive de la bourgeoisie, des politiciens et de certains hauts dirigeants syndicaux.

La première attaque a été contre un délégué d'une autre section de Glaverbel Charleroi, délégué qui avait soutenu la grève. Il est licencié sans préavis. S'en suit une grève générale des verriers de Charleroi. Après deux semaines de grève, ce délégué sera réintégré mais son mandat syndical sera retiré (par les dirigeants nationaux syndicaux) pour sept ans.

Pour Jean De Nooze, dirigeant syndical national pour le verre,
les ouvriers de Gilly sont des activistes qui se prétendent militants ouvriers, qui ont transformé la région carolorégienne en chaudron à sorcières qui bout et déborde à tout moment et qui mènent une politique qui sert machiavéliquement les intérêts de Glaverbel et de tout le gouvernement.
En avril 1977, le PS rentre au gouvernement et attaque le fonds social de Gilly qui paie 100% du salaire.
Les ouvriers de Gilly sont des privilégiés et des profiteurs [déjà!].
 Les socialistes qui n'étaient pas dans le gouvernement précédent ne s'estiment pas liés par cet accord. Les travailleurs ripostent: des manifestations, des arrêts de travail, des assemblées, etc. Le fonds social sera prolongé d'un an.

Peu après, ce sont les dirigeants syndicaux nationaux, en front commun qui proposent d'amender les critères qui ouvrent les droits aux indemnités du fonds social:

- diminution du nombre de personnes concernées
- limitation dans le temps
- organisation d'un référendum à bulletins secrets pour l'ensemble des verriers (et non les seuls excédentaires)

  • Les ouvriers font grève pour défendre leur accord

La plupart des sièges verriers boycottent le référendum. Il n'y aura que 41% de oui (de ceux qui ne sont pas concernés). Mais les dirigeants syndicaux en front commun ne tiennent pas compte des résultats et proposent de réaliser les amendements prévus.

Les ouvriers ripostent en faisant grève dans plusieurs sièges. La grève ne sera [évidemment] pas reconnue. Les ouvriers mettront sur pied un large front de soutien politique (PCB - LRT - POUR - RW et quelques militants socialistes) et porteront plainte en justice contre Glaverbel pour non respect des accords. La plainte n'aboutira qu'à un non lieu.

Après 15 jours de grève non reconnue, Glaverbel accepte de négocier. L'accord du fonds social sera prolongé jusqu'en 1980: les ouvriers hors emploi conservent leur ancien salaire.

Les ouvriers protestent auprès du syndicat pour exiger le paiement des indemnités de grève et obtiennent gain de cause [à bon entendeur!].

II. L'entreprise publique d'isolation-rénovation

  • Un projet soudé

Le gouvernement, les dirigeants syndicaux nationaux et Glaverbel s'engagent à transformer Glaverbel en une entreprise publique d'isolation-rénovation pour 270 travailleurs. Ce projet implique une formation (les verriers ne sont pas des maçons) - avec toujours maintien du salaire à 100%.

En juillet 1979, les ouvriers reviennent de vacances et trouvent les portes de leur usine ... soudées avec toutes les machines emportées.

  • Un projet voté

En réaction, les ouvriers créent leur propre projet d'entreprise publique d'isolation-rénovation sous contrôle ouvrier avec l'appui d'universitaires (de Namur). Le projet est soutenu par l'OPI, l'Office de Promotion Industrielle, par le conseil communal de Charleroi. Un projet de loi est déposé au parlement après des visites chez des politiciens, l'occupation de l'ONEm, etc [à bon entendeur!].

Au début 1980, la SETIR formation commence mais les ouvriers exigent que ce soient eux qui choisissent les formateurs, qui établissent leur règlement de travail, de formation, et ils exigent des formations sur chantier et pas seulement en atelier.

L'ONEm refuse et se fait occuper puis le Ministère du Travail est à son tour occupé.

  • Le chant du cygne: SETIR
La société d'isolation SETIR est créée mais les sociaux-chrétiens s'opposent à l'exécution du projet. La CSC et le MOC, tous deux sociaux-chrétiens également, se retirent du projet.

Les ouvriers concernés vont donc visiter le ministère socialiste de l'emploi. Après des heures de séquestration, un subside de 18 millions FB est concédé [l'équivalent avec l'inflation de 1 millions 250 € de 2014].

Dans un premier temps, le PSC bloque le subside; les bureaux de la région Wallonne seront occupés par les ouvriers et la moitié du subside est finalement allouée. Les accords sur le fonds social seront prolongés d'une année.

En juin 1981 SETIR est lancé avec 6 travailleurs, un directeur et une secrétaire (loin des 270 travailleurs initialement prévus).

Deux ans plus tard, la société d'investissements wallonne (SRIW) liquide SETIR alors que le cahier de commande est rempli jusqu'à la fin octobre en s'appuyant avec mauvaise foi sur une loi qui permet la liquidation d'une entreprise qui a utilisé la moitié de son capital.

 Glaverbel est repris à ce moment-là par une multinationale japonaise et les ouvriers sont alors effectivement licenciés alors qu'ils étaient toujours en contrat de travail sans travail avec Glaverbel.
  • Le chômage

Les excédentaires deviennent des vrais  chômeurs. Faute de contrat de travail, les délégués sont exclus de leur mandat par les instances syndicales. Le fonds social est supprimé.

En réaction, certains ouvriers créeront de petites coopératives grâce à un subside de la région wallonne de un million d'€. Ces coopératives concerneront une vingtaine de travailleurs. Ces coopératives n'ont survécu que quelques années.

Principale leçon: pour certains, c'est une demi victoire parce qu'ils n'ont pas obtenu la nationalisation avec contrôle ouvrier, pour d'autres l'allocation de chômage à 100% du salaire pendant huit ans est un pas énorme vers le salaire à vie.

Références:

André Henry, L'Épopée des verriers du Pays Noir, Luc Pire, 2013 (voir un résumé ici).
Union des Communistes (Marxistes-Léninistes) de Belgique, Ripostons aux licenciements, Brochure, 1975.