Nous

Quand nous nous sommes intitulés “plateforme contre l’emploi” il y a quelques années maintenant, nous nous opposions à l’unanimisme des discours syndicaux et politiques réclamant de l’emploi ... à tout prix. Ces discours plaçaient les militants intellectuels, syndicaux et politiques sur la défensive et, à force de demander, de prier, d’exiger, de supplier de l’emploi, ils se trouvaient en situation de faire de plus en plus en compromis, d’admettre de plus en plus de reculs ... au nom de l’emploi.

La notion-même d'emploi servait de mouroir politique à toutes les idéologies à ambition émancipatrice ou libératrice. Comment, en effet, se battre pour une libération quelconque tout en appelant des militants, des membres, des adhérents à brader leur liberté sur un marché de l'emploi, à soumettre leurs actes productifs au bon vouloir d'un propriétaire, à sa rapacité? Comment réclamer le grand soir ou la libération des forces productives dans les discours et, en même temps, appeler à se vendre à des gens qui vont faire des profits? Comment, enfin, appeler à la désobéissance, à l'intégrité morale ou philosophique alors que l'on réclame de la servitude contrainte par la nécessité, par les privations, par la dépossession permanente du temps et des richesses produites?

Mais aujourd’hui, on constate que les employeurs veulent se débarrasser de leurs obligations d’employeurs, ils veulent revenir à une situation de pratique nue du travail capitaliste; celle où le travail est considérée comme une simple valeur d’échange, comme un simple bien ou produit. L’emploi a été une avancée considérable par rapport à cette pratique nue de la valeur capitaliste. Il a permis - au prix de combats héroïques - de produire du droit dans le travail, d’encadrer et de limiter la pratique capitaliste de la valeur. Les enfants ont été retirés des usines, les ouvriers ont pu profiter de leur loisir. Le droit est venu encadrer les salaires puis la sécurité sociale, en universalisant et en rendant obligatoires les pratiques ouvrières clandestines antérieures, il a permis de quitter la sauvagerie des rapports de force capitalistes et de commencer à produire autrement.
Aujourd’hui, c’est cette civilisation de l’emploi qui est mise en cause par l’infra-emploi, par la négation des droits acquis durement par les productrices et les producteurs, par l’ubérisation des productrices et des producteurs.
Mais l’emploi n’est pas une fin, ne doit pas être une fin. Ce qui est une fin, c’est l’élan qui a transformé l’exploitation sauvage en droit professionnel, le capitalisme universel en pratique salariale de la valeur.
L’emploi a été un progrès extraordinaire arraché par la lutte mais il doit être dépassé par le haut. La souffrance des employés privés de sens au travail et de décision sur leurs actes de producteurs, la souffrance de l’exclusion des chômeurs ou de l’insécurité subie par les précaires plus ou moins ubérisés l’imposent. Le dépassement de l’emploi est déjà-là, dans les salaires des retraités produits sans employeurs, dans les salaires des chômeurs libres de travailler de manière choisie, dans la qualification à la personne des fonctionnaires.
Nous ne voulons pas être des êtres de besoin à qui l’on fait l’aumône d’une petite partie des richesses que nous produisons. Nous sommes des êtres libres, irréductiblement libres, irréductiblement frères et sœurs. Nous nous battons pour la reconnaissance de cette liberté, pour son exercice par la maîtrise de la production économique sans propriétaire lucratifs.
C’est le sens de ce changement d’intitulé de cette page que l’époque impose. Les mots changent mais pas la ligne. Simplement, à l’heure où l’on nous menace de reculer dans l’infra-emploi ubérisé, nous ne voulons pas pire que l’emploi, nous voulons mieux. Beaucoup mieux: nous voulons construire un monde, nous construisons un monde.